L'Ombre des Lumières - T1 : L'ennemi du genre humain

Le destin du chevalier de Saint-Sauveur est un prétexte pour brasser avec talent l’histoire du Siècle des Lumières, via les jeux de séduction d’une société amorale, les aspirations d’une femme inspirée par l’Encyclopédie, le ballet des intrigues de la Cour ou le destin d’un « Sauvage ». À suivre !

Julien Monier et Gaet's © Éditions Petit à Petit

Alain Ayroles nous conte les « souvenirs » de l’infâme chevalier de Saint-Sauveur, un vil séducteur qui a sévi pendant le Siècle des Lumières. Tapi dans l’ombre, ce débauché jette son dévolu sur Eunice de Clairefont, une jeune et jolie femme mariée, mais aussi un esprit éclairé en quête de savoir, inspiré par les Encyclopédistes. Elle voudrait mettre sa connaissance au bénéfice de l’amélioration des conditions de vie du peuple.

En démiurge, Ayroles fait alors apparaître Monsieur de la Tournerie hébergé par le baron de Féranville, voisin d’Eunice. De la Tournerie aussi s’intéresse au peuple et à la science. Ses affinités avec Eunice sont évidentes, mais « La liberté d’esprit ne fait pas d’elle une libertine ». Puis vient au milieu de l’album un coup de théâtre que les lecteurs les plus attentifs auront pu anticiper.

Après la séduction d'un cœur, voici celle de la cour

La seconde partie du récit porte sur les tentatives de Saint-Sauveur pour se hisser socialement à la Cour de Versailles. L’homme de confiance de Saint-Sauveur, Gonzague, prend peu à peu de l’épaisseur, secondé par un Iroquois sagace. Et qui est donc cette Madame de *** à qui le cynique chevalier écrit de manière si sincère ?

Dans ce récit qui ne va pas forcément dans la direction que l’on imaginait, Ayroles réussit avec talent à nous faire (presque) compatir aux malheurs de Saint-Sauveur, après nous l’avoir fait détester. Même si on ne retrouve pas la brillante folie de ses œuvres les plus célèbres (De Cape et de Crocs, Garulfo…), le scénariste fait mouche avec cette nouvelle série prévue en trois tomes.

L'Ombre des Lumières, T.1, L'Ennemie du genre humain © Delcourt, 2023

Des cases qui deviennent des tableaux

L’élégant dessin de Richard Guérineau que l’on sait doué pour les récits en costume depuis son Charly 9, recrée avec goût et précision le cadre de vie de la noblesse comme celui du peuple. La construction des séquences est une mécanique de précision implacable. Chaque case est un petit tableau détaillé d’une grande clarté. Le travail sur la lumière est remarquable de réalisme, qu’elle éclaire les paysans à l’ouvrage dans les champs, les pierres d’un château ou les rues de Paris. À noter qu’un soupçon de caricature est mis dans les personnages, avec une tête un peu plus grosse que dans les canons anatomiques.

On navigue donc entre Les Liaisons dangereuses, Barry Lyndon et Casanova, avec le souffle de l’aventure à l’horizon. Un vent qui nous poussera vers le tome 2…

Article publié dans le Mag ZOO N°94 Septembre-Octobre 2023