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Yoshihiro Tatsumi, l’anti-Tezuka

« Nos aînés nous avaient enseigné que la bande dessinée était comique. Il s’agissait de faire rire le lecteur. Nous ne voulions plus de cela. » disait Yoshihiro Tatsumi, l’homme par qui la bande dessinée est pour la première fois entrée dans l’âge adulte. Décédé le week-end dernier, à l’âge de 79 ans, il restera l’un des auteurs à avoir le plus apporté au genre.

L’invention du gekiga

L’histoire de Yoshihiro Tatsumi commence en 1935, à sa naissance dans la préfecture d’Osaka. Tatsumi grandit dans un pays en guerre puis en ruines, entre son père, alcoolique et chômeur et son frère à la santé fragile. En 1949, âgé de 14 ans, il rencontre un jeune dessinateur qui habite lui aussi Osaka, un certain Osamu Tezuka qui l’encourage à se lancer dans le genre, en pleine explosion, des mangas. C’est chose faite dès 1952 : Tatsumi publie sa première histoire, L’Île aux enfants à l’âge de 17 ans.

Mais très vite, rédiger des histoires pour les enfants l’ennuie. Il se lasse du ton humoristique qu’on lui impose, et cherche à aborder des thèmes plus adultes dans des histoires plus sombres, plus violentes, plus réalistes. Il se lance dans un nouvel univers graphique et scénaristique, où il développe de véritables chroniques sociales de son époque. Les exclus sont ses héros, l’absence d’héroïsme, son idéal. Il cherche à montrer les difficultés de la vie, les malheurs d’un pays exsangue et invente, en 1957, un terme pour désigner son travail : « gekiga », « images dramatiques ».

Sans trop s’en douter, il vient d’ouvrir la voie à une lignée d’auteurs qui ne se reconnaissent pas dans les mangas de l’époque et pensent que la bande dessinée doit mûrir pour montrer le monde tel qu’il est, plutôt que tel qu’il ne sera jamais. Tatsumi va également réinventer le langage du manga pour créer de nouvelles ambiances et recentrer son dessin sur les personnages plutôt que de les noyer derrière l’action. La plupart des histoires recueillies dans Good Bye datent de cette époque. Elles contrastent à l’époque par leur réalisme et surtout par leur noirceur.

Une vie dans les marges...

Malgré sa marginalité dans le monde du manga, Tatsumi tient le cap. S’il fonde à la fin des années 50 un éphémère Studio Gekiga qui lance le mouvement, ce sont deux revues, Kage et Machi, qui installent progressivement le gekiga comme contre-culture. Les premiers représentants de la génération manga d’après-guerre deviennent adultes, et constituent un public peu nombreux mais fidèle et assoiffé de nouveauté. Cependant leur démarche reste minoritaire. Osamu Tezuka lui-même désapprouve l’existence du gekiga : pour lui, les mangakas s’adressent aux enfants d’un pays meurtri et à personne d’autre (même si les années 70 lui feront changer d'avis).

Au cours des années 60, presque 20 ans avant Métal Hurlant et À Suivre, la bande dessinée japonaise a déjà bien mûri. Portée par le magazine Garô lancé en 1964, une nouvelle génération d’auteurs renouvelle les codes du manga. L’influence du gekiga commence à se faire sentir dans la production traditionnelle. Au cours des années 70, Yoshihiro Tatsumi publie des histoires courtes dans Garô, notamment celles composant le recueil L’Enfer, l’un des plus sombres de l’auteur. Et c’est à la fin de cette décennie que l’auteur traverse le Pacifique pour arriver en France, grâce au magazine suisse Le Cri qui tue.

À la fin des années 80, Yoshihiro Tatsumi se lance avec Hiro Sachiya dans la publication d’une grande fresque sur l’histoire du bouddhisme. Mais c’est son œuvre autobiographique entamée en 1995 qui assoira définitivement son statut d’auteur majeur. Une vie dans les marges, ou Un rescapé du gekiga, est une très belle biographie en plus d’être un document unique sur l’histoire du manga… Et sur celle de celui qui le fit grandir, qui « cherchai[t] d’abord à faire du manga pour [s]a génération, plus seulement pour la jeunesse ».

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