Christophe Bec s’est offert un western, corde qui manquait à son arc. Pour le diptyque Gunfighter, il a embarqué avec lui un spécialiste, Michel Rouge. Le dessinateur a mis tout son talent au service d’un scénario volontairement très classique.
En plus de la signature de Bec, c’est celle de Michel Rouge qui interpelle dans cette aventure à grands espaces. Dès la première planche très forte, on comprend que le choix du dessinateur n’est pas un hasard. Pourquoi ce retour au western après la reprise de Comanche ou Marshal Blueberry ? « Bec m’a contacté. J’avais abandonné l’idée de faire du western. J’ai eu un projet qui n’a pas bien marché, Kashmeer, et on m’avait déjà demandé de refaire un western. J’avais refusé jusqu’au scénario de Bec, qui m’a interpellé ». Rouge a pris, dès le départ, fait et cause pour ce très classique Gunfighter. Il y a des barbelés sur la prairie (titre d’un Lucky Luke), un tueur au colt d’argent (pas d’or), des troupeaux, des ranchers qui ont des comptes à régler et un vieux cow-boy échappé de Rio Bravo. Des références qui se sont imposées.
D’où la naissance de cette balade mouvementée en Arizona dans laquelle un tueur, un gunfighter, se mêle par hasard d’une rivalité entre éleveurs. Un expansionniste, Wallace, convoite les terres des Cotten, petits propriétaires. On se doute qu’il y a en prime un cadavre dans le placard familial. Même si on ne peut que tomber sous le charme du dessin de Michel Rouge, il avoue que son travail n’a pas été simple : « J’en ai bavé. Bec ne travaille pas comme Giraud ou Greg. Il n’y a pas de système : le dialogue fait partie de la narration. Il faut le restituer. C’est basique mais fort dans l’action ! ».
Chevauchée héroïque à fort suspense
Et il a tiré la langue, Michel Rouge, qui travaille en petit format : « J’ai commencé au-dessus de mes moyens. Au début, j’avais le temps : j’ai dessiné au plus haut de mes possibilités. J’ai ensuite souffert en voulant servir au mieux le scénario tout en travaillant de façon traditionnelle. » Il a réussi à ce « que rien ne flotte, tout [soit] posé » car on est au milieu de l’action, témoin et lecteur privilégié d’un drame qui va monter en puissance.
Le trublion, c’est le gunfighter que l’on dirait aussi sorti de Hell on Wheels. Mais Rouge n’a pas la télé et n’a jamais entendu parler de la série. Scénario classique ne veut pas dire pour autant sans surprises ou suspense et Rouge d’ajouter : « Je ne voulais pas connaitre les intentions de Bec. Je suis comme un comédien qui suit les indications de son metteur en scène. Mon esprit a imaginé les scènes librement et j’attends le second album pour savoir. »
Tous les ingrédients sont bien dosés dans cette chevauchée héroïque. On pense à Raoul Walsh, John Ford, jamais à Leone. Bec et Michel Rouge, dont le fils Corentin a assuré les très belles couleurs, ont fait dans le cinémascope vieille école. Rouge retournerait bien, après le western, à des histoires plus mystiques... Tout dépendrait évidemment du scénario.
Article publié dans le magazine Zoo n°73 (Septembre-Octobre)
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