Apparu dans les pages de Spirou le 31 janvier 1952, le Marsupilami reste la plus belle des créatures fantasques de Franquin, à l’exacte frontière de l’innocence et des pulsions inavouables qui peuplent l’imaginaire enfantin.
C'est à la lecture de Spirou et les héritiers que le lecteur émerveillé découvre pour la première fois la silhouette d'un bien étrange animal. Profil souple et agile ponctué d’une queue démesurée, pelage jaune moucheté de noir, œil vif, grosse truffe brillante, 130 cm pour 35 kilos : le Marsupilami était né. Étymologiquement proche du marsupial avec lequel il nourrit une lointaine parenté (notamment la capacité à se déplacer en sautant), bien que des caractéristiques telles que le pouce préempteur le rapprochent davantage du grand singe le «petit animal», comme aime à l'appeler paternellement Fantasio, concentre tous les pouvoirs qu'un homme n'aura jamais : mammifère doté d’un nom- bril mais ovipare ; omnivore (puces, fourmis, fruits, poisson, voire… tabac de Fantasio) ; sens de l’orientation et odorat infaillibles ; fouisseur ; résistance à la zorglonde ; amphibie (Le repaire de la murène)… Il ira même jusqu'à parler, par mimétisme (Les pirates du silence), une qualité superflue dans la course à la surenchère, que Franquin regrettera par la suite. Au top de ses facultés trône bien sûr sa queue légendaire longue de 8 mètres (sic), qui lui permet de se tirer de tous les mauvais coups (tour à tour arme, liane, canne à pêche, roue, palme, ressort, et bien sûr.. attribut de parade nuptiale).
Première édition de Spirou et les héritiers où apparait pour la première fois le Marsupulami
Doté d’attributs humains, voire surhumains, il en concentre aussi les traits de caractère les plus honorables (courage, loyauté, espièglerie), mais aussi les moins reluisants (grosses colères, sale caractère) ; mû par un fort instinct de survie, le Marsupilami déteste Zorglub, allant jusqu’à le martyriser alors que ce dernier est réduit à l’état de bébé inoffensif (Panade à Champignac). Le Marsupilami n’est certes pas un toutou affectueux ; difficile à apprivoiser, il conserve une part sauvage inaliénable, probable vestige de l’état de Nature qu’il a connu dans sa forêt originelle de Palombie. Régi par ses passions, mais dépourvu d'intelligence, le Marsupilami semble être une créature affranchie de surmoi. Créature de tous les pos- sibles, ami idéal, animal de compagnie rêvé : la concrétisation ultime de l'imaginaire utopiste de Franquin. Une quête d’absolu qui ponctua la vie de l’auteur de grandes joies (création du Nid des Marsupilamis pendant la grossesse de sa femme) mais aussi de grandes peines (deux dépressions). En 1968, Franquin décide d’arrêter Spirou et coopte le jeune Fournier à qui il confie la série. Après avoir enrichi l’univers Spirou pendant des années, avec des personnages aussi incontournables que Champignac ou Zorglub, Franquin ne peut toutefois se résoudre à abandonner la plus idéale de ses créatures. Il sort donc le Marsupilami du giron de Dupuis, pour lui donner de nouvelles aventures dans un label créé spécialement pour l’occasion : Marsu Productions.
Les tout premiers tomes sont coréalisés avec Greg et Batem, mais Greg et Franquin tirent le marsupilami dans des directions opposées, et cessent bientôt leur collaboration. La série se poursuit alors avec différents scénaristes, sous la seule responsabilité graphique de Batem. Près de 20 albums, deux adaptations en dessins animés et un projet de film confirmeront son succès.
Mais revenons à Spirou et Fantasio, désormais privés de leur compagnon sauvage. Comment gérer une telle absence ? En jouant l’amnésie ! À partir du T.21, c’est comme si le Marsupilami n’avait jamais existé. Même son nom devient tabou (ou protégé par un puissant copyright, ce qui revient au même). On trouve toutefois quelques exceptions. Dans Le réveil du Z (Spirou, T.37), une figurine en plastique à l’effigie du Marsupilami décore la lampe du bureau de Fantasio. Dans le T.41, La vallée des bannis, Spirou en plein désarroi entend un «Houba !» qui le transporte de joie. «Impossible ! ce ne peut être lui... Ce serait trop beau !».
Enfin, plus récemment, Morvan jouait les funambules sur les limites de l’interdit, avec ce dialogue extrait de L’homme qui ne voulait pas mourir : «Je vous avais envoyés à la recherche du légendaire Marsup... [interrompu par Fantasio] Il a même été notre ami». Marsup/il/ami : tout y est. À ces trois exceptions près, depuis le T.21 le Marsupilami semble exploiter une nouvelle faculté aussi fabuleuse qu’inattendue : il est devenu INVISIBLE. Comme dirait Champignac, cet animal n’a décidément pas fini de nous surprendre !
Remerciements à Lionel B. pour ses orientations bibliographiques (Et Franquin créa Lagaffe, Numa Sadoul, Dargaud).
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