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Dossier Isekai : Par pitié, ressucitez-moi dans un monde magique!

Est-il possible d’avoir échappé à la déferlante d’isekai qui prend d’assaut étagères, écrans, magasins et magazines depuis maintenant quelques années ?

À chaque période son genre de prédilection. Le roman picaresque, coqueluche de l’histoire lettrée, a laissé place au steampunk puis, par la beauté d’un second raccourci éhonté,aux harem manga et maintenant à l’isekai. Tous ces genres s’attaquent initialement à un besoin fondamental : s’échapper de sa propre constance, se libérer de soi-même par un autrui qui peut se permettre des péripéties inenvisageables. Maintenant que notre bonne vieille orange bleue a été explorée dans sa globalité, les seules Terra Incognita résident en dehors de notre sphère de réalité.

L’isekai est un type de récit fantastique qui voit initialement un ou des protagonistes être transportés (typiquement par kidnapping surnaturel, par résurrection bienveillante ou par mégarde totale) dans un monde qui n’est pas le leur. Ce nouveau monde peut être virtuel (Log Horizon), s’avère souvent magique (Mushoku Tensei) ou parfois étrangement alternatif (Tanya the Evil). Sa colonne vertébrale indispensable est l’atteinte d’un autre monde, aux règles à la fois nouvelles et rassurantes, car basées sur nos habitudes de fiction (évolution à la façon d’un rpg, avec points d’expérience, compétences chiffrées et menus visuels, par exemple). Le genre fait ainsi rêver, car il concrétise la possibilité d’être catapulté dans un univers de puissance dans lequel toutes les clefs sont données pour gagner. L’effort est tangiblement récompensé, ouvrant un fantasmagorique champ des possibles.


Extrait de Skeleton Knight T.7, In another world © Akira Sawano © Ennki Hakani / OVERLAP
Meian Edition


Mondes perpendiculaires

Ce type de récit a toutefois eu le temps de s’étoffer jus­qu’à pren­dre conscience de ses propres biais et proposer ainsi des méta-récits auto-critiques ou auto-dérisoires qui rebondissent sur les normes auto-générées de la foule de clones qui se déploie d’année en année. Finis, par exemple les antihéros maussades qui sont simplement de l’autre côté de la loi. Les parahéros sont dorénavant caractérisés par une bizarrerie fondamentale, souvent comportementale, généralement lié à d’inhabituelles aptitudes. Le personnage de Berserk of Gluttony, publié par Maho, est par exemple doté d’une capacité d’absorption des techniques d’autrui par ingurgitation. Son pouvoir se couple à un besoin irrésistible de se sustenter sans cesse. Ces impératifs créent un récit sombre dans lequel la justice n’est qu’une façon de camoufler l’égoïste nécessité de tuer.

Les aberrations du comportement du héros d’isekai japonais créent ainsi sa force. C’est donc l’attitude vieux jeu, rigoureusement has-been qui fera

de Ryumatsu, yakuza dépassé transfiguré en princesse, la leader charismatique d’un monde misérable dans Yakuza Reincarnation chez Kaze. Le simple statut d’humain n’apporte plus de bonus spécifique. Le héros doit être singularisé, le transfert doit induire un décalage. Le personnage principal de Skeleton Knight in another World chez Meian est ainsi coincé dans la peau (ou du moins son absence) d’un revenant osseux.

Loop heroes

L’attrait de la puissance, les facilités d’apprentissage ou l’extrême dévotion à la progression sont toujours de mise. On rajoute cependant maintenant à l’apocalypse imminente la connaissance des évènements qui mènent à celle-ci, car en Chine et en Corée, la réincarnation des personnages principaux peut se faire dans leur propre passé. Ils réapparaissent alors avant l’échéance de la catastrophe en ayant le souvenir de leur échec en mémoire. Ils disposent ainsi d’outils supplémentaires pour se préparer au mieux et renverser la situation. La Chine met de plus l’accent sur un développement martial très codifié lié au raffinement de l’âme, dont les échelons rigides explosent sous les manigances efficaces des protagonistes. Todag, Tales of Demons and Gods en est un bon exemple. Son personnage principal met en œuvre des centaines d’années d’errance et de savoir pour accélérer exponentiellement sa progression et stopper la vague de monstres destinée à détruire son peuple.

"L'isakai est un genre vivace aux racines profondes"


Extrait de Yakuza Reincarnation T.1 © 2020 Hiroki MIYASHITA, Takeshi NATSHUHARA / SHOGAKUKAN Kaze Edition


Enfin, contrairement aux environnements fantastiques japonais extérieurs et dépaysants, les récits coréens choisissent également de faire pénétrer la fantasy directement dans unmonde moderne dangereusement poreux (Tomb Raider King). Les univers parallèles pénètrent dans notre réalité sous forme de pseudo-donjons qui, laissés seuls, permettent à d’innombrables monstres d’envahir l’humanité. Jinwoo, chasseur de ressources médiocre dans Solo Leveling chez Meian, obtient une seconde chance typique. Il revient dans le temps avant son effroyable décès et intègre un système qui gamifie sa pro­gres­sion, lui offrant des quêtes uniques, bien que toujours létales. Ses progrès aideront notamment à enrayer la propagation de monstres dans le monde réel.

Avec tout ça dans sa manche, l’isekai est un genre vivace aux racines profondes qui a discrètement baigné toute une génération (Digimon, Fushigi Yugi…). Ses règles évoluent constamment depuis et proposent une multitude d’univers très riches reposant sur des bases communes qui ont encore beaucoup à raconter.

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