Dans une ferme fortifiée, abandonnée par les humains, une basse-cour variée se retrouve sous la domination d’un taureau sans pitié. Le Château des animaux est une œuvre violente et picaresque. Elle transpose le fascisme dans un récit animalier signé par Xavier Dorison et dessiné par un jeune prodige fascinant, Félix Delep.
Mais qu’a donc voulu montrer Xavier Dorison dans ce Château des animaux que Casterman a prépublié en gazettes ? Qui est ce taureau dominateur, sanguinaire et prétentieux prénommée Silvio, comme un certain homme politique italien ? « On pense à Berlusconi mais c’est une allusion à tous ces dirigeants qui se sentent légitimes parce qu’ils ont de gros muscles », résume Xavier Dorison. Silvio applique un régime de terreur à tous les animaux du Château, une bâtisse qu’ils remettent en état sous la garde d’une milice canine et d’un coq odieux. Il n’hésite pas à valider des exécutions sommaires en cas de rébellion ou des trafics abominables. Dorison n’a pas écrit son histoire par hasard : « Je voulais rendre hommage à ma façon à un récit qui m’avait marqué, La Ferme des animaux d’Orwell. Mais aussi de raconter une histoire qui montre que toutes les révolutions peuvent bien se terminer. Enfin je souhaitais parler de non violence. » Dorison est formel : « Le scénario est totalement original. Ce n’est pas une adaptation du roman d’Orwell » qui lui traitait d’une révolte animale contre les humains, satire acerbe du stalinisme.
La violence impuissante
Au Château, il y a de la révolution dans l’air contre ce régime totalitaire et meurtrier. « Silvio justifie ses actions par une menace extérieure. Le dictateur se place en sauveur face à elle. Mais la violence est le pire des moyens pour changer les choses. » Et c’est là que Dorison innove : « On s’aperçoit que la violence a parfois permis de résoudre les problèmes à court terme mais les a aussi reportés à plus tard ». D’où des héros, Miss Bangalore la chatte et César le lapin gigolo, qui vont jouer la carte de l’humour. Xavier Dorison continue sa démonstration : « Pour montrer une libération, il faut décrire l’oppression que subissent ces animaux, expliquer que leur révolution violente n’a aucune chance de marcher. Ce sont les dictateurs qui ont la force avec eux. C’est une BD militante mais optimiste ». Mais la révolution n’est pas gagnée : il y aura quatre albums pour y arriver.
Félix Delep, jeune dessinateur, est le maître d’œuvre de cet édifice avec un trait somptueux, riche, bouillonnant de vie. À 24 ans, c’est son premier vrai chantier. « Un jour, je reçois quatre dessins signés par Félix. Je tombe de ma chaise. C’était parfait ! », se souvient Dorison, qui avait été son prof de scénario à Émile Cohl. Mais d’où vient Félix Delep ? « C’est Lewis Trondheim qui m’a fait plonger dans la BD. Il m’a proposé de faire une histoire courte animalière pour Spirou. Un éditeur de Casterman a envoyé ces dessins à Xavier. » avoue simplement Félix. Si on lui demande ses influences, il parle de Don Bluth et ses films d’animation Brisby et le secret de Nimh et Fievel mais aussi des classiques animaliers de Disney comme Robin des Bois. Le dessin de Delep est désormais totalement sur tablette, couleurs comprises, qu’il assure avec une belle maîtrise. Il se souvient cependant qu’au début « toute la machine semblait en marche mais je n’avais pas les personnages bien en main. J’aurais dû faire plus de recherches parce que j’ai mis deux ans et demi pour ce premier album ».
Pas évident de réinventer en BD le genre animalier depuis Calvo ou Guarnido. Le résultat est, sur tous les plans, impressionnant de qualité, de lyrisme et de beauté. On est totalement pris par les ambiances violentes de cet univers concentrationnaire dont l’espoir n’est pourtant pas exclu, si bien restitué par Dorison et Delep qu’il va falloir suivre de près.
Article publié dans le magazine Zoo n°73 (Septembre-Octobre)
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