Olivier Ledroit, père des Chroniques de la Lune Noire et de Requiem, nous raconte son parcours des planches de BD à l’exposition en galerie. Le maître de BD gothique nous dessine les dessous de Wika, sa nouvelle héroïne, et explique son virage vers un conte plus lumineux.
Olivier Ledroit, lors de l'exposition de ses planches à la galerie Glénat.
Avec Wika, Ledroit s’expose à la galerie Glénat… et au grand public !
Qu’est-ce que Wika ?
C’est une nouvelle série plutôt grand public, parce qu’avec Requiem Chevalier Vampire on était allé assez loin dans la BD underground, avec des thèmes qui s’adressaient à un public particulier. On ne pouvait pas aller plus loin dans cette veine là et moi je me retrouvais avec un livre que j’avais du mal à offrir et qui ne plaisait pas à tout le monde. J’avais envie de faire un bouquin que je puisse présenter aux enfants, dont ma fille qui a treize ans.
Par rapport aux Chroniques de la Lune Noire qui étaient déjà grand public, comment plaçez-vous Wika ?
Les Chroniques de la Lune Noire étaient déjà plutôt sombres, il y avait déjà quelque chose d’underground. Quand on compare par exemple au Seigneur des anneaux, c’est beaucoup plus sombre et assez violent, avec un aspect irrespectueux...
On retrouve plein de références à la mythologie dans Wika. Y a-t-il des sources particulières ?
Wika, petit chaperon rouge
seul et désespéré
On s’est surtout inspirés de la mythologie des contes et de l’univers féérique en général. Après on a intégré plein de choses de la mythologie viking et nordique et des contes arthuriens aussi. Je trouve qu’il y a un ensemble cohérent, une unité dans ces univers. Pour donner un seul exemple de référence nordique, le père d’Obéron s’appelle Wotan, comme le père de Thor...
Après il y a aussi des références aux contes de Grimm : l’héroïne s’appelle Grimm et il y a les trois petits cochons. Sans compter que l’héroïne est habillée en chaperon rouge et est poursuivie par des loups ! On a construit vraiment un récit empli de références !
Wika est un projet dont vous êtes à l’origine. Quel est l’apport de Thomas Day, le scénariste ?
J’avais écrit une trame à peu près complète mais elle a été beaucoup modifiée depuis. Je voulais faire une histoire qui met en avant l’univers des contes traditionnels de Grimm. Thomas a créé pas mal de choses de son côté et on a beaucoup travaillé à deux. Après tant de travail il est difficile de savoir qui a fait quoi. Il s’est greffé sur ce projet mais se l’est totalement approprié depuis, c’est un vrai travail de binome qui est à l’oeuvre !
Quand on regarde vos bandes dessinées on remarque une signature dans le dessin. Avez-vous des références pour tenir cette continuité ?
J’ai pas mal d’influences. Quand j’apprenais à dessiner, adolescent, je lisais d’un côté de la BD européenne : Moebius, Loisel. J’aimais aussi beaucoup ce qui provenait des illustrateurs anglais de fées, dont Alan Lee, Brian Fraudes. Depuis que je suis tout petit, je suis aussi un lecteur de comics, notamment de Bushema, Bernie Watson et Frazetta. Ce sont des gens qui m’ont marqué.
Rowena, avide de vengeance...
C’est assez marrant parfois il y a des dessins où je les retrouve. Là, je suis en train de travailler sur le début du second volume de Wika et quand je dessine Wotan, on dirait un Bushema. Comme j’ai appris en copiant des dessins, ça ressort tout seul.
Dans Requiem, par exemple, il y a une séquence où des pirates attaquent un train avec une tête de squelette. J’étais content de ma compo et un jour je trouve la liste des hommages présents dans Requiem qu’avait faite un type. Et ce train provenait d’une pochette de Motörhead qu’effectivement j’avais vu adolescent. Je l’avais complètement oubliée ! Mais elle est ressortie comme une copie conforme !
Et d’où proviennent vos idées de costume, très variées ?
Là encore, pour rester dans l’univers du conte de fées, j’ai choisi des vêtements du XVIIIe siècle. Il fallait être cohérent aussi avec le steampunk, en se situant entre XVIIIe et le XIXe avec des uniformes napoléoniens et des hauts-de-forme ou des épaulettes pour les garçons. Quant aux robes féminines, elles sont plus du XVIIIe siècle.
Les enfants loups d'Obéron, prêts à se battre contre les hamadryades
Un auteur qui met des cases dans les galeries.
Vous travaillez énormément sur vos planches, à tel point qu’on se demande si c’est pour l’exposition ou la BD ?
C’est fait pour les deux, je fais des expositions depuis longtemps donc quand je fais une page de BD, je pense à une autre dimension picturale spécifique. Je sais très bien que la dorure ne passera pas à l’impression, c’est pour ça que je suis content quand il y a des expositions comme aujourd’hui. J’aimerais bien que ça tourne un peu plus souvent. C’est une nouvelle manière de travailler que je développe avec Wika et l’exposer permet de montrer une partie de mon travail que la bande dessinée ne transmet pas.
Vous travaillez en couleur directe depuis longtemps, est-ce une marque de fabrique?
Obéron, cruel et sans pitié,
s'apprête à tuer le père de Wika
J’ai commencé à faire de la BD peu après les progrès techniques qui permettaient d’utiliser la couleur directe. Heureusement pour moi d’ailleurs car je sortais des Beaux-Arts et je ne savais que peindre ! Je ne savais même pas qu’on faisait autrement !
Quand on m’a mis un bleu entre les mains je ne savais pas ce que c’était. J’ai essayé mais j’ai trouvé ça chiant. Quand j’ai commencé les Chroniques de la Lune noire, j’avais 19 ans. J’ai travaillé en noir et blanc avec un coloriste mais je n’arrivais à faire ce que je voulais avec les scénarios de Froideval. Mais mon style change, il y a des choses que je faisais graphiquement en utilisant l’aérosol à l’époque de Sha que je ne saurais plus faire maintenant. C’est parce que je n’ai plus envie de les faire et qu’en ne les travaillant plus on les perd. J’évolue avec le temps et mon dessin aussi...
Pensez-vous que le statut du dessinateur de BD a évolué ?
La posture a beaucoup changé avec Bilal et Hergé. A partir du moment où leurs planches ont atteint des records dans les salles d’exposition qu’on a commencé à s’intéresser au travail du dessinateur de BD comme celui d’un artiste. La bande dessinée a l’avantage, et c’est surtout le cas en France, de laisser plus de marge au dessinateur. Il y a un ton plus libre qui aide à la qualité.
Et est-ce que vous avez des projets en tête, après Wika ?
Des projets, j’en ai plein. Je travaille sur Wika en mais ce qui est pratiquement sûr, c’est que je vais faire un projet sur Hokusai. Je voudrais partir d’une estampe, Le rêve de la femme du pêcheur, qui représente une femme qui fait l’amour avec des pieuvres. On le voit de temps en temps mais rarement dans les livres sur Hokusai. A partir de ça on veut créer une histoire un peu Lovecraftienne sur la côte japonaise.
Titania, prête à affronter son destin...
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