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La Comédie du monde de l'entreprise

En 2004, sortait Bonjour paresse, best-seller de Corinne Maier. La voici sous les feux de la rampe sans y être préparée. Elle revient sur cette période avec une BD pleine d’humour dessinée avec malice par Aurélia Aurita, qui a aussi connu l’emballement médiatique. Ces deux auteures nous racontent comment elles ont élaboré cette histoire de concert !

Leur vie est un best-seller

Comment avez-vous eu envie de passer du documentaire à cette autofiction ?

Corinne Maier : Je me mets pas mal en scène dans certains de mes pamphlets donc ce n’est pas totalement nouveau pour moi. Je pousse juste un peu plus loin le bouchon ici, en m’inventant un double. Corinne est une grande fille toute simple qui monte sur le ring du monde et se fait casser la gueule. Attention, la Corinne de la BD n’est pas moi.

Le best-seller n’est qu’un prétexte ; ce qui m’importe, c’est de pasticher cette société étrange qui est la nôtre. Et de continuer à rire du jargon d’aujourd’hui, cette novlangue de « business » qui s’est répandue partout.

Comment avez-vous choisi ce titre ?

Corinne : C’est un scénariste de cinéma qui me l’a soufflé quand mon livre Bonjour Paresse a eu le succès qu’on sait, il y a une dizaine d’années. Donc ce scénariste, croisé par hasard à la Librairie Les Lettres du temps (qui figure dans la BD), m’avait dit à l’époque : « c’est incroyable ce qui t’arrive, tu devrais en faire un scénar’, j’ai une idée de titre, ça pourrait s’appeler Je suis un best-seller ». Avec Aurélia, nous avons recyclé cela en Ma vie est un best-seller. Comme quoi, les bonnes idées ne sont jamais perdues !

Vous n’avez plus peur de l’emballement médiatique que pourrait susciter le retour sur cette affaire ?

Corinne : Ah non, pas deux fois ! Vraiment, sans façon, ce serait trop. Mon quart d’heure de célébrité m’a suffit. Cela dit, j’espère juste que la BD plaira au public.

Aurélia, en quoi cette histoire vous a touchée particulièrement ?

Aurélia Aurita : Cette histoire a l’originalité de mêler trois milieux différents : la grande entreprise, l’édition et les médias. Je ne connaissais pas du tout le monde de l’entreprise et j’étais curieuse de le découvrir à travers les yeux de Corinne. Le milieu de l’édition, je le connais un peu et celui des médias aussi car j’ai également connu un « buzz » avec ma BD Fraise et Chocolat.

Comme Corinne, j’ai eu à gérer cet emballement soudain, le fait d’être tout à coup surexposée et hyper sollicitée, avec en prime la sensation de ne plus s’appartenir et la peur de perdre ses repères (je n’avais que 25 ans à l’époque). Alors oui, cette histoire m’a touchée personnellement. Je la vois comme un écho à ma BD Buzz-moi, où je raconte ce type d’expérience, mais sur un mode plus autobiographique.

Comment travaillez-vous ensemble ?

Corinne : Je propose, Aurélia dispose. J’ai beaucoup d’idées, c’est elle qui fait le tri ! Et elle aussi a beaucoup d’idées. On se stimule et on réfléchit ensemble.

Aurélia : Dès le début, il y a eu un vrai échange entre Corinne et moi. Pour que notre collaboration soit réussie, il fallait que je m’approprie complètement son histoire. Après lecture de son premier jet, je lui ai suggéré des modifications au niveau du découpage, du choix des scènes et sur quelques points de dialogue.

Le découpage est quelque chose de très personnel, chaque dessinateur a sa manière de faire, c’est ce qui va donner un rythme de lecture, une narration qui est indissociable de son dessin. De son côté, elle me faisait des remarques sur la physionomie de tel ou tel personnage, sur un dialogue à affiner… Puis nous avons continué les ajustements tout le long du livre, jusqu’à la dernière ligne. C’était très fluide et très agréable.

« Je ne suis pas calmée »

Quels documents avez-vous fournis à Aurélia pour recréer votre monde de l’entreprise ?

Corinne : Aucun, elle s’est renseignée par elle-même. Et elle le restitue parfaitement. On s’y croirait ! Heureusement pour moi, ce n’est que le temps d’une BD...

Pourquoi avoir pastiché les noms ?

Corinne : Pour introduire plus de distance, et esquisser une mini-comédie humaine, avec des personnages très divers qui sont des paradigmes, plus que des individus avec une carte d’identité et une date de naissance.

Aurélia, vous épurez vos personnages et leurs laissez quelques détails représentatifs : comment les choisissez-vous ?

Aurélia : J’ai un dessin qui n’est pas réaliste et qui privilégie les expressions du visage et les points de détail. Comme l’histoire était tirée de la vie de Corinne, je voulais donner un aspect « vécu » à mes dessins. J’ai donc pris modèle sur des personnes de ma connaissance, qui auraient pu jouer ces personnages si la BD avait été un film. À partir de là, le choix des expressions et des détails représentatifs était très facile, il me suffisait de puiser dans ma mémoire.

De quoi est né le traitement particulier des couleurs de ce livre à dominante noir et blanc ?

Aurélia : À l’origine, Corinne et l’éditeur n’avaient pas de préférence pour que le livre soit en couleur ou en noir et blanc. Mais j’avais remarqué que le scénario de Corinne mettait l’accent sur des touches de couleur (la couleur du scooter, un personnage qui tire la langue…). Alors je me suis dit qu’on pourrait utiliser cette idée des touches de couleur, mais en lui donnant un sens supplémentaire.

C’est ainsi que le rouge est venu. Cette couleur symbolisant la révolte, la liberté mais aussi l’érotisme (le soutien-gorge d’un des personnages en témoigne). Au départ, le livre est en noir et blanc, pour signifier le conformisme de la vie de l’héroïne avant qu’elle ne jette son pavé dans la mare. Puis la couleur arrive par petites touches de rouge, jusqu’à exploser dans les dernières pages.

Avez-vous eu l’impression d’avoir eu un humour moins cynique, plus doux avec le médium de la BD ou le recul ?

Corinne : Ce sont certains de mes personnages qui sont cyniques, pas mon humour. Quoique... La fonction de l’humour est de démasquer : il fait apparaitre les semblants de notre société « fake », où le bien, le juste et l’équitable sont sans cesse brandis – souvent par des crapules... Bref, je poursuis le même chemin qu’avec certains de mes pamphlets, mais avec d’autres moyens. Plus doux ? Je ne crois vraiment pas. En clair, je ne me suis pas calmée, ne croyez pas ça...

Un petit mot sur la couverture, pastiche très drôle ?

Aurélia : C’est un clin d’œil aux couvertures littéraires, avec le traditionnel bandeau rouge, qui m’a toujours fait penser aux bandeaux des kamikazes. C’est un peu ce que m’inspire la rentrée littéraire en France, avec tous ces livres qui se bousculent sur les tables des libraires entre fin août et début novembre.

Corinne : J’aime les pastiches, les détournements, et de façon générale tout ce qui figure dans la catégorie « vrai-faux ». Le côté « clin d’œil » donne le ton de l’ouvrage.


D’autres projets sont-ils déjà en cours ?

Corinne : En octobre prochain je sors un Einstein, en collaboration avec Anne Simon, chez Dargaud ; j’ai déjà eu la chance de travailler avec cette talentueuse dessinatrice sur un Freud et un Marx, deux biographies dessinées. L’automne, ce sera donc Einstein et moi : un sacré couple de stars [Rires]. Je plaisante, bien sûr.

Aurélia : Oui, plein ! Mais je n’en parle jamais avant qu’ils soient à un stade très avancé.

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