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Millenium - Des deux côtés de l'Océan

Si vous appréciez l’adaptation de Millenium par Sylvain Runberg et Homs parue chez Dupuis, peut être ignorez-vous que la saga nordique a également été mise en cases de l’autre côté de l’Atlantique. Et cette drôle de coïncidence a donné naissance à des oeuvres aussi excellentes que dissemblables. Mais dans le fond pourquoi, et surtout, comment ?

Le langage dessiné

La tension mise en cases

© Vertigo 2015 DC Comics

Si beaucoup d’entre vous n’ont pas eu l’occasion de lire la version américaine (et pour cause, elle n’est pas traduite à l’heure actuelle), vous avez sûrement déjà posé le regard sur un comics. Or qu’est ce qui différencie d’abord un comics d’un album de franco-belge ? Le format et donc, la mise en page. Un comics a généralement moins de cases par page qu’une BD de nos contrées. Et cette différence essentielle est probablement celle qui a le plus d’impact sur le reste de l’histoire…

Denise Mina, la scénariste de la version US de Millenium et son homologue pour la version européenne, Sylvain Runberg, viennent d’horizons très différents. Denise Mina est avant tout auteure de romans policiers, et connue polar son travail en comics sur la série Hellblazer. Sylvain Runberg est quant à lui un scénariste franco-belge pur jus, à qui l’on doit des bandes dessinées très variées, du nordique Hammerfall au futuriste Orbital.

Ces deux auteurs vont donc avoir des intentions très différentes. Là où Denise Mina va vouloir coller au plus près des évènements et de l’ambiance tendue du roman de Stieg Larsson, Sylvain Runberg choisit de se séparer du respect du déroulé des évènements du livre pour les adapter à son format de prédilection, l’album grand format. Denise Mina adopte finalement une démarche presque cinématographique : l’action est découpée en plusieurs cases quand une seule peut suffire chez Runberg….

Mais si une case suffit souvent à Sylvain Runberg, il a besoin de texte pour la remplir. Les 64 pages qu’il s’accorde pour chaque album l’obligent à ne laisser que le minimum de cases sans texte. Le texte et le dessin sont donc aussi important l’un que l’autre. Chez Denise Mina à l’inverse, le format plus long permet de faire progresser l’action sans la décrire : la narration est basée sur l’image, complétée par les dialogues. Une approche littéraire, une approche cinématgraphique ?


Réalisme et expressions

En réalité, la bande dessinée procède en partie de ces deux arts : elle est au carrefour des techniques d’expressions utilisées en littérature et au cinéma. Ce qui lui est propre en revanche, c’est le dessin ! Et ça tombe bien, Homs (et Carot) et le duo Andrea Mutti/Léonardo Manco auraient difficilement pu choisir des approches plus différentes….

Chez Homs, et Carot sur les tomes 3 et 4 de la version Dupuis, les visages sont exagérés. On y retrouve ici une caractéristique traditionnelle de la BD franco-belge : le semi-réalisme. Les décors sont réalisés avec un soin presque photographique, tandis que les visage sont légèrement exagérés et très expressifs. En effet, le nombre de pages moins important fait que chaque case est détaillée et doit donner beaucoup d’informations. Certaines passent ainsi par le texte des phylactères, d’autres par ce que fait le personnage, les dernières par ses expressions.

© Vertigo 2015 DC Comics

Le duo Mutti/Manco, au dessin de la version américaine, avait un objectif simple : coller à la réalité. Le dessin va donc rechercher le photo-réalisme : ni les personnages ni leurs expressions ne sont exagérés, les décors sont dessinés d’après modèle. Le véritable défi est de garder le tout lisible et clair; et c’est ici que la narration sans texte détaillant clairement les actions fait son effet. La compréhension de ce qu’un personnage ressent ou fait ne passe pas nécessairement par la seule expression de son visage.

Au-delà des personnages, les ambiances sont travaillées très différemment, elles aussi. Chez le duo Mutti/Manco, la tension est construite progressivement, grâce à une succession d’images sombres, cadrées comme les plans d’un thriller contemporain. Homs, lui, a préféré travailler sur les ombres et lumières qui permettent de créer la tension rapidement au détour d’une seule case. Au final, les techniques de dessin et de narration sont propres au format adopté par les auteurs : un comics pensé presque comme un film et une BD au carrefour de l’image et du texte.

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