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La planche de la semaine : Coccobill de Jacovitti

Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Gros nez, découvrez la planche #10 deCoccobill!

La planche de la semaine : Coccobill de Jacovitti


Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

Prince de la parodie, roi de la surenchère, empereur de l’humour hystérique, Benito Jacovitti est l’un des grands noms de la bande dessinée italienne.

Né en 1923, il publie ses premiers dessins en 1939 et sa première bande dessinée l’année suivante. Il fera l’essentiel de sa carrière dans des revues pour enfants, dont Il Vittorioso (très proche de l’église catholique et romaine), Il Giorno dei ragazzi, Il Corriere dei piccoli, avant d’être accueilli à partir des années 1960 par des titres plus adultes comme Linus ou Comic Art. Il a ponctuellement été traduit en France après la guerre, en France dans Coq Hardi et en Belgique dans Le Moustique, mais c’est dans les années 1970 que les lecteurs de Charlie Mensuel ont pu prendre la mesure de l’humour délirant qui était le sien. Il a également travaillé pour des revues « de charme » et a même publié dans les années 1980 sa propre version, ébouriffante, du Kamasutra. Il est mort à Rome en 1997.


Parodiant Mandrake the Magician (Mandrago il Mago), réécrivant à sa manière les aventures d’Ali Baba ou Zorro (alias Zorry Kid), se moquant du film noir (Jack Mandolino) ou du western (Coccobill), Jacovitti y insuffle une folie toute personnelle. Les péripéties sont réduites à une suite de gesticulations outrancières, les cases sont jonchées d’arêtes de poisson, de peignes, de salamis à pattes… Les personnages, invariablement renversés, boxés, piétinés, troués, découpés, explosés… ne sont que des marionnettes aux prises avec un destin absurde et hilarant.

Car le rire est la seule réaction devant une telle folie éruptive, d’autant que Jacovitti est l’un des grands maîtres du style « gros nez ». Directement inspiré de l’esthétique tout en rondeurs de Felix the Cat et surtout de Disney, Jacovitti l’a poussé vers des extrêmes très personnels, et son style se reconnaît au premier coup d’œil. Coccobill est sa série la plus connue en Italie, et celle qui sera la plus traduite en français. Le Musée en possède plusieurs planches, qui se signalent par une grande sûreté dans l’exécution : peu ou pas de repentirs mais, au contraire, une grande minutie dans le tracé des lignes : ce qui semble de banals traits de contours exécutés au pinceau se révèlent être, quand on y regarde de très près, un enchevêtrement de fines lignes de plume qui donnent une vibration unique au graphisme de Jacovitti.

Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Oublions les dialogues, concentrons-nous sur la gestuelle des personnages, cette façon si personnelle qu’avait Jacovitti de jouer avec l’espace de sa page, de détourner discrètement les codes de la BD, comme avec ce pavé de texte avec des pieds. On redécouvre alors un dessin extrêmement expressif, où tout passe par les grimaces, les regards, les mouvements.

On voit un pied s’élancer pour frapper une mâchoire et on ne fait pas attention aux yeux injectés de sang qui préparent un mauvais coup. On sourit alors en voyant comment l’artiste s’amuse avec les exagérations, une taille de guêpe qui tient dans un poing, un complice troué comme du gruyère… Jacovitti maîtrise la dramatique de chaque scène, l’humour est omniprésent, mêlé à une violence d’opérette qui correspond tellement à ce qu’on imagine de cette culture italienne, rythmée de grands gestes de la main, de bouches qui crient, des larmes et des insultes.

Regarder une planche de Jacovitti, c’est comme être assis devant une pièce de théâtre, bouche bée, fasciné par cette énergie pleine de folie, d’inventivité où l’artiste ne peut s’empêcher de glisser dans le blanc de ses cases des objets improbables, comme un crayon qui sort du sol, un dé qui vole dans un coin. Il y a là un langage universel qui lui permet de se glisser dans n’importe quelle ambiance, que ce soit du dessin jeunesse, du dessin adulte, du western, des contes, tout est terrain parfait pour exprimer cet art si singulier.

Outre, en effet, la découverte incroyable de cet encrage plein de vie, cette page en noir et blanc ouvre la porte d'un univers hors du commun. Elle réhabilite un auteur qui a longtemps personnifié la générosité graphique de cette école italienne empreinte de fulgurances, qui a su aussi rassembler les lecteurs et la critique dans cette ode permanente à l’absurde le plus jouissif.

Un pur bonheur.

La planche de la semaine : Inspecteur Bayard, Olivier Schwartz, Bayard, 1989

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