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Se recueillir sur le Gekiga

L’histoire du Gekiga, l’art séquentiel dramatique japonais des années 60, est aussi riche que passionnante. Deux nouveaux titres jusque-là inédits en France, L’Envol chez Atrabile et Tokyo Blues au Lézard noir, nous le confirment encore une fois.

Kuniko Tsurita (L’Envol) fait partie de cette nouvelle vague éditoriale d’auteur.rice.s à découvrir absolument. Le recueil couvre sa courte carrière, comprimant en un épais tome l’évolution de sa vision d’un monde et d’un média fluctuants. Sautillant de tendances en révoltes, accolant un humour caustique et un sens de l’ironie à des considérations et une énergie ultra moderne, la mangaka est puissamment protéiforme. 

Pure mouvance, le recueil décrit en creux l’évolution accélérée d’un monde et le combat stylistique d’une créatrice à contre-courant. De dénonciations jubilatoires surannées en élégances torturées et tragédies intimes, le ton jovial se durcit avec les années en réponse aux nombreux obstacles que rencontre l’autrice.

Première femme à participer à l’emblématique magazine Garo qui finira par la trahir, Kuniko Tsurita se sera battue toute sa vie pour rester fidèle à des ambitions créatrices formant aujourd’hui un album fabuleux qui ne cesse de se transfigurer.

Tatsumi, Tsuge, Mizuki et...

Tokushige Kawakatsu (Tokyo Blues), à l’inverse, n’est pas actif pendant la période phare du Gekiga, dans les années 60 à 80. Auteur des années 2010, il a pourtant su décortiquer ce qui faisait la force du genre. Son style malléable, son ambiance calme, mais pesante, son intensité environnementale typique et une description humaine caractéristique se mélangent jusqu’à convoquer la grande époque de ce mouvement narratif particulier.

Auteur fascinant d’érudition, le mangaka s’attelle à la sauvegarde du genre, tentant un temps de lui insuffler une vie nouvelle. Mais les inspirations comme les aspirations s’épuisent et son style s’étoffera finalement d’influences européennes nouvelles et revigorantes. Contrairement à Kuniko Tsurita aux velléités novatrices et au renouvellement abrupt, il se concentre sur la pente descendante, mettant en images une certaine tristesse de la dissipation dans une nostalgie stylistique intense aux moments de grâce innombrables.

Article publié dans le Mag ZOO N°81 Mai-Juin 2021

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