Alors que l’image des pays de l’Est, marquée par l’hégémonie de l’ex-URSS, semble s’être figée dans l’inconscient collectif depuis le début des années 60, ce printemps en bande dessinée propose une autre vision de vies singulières pris dans le tourbillon de l’Histoire…
À travers la fiction ou le roman graphique, de Staline à Ianoukovytch en passant par les immigrants aux États-Unis, le neuvième art met en lumière l’Histoire slave récente.
La Russie d’après Staline
Avec Refuznik, Flore Talamon nous livre la biographie de Bella Goldberg, sculptrice juive, qui fuit l’URSS postStaline poussée par son désir irrépressible de liberté artistique. Elle nous entraîne sur les routes de son double destin, celui d’une créatrice sans concession et celui d’une jeune femme poussée à quitter son pays natal dont elle refuse les dérives, en quête d’une terre promise. Elle est une refuznik, une juive considérée par l’Union Soviétique en pleine guerre froide comme un danger pour la nation.
Extrait de Refuznik
Valorisé par le trait nerveux et saisissant de Renaud Pennelle, l’album d’une rare sensibilité octroie une perspective réaliste et intimiste à une période trouble de l’Histoire de la Russie et d’Israël aussi. On y retrouve entre autres les réalités d’un régime communiste rigoureux et violent : le KGB, le goulag, le sectarisme et d’autres horreurs d’un pouvoir totalitaire. On en retient également les souffrances de l’émigrée, les difficultés à se trouver place dans un monde de frontières.
Le parcours plein d’émotions de cette femme résonne comme une leçon de vie et de courage. Cette biographie très belle, instructive et touchante, est une véritable perle rare.
Jamais si loin de ses racines
Quitter son pays, en particulier pour des raisons sociales ou politiques, ne signifie pas qu’on abandonne ses racines ni sa culture. Un été d’enfer de Vera Brosgol illustre très justement le contraire. Née à Moscou en 1984, émigrée très jeune aux Etats-Unis, l’auteure nous présente un souvenir autobiographique révélateur de ses ressentis d’enfant russe et pauvre en Amérique. Elle choisit le roman graphique pour décrire principalement un été de vacances dans un camp russe, c’est à dire réservé à des enfants issus de la diaspora russe, durant lequel sa personnalité se forge et son isolement finit par céder.
Construit en bichromie sur un ton teinté de la naïveté d’une petite fille qui s’interroge, Un été d’enfer ondule en finesse entre les affres relationnelles de l’enfance et la sensation d’être différent, injustement traité du seul fait d’une origine. Vera Brosgol nous offre un tendre regard sur la culture russe exportée dans un monde diamétralement opposé. En outre, elle parvient à faire rayonner la beauté et l’universalité de l’enfance qui, en toutes circonstances, nourrit l’espoir.
Maïdan Roméo
Extrait de Maïdan Love
Il y a à peine 5 ans, l’Ukraine a vu sa révolution orange devenir le foyer de tensions entre la Russie et l’Europe de l’Ouest. Plaçant ces tensions politiques en toile de fond d’une fiction dynamique, Aurélien Ducoudray prend donc le chemin de Kiev, dans la veine de son portrait touchant de la Tchétchénie des années 90, Amère Russie. Soutenu par le trait de Christophe Alliel, il nous plonge au cœur des affrontements de la place Maïdan. Bogdan, jeune policier, est alors en formation pour devenir « berkout » (équivalent ukrainien des CRS) alors que les premières échauffourées éclatent à Kiev. Malheureusement, Oléna son amoureuse récemment politisée, se retrouve coincée quelque part sur la place enflammée, manifestement en danger.
Destiné à un large public, ce premier tome de Maïdan Love présente toutes les ficelles de l’aventure urbaine colorée et haletante mais ne s’arrête pas là. Pour peu que vous désiriez comprendre pourquoi Kiev brûle dans cet album, vous chercherez, fouillerez, pour découvrir une période passionnante et récente de l’Histoire de l’Ukraine.
Article publié dans le magazine Zoo n°70 Mars - Avril 2019
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