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Crevards en terre inconnue

Camille Burger est partie au Mexique avec deux comparses. Elle en est revenue avec un carnet plein à ras bord d’anecdotes et de gags dont elle a tiré El Guido del Crevardo. Après une prépublication dans les pages du magazine Fluide Glacial, son périple devient un album, dont elle raconte la genèse et l’esprit, entre second degré et gros délire.

Rire de la bêtise universelle

Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?

Camille Burger : Je suis née en 1979 en Alsace, le pays de la Knack. J’y ai fait les Arts Décos de 2000 à 2005, juste après avoir abandonné la fac qui ne considérait pas vraiment la BD comme un art... Avec les Arts Décos, je suis allée à Angoulême et y ai rencontré l’équipe de Fluide Glacial, dont Albert Algoud, le rédacteur en chef de l’époque. Grâce à lui, j’ai pu publier dans Fluide Glacial. Quand il a quitté Fluide Glacial, j'ai continué à travailler pour le journal mais ça n'a pas été facile car le rédac’ chef suivant (que nous ne citerons) n'aimait pas mon travail. On m'a quand même laissé faire un album en 2009 chez Fluide Glacial : Linda Glamouze.

J'ai donc plus travaillé en jeunesse à cette époque, pour Tchô essentiellement ! Je trouve que les mécanismes de l’humour sont universels : les ressorts de l’humour sont les seuls éléments qui varient entre la jeunesse et l’adulte. J’adore jongler entre le côté un peu frais et léger pour les plus jeunes et celui bien trash ! A ne faire que du trash, j’aurais peur de tomber dans la provoc’ pour la provoc’. C’est agréable d’avoir du recul pour repenser ses scénarios d’humour.

J’ai aussi fait un passage à l’Echo des Savanes et même du parascolaire pour des Belges : je me suis toujours débrouillée pour vivre de mon dessin ! C’est mon côté « fridolin », travailleuse, toujours besogneuse ! [Rires] Et puis faire de la BD, c’est un métier génial où tu as plaisir à te lever tous les matins.

Comment êtes-vous arrivée au Guide du crevardn El Guido del Crevardo, pour le Mexique ?

J’adore voyager : déjà en 2007 quand j’étais en Thaïlande et au Nicaragua, j’emmenais un carnet pour y faire des crobars et noter des petites anecdotes. Je me disais que cette matière pourrait donner une BD. Quand on a projeté de partir au Mexique avec Pierre Place, je me suis dit : cette fois c’est bon j’en fais un récit ! J’ai choisi de raconter ce voyage comme une tranche de vie, histoire de structurer les anecdotes.


J’adore le décalage qui existe lors d’un voyage : tu découvres un autre rapport au monde, remets en question tes habitudes, ta culture ! Et c'est ça qui est le plus drôle à transcrire : le décalage entre les incompréhensions des peuples, additionné aux résidus post-colonialistes (que l'on trouve encore dans beaucoup de cerveaux de voyageurs) face aux locaux qui ne sont pas dupes, qui ont un raisonnement totalement différent et qui sont aussi là pour faire leur beurre. C'est peut-être le mépris global qui donne lieu aux situations les plus absurdes.

Quand tu vas voir ailleurs, tu te rends compte que la connerie n’a pas d’âge, de sexe, de peuple ou de religion ! C’est universel et drôle à transcrire ! Grâce à ça, on peut faire de la vanne sur tout le monde !


D’ailleurs s’il y a un peuple qui prend cher, c’est les Américains touristes au Mexique…

Ceux qu’on a rencontrés étaient terribles : le type même du beauf moyen parti en croisière discount ! D’ailleurs, l’obèse qui attend que sa femme soit partie pour nous montrer son micro-pénis sur la plage, ce n’est pas une invention de ma part, ça nous est vraiment arrivé !


Des anecdotes et des comportements débiles, il y en a partout, surtout quand il y a du tourisme de masse : j’aurais pu faire 15 pages de ces rencontres, tellement il y avait matière à sketch quand les cargos se sont mis à décharger ces hordes de touristes qui carburent à la techno et à la Budweiser !

Pas politique mais documentée

Pourquoi avez-vous choisi d’animaliser vos personnages ?

J’adore dessiner les animaux. Comme c’est original : « quand j’étais petite j’adorais les poneys, etc. » [Rires]. Je me retrouve plus dans le graphisme animalier, car je trouve que mes gueules de bestioles sont plus authentiques que mes gueules d’humains. Dessiner des animaux permet en plus de sortir des représentations des différents peuples : comme si j’avais fait tous les humains verts par exemple !

Comment avez-vous choisi les animaux pour vous représenter ?

Au hasard ! Bon, j’ai quand même discuté avec les copains avec qui je suis partie, car ils en prenaient aussi pas mal pour leur grade dans l’album ! Bien sûr, l’esprit n’était pas de se mettre en valeur ! Bien sûr j’ai forcé le trait et en ai fait des caisses, c’est un peu le but de l’exercice !

Comment avez-vous travaillé sur place ?

Durant le voyage, j’ai pris des notes dans un carnet, y faisais des mini-BD, collé des machins. Mine de rien, comme j’adore dessiner et qu’en plus j’étais en vacances, j’étais détendue : c’était donc super agréable à faire !


Une fois rentrée, avec toute cette matière brute, tu te demandes : mais qu’est-ce que c’est que TOUT ça ? J’ai tout remis en ordre sur 2 ans et demi : j’ai commencé à tâtons et très vite je savais que la BD ferait 96 pages environ. Durant la première moitié, j’ai vraiment suivi le rythme du voyage puis pour la fin, j’ai élaboré un plan pour la fin. Mais j’ai utilisé que la moitié du carnet : j’aurais pu faire 200 pages, mais j’ai choisi ce qui me semblait le plus drôle, le plus pertinent !

Alors que je ne m’étais pas documentée avant mon voyage au Mexique, j’ai beaucoup lu sur le sujet à mon retour, de l’éthnographie à l’histoire, ce qui a donné aussi une nouvelle dimension à mon récit ! Aujourd’hui je pourrais te faire un exposé sur les différentes périodes historiques du pays, qui est très complexe !

Souvent vous insèrez des touches de ce savoir entre deux gags…

C’est vrai ! Même si je me suis beaucoup limitée pour que l’ensemble ne sonne pas trop didactique… Il me reste des moooooooontagnes d’informations que je n’ai pas pu caser !

Ce sont des vraies pages de carnet entre les différents chapitres ?

Non ! Le graphiste de Fluide Glacial m’a fait remarquer que l’album était un peu dense, vu que j’ai tendance à ne pas « gâcher » le papier et donc à bien remplir les planches ! Il m’a proposé d’insérer des pages de carnet et comme je voulais insérer un truc super propre, je les ai redessinées entièrement !

Il y a eu des anecdotes pas racontables ?

Les trucs trop « politiques », comme les massacres de leaders, je les raconte autrement : par exemple je fais parler un contestataire mort : « Avant je manifestais. Maintenant que je suis mort, on va boire des coups ! » Je me suis aussi limitée dans la critique, car j’ai vraiment beaucoup aimé ce pays mais comme j’ai une large tendance à tout critiquer, j’aurai pu donner une image fausse du pays !

Ce livre est avant tout pour moi un outil : si tu veux aller au Mexique, tu peux y apprendre des choses en te poilant, si tu y as déjà été, tu y retrouveras des petites choses déglingos que tu as peut-être vécues !

Comme la reconstitution de sacrifice humain ?

Lui, je l’ai complétement imaginé : ce serait quand même un peu de mauvais goût, surtout que le cochon se fait vraiment éventrer dans ma scène ! Comme j’ai représenté les Espagnols, sous forme de chevaux vu que ce sont eux qui les ont introduits en Amérique, c’est un groupe de chevaux qui hurle au scandale sataniste…

Quels sont vos projets à venir ?

Un guide ethnographique sur les autochtones alsaciens destinés aux voyageurs mexicains ! [Rires]

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