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La BD, fontaine de Jouvence de Béja

Béja s’est fait un nom dans les revues dessinées tels qu’A suivre grâce à ses influences marquées par la ligne claire. Aujourd’hui, le dessinateur se tourne vers le jeune public en assurant le dessin de Bécassine et de l’adaptation BD de la série Le Club des cinq. Dans un entretien, il nous explique son parcours et cet atterrissage dans la BD jeunesse.

Hisser la BD en art littéraire

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Béja : Il est assez long. J’ai démarré dans les années 80 en collaborant avec Métal Hurlant. J’ai ensuite enchaîné trois-quatre ans de collaboration avec la revue A suivre chez Casterman, mais cette fois-ci dans le roman. Déjà jeune, j’avais l’idée de travailler dans la bande dessinée avec des références de ligne claire, j’étais déjà un grand adepte de Joost Swarte et Ever Meulen.

Extrait de Bécassine

Est-ce que vos nombreuses collaborations avec votre père, Nataël, vous ont poussé sur cette voie ?

C’est plutôt l’inverse ! Nos collaborations ont commencé lorsque j’ai voulu faire Les Griffes du Hasard, une série très romanesque et construite dans la psychologie des personnages. Mais vu les exigences que j’avais vis-à-vis du scénario, j’ai vite réalisé que l’élaborer avec le dessin allait être compliqué. J’ai donc demandé à Nataël, si ça l’intéressait de m’épauler à l’écriture, surtout au niveau des dialogues.

Peu à peu, la relation s’est étoffée du travail en commun avec Jean-Paul Mougin, rédacteur en chef d’A suivre, qui appréciait notre tandem. Il y avait déjà entre nous une façon très naturelle de travailler, qui ne laisse aucune place à notre vie personnelle. À partir du moment où l’on est sur projet, il n’y a que ça qui compte.

Vos années de collaboration chez A suivre vous ont vraiment aidé à définir votre ligne artistique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette collaboration était passionnante. L’idée même d’A suivre était de tirer la BD vers quelque chose de plus littéraire. Ce courant a vraiment enclenché un foisonnement intéressant dans la production de la BD durant les années 90. Aujourd’hui, le paysage a changé et cette ligne éditoriale a été pas mal abandonnée. Nataël et moi avons quand même commencé des projets comme Fantic, chez EP Editions, qui n’a malheureusement pas continué. A partir de là, j’avoue avoir eu un passage à vide dans la bande dessinée, malgré des idées qui me venaient ça et là.

Extrait du Club des cinq

Puis sont venus les projets Bécassine et Le Club des Cinq...

Les deux sont intervenus à des périodes différentes et ont mis du temps à démarrer. Il y a quelques années, j’ai été contacté par Hachette pour dessiner l’adaptation BD du Club des cinq. Seulement des soucis juridiques ont mis au point mort l’idée pendant deux ans. Entre temps on m’a proposé de reprendre graphiquement la BD Bécassine. Après quelques tests, l’éditeur Gauthier-Languereau m’a finalement confié la mission.

Revenir à son enfance

Avec Bécassine, vous atterrissez sur un terrain nouveau : la BD jeunesse. Que vous a apporté cette expérience ?

Reprendre le dessin de Bécassine, c’était revenir aux prémices de la BD, qui est un art très jeune. À l’époque, Joseph Pinchon, le dessinateur, préfigurait ce qui allait devenir la ligne claire, une forme graphique très présente dans la tradition franco-belge. Quand je me suis replongé dans les albums, j’ai découvert une narration assez approfondie, avec des prouesses graphiques assez osées. Il y avait une force dans cette façon de ne pas faire des cases, pour laisser les banderoles et les personnages s’exprimer librement.

Mon but était de travailler avec cette base de ligne claire, que je défends depuis mes débuts dans le métier. La simplicité du trait permet d’atteindre une pure narration, plus fluide. Au départ l’idée était de projeter Bécassine dans un découpage plus moderne et banal. Or pour moi, oublier la forme initiale était une erreur. Il a fallu trouver un compromis pour moderniser la lecture, tout en gardant son essence historique.

Extrait de Bécassine

Comment avez-vous concilié ces deux aspects ?

Au niveau du dessin, je me suis arrangé pour garder la ligne claire, tout en sortant des critères dans lesquels Bécassine était enfermée, c’est-à-dire ceux d’une petite gourde, lourdaude et rapidement dépassée par ses émotions et sa volonté de bien faire. Pour apporter de la légèreté à ses traits de caractère, il fallait que je la rendre graphiquement plus souple et harmonieuse. Mon but était d’en faire une sorte de petite poupée, à laquelle les jeunes lecteurs pourraient s’attacher.

Avez-vous ressenti la même ferveur artistique en travaillant avec Nataël sur l’adaptation du Club des Cinq ?

Il s’est passé autre chose. Quand Nataël et moi avons fait le premier album, il s’est dégagé un sentiment de plaisir. On avait l’impression de renouer avec notre âme de gamin et ce sentiment de première lecture que j’ai eu adolescent avec Tintin, par exemple. L’autrice des livres, Enid Blyton défendait farouchement la jeunesse. Elle insistait beaucoup sur l’importance des enfants à ne pas rentrer dans le monde des adultes et c’était une joie de servir cet angle-là.

De plus, elle était visionnaire sur des sujets comme le genre. On le voit avec le personnage de Claude, qui assume pleinement ses allures de garçon manqué. Et l’aborder dans un livre jeunesse, c’était fort surtout à son époque. [la première parution française de la série Le Club de cinq remonte aux années 50 N.D.L.R] Ce projet m’a mis face à des défis, comme éviter d’alourdir les planches de détails, pour rendre les décors, les personnages, leurs mouvements et l’histoire aussi lisibles que les romans. C’était vraiment un plaisir à tous les niveaux !

Extrait du Club des Cinq

Les illustrations du Club des cinq et ses personnages ont évolué depuis les premières parutions. De quelles interprétations graphiques vouliez-vous vous approcher ?

J’ai d’abord cherché les premières éditions. En observant bien, au fil du temps, les représentations n’avaient aucune continuité : un coup François était petit, l’autre fois grand, puis de blond sa coiffure passait au roux. Je n’avais aucun repère précis sur lequel m’appuyer. J’ai eu donc le même raisonnement qu’avec Bécassine : quel est le sens de ces récits ? J’ai vite réalisé qu’il raconte une enfance qui ne se passait pas comme celle d’aujourd’hui. Quel parent permettrait maintenant à son enfant de faire des balades en barque et de s’aventurer sur une île ?

C’est un imaginaire de la jeunesse d’après-guerre qui rêve de liberté. Il est certes éloigné de notre époque mais possède une intemporalité qui était sympa à faire ressurgir, sans faire ressortir la veine historique. Le choix de garder le décor des années 50 nous a semblé alors judicieux. D’ailleurs beaucoup d’adultes sont venus nous voir en dédicace pour nous dire qu’ils s’étaient retrouvés dans les histoires qui ont bercé leur enfance. Cela montre bien que Le Club des cinq est le genre de série dont la lecture se transmet génération après génération.

Extrait de Bécassine

Est-ce que ces projets vous incitent à rester dans la BD jeunesse ?

En tout cas Nataël et moi sommes bien partis pour avec Le Club des cinq. Nous travaillons actuellement sur l’adaptation du troisième tome de la série. Nous mettons à point d’honneur à respecter sa chronologie, car certaines énigmes se résolvent sur plusieurs tomes.

À côté, je reste toujours au dessin de Bécassine. Pour moi, la BD était d’abord un art qui devait tendre vers quelque chose de littéraire. Avec le temps j’ai l’impression qu’elle est aussi un prétexte pour revenir sur des espaces déjà explorés : les premières émotions, les premiers amours, premières expériences... Bref, la BD est ma nouvelle eau de Jouvence !

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