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Après l'apocalypse, dans la forêt

En cette rentrée, le best-seller de Jean Hegland, Dans la forêt, se voit magistralement adapté en BD par Lömig. L’auteur a accepté de nous parler de son travail sur ce huis-clos qui met en scène deux sœurs au coeur de la nature californienne après l’effondrement de la civilisation.

Pourquoi avoir choisi d’adapter ce roman ?

Lömig : C’est Frédéric Lavabre, mon éditeur chez Sarbacane, qui m'a proposé de lire ce magnifique roman de Jean Hegland. Elle l’a écrit dans les années 90 et je trouve qu’il a peut-être encore plus de force aujourd’hui car ce scénario est malheureusement de plus en plus probable. J’espère qu'on sera capable de changer notre façon de vivre pour éviter un bouleversement aussi brutal.


On a une chance incroyable de pouvoir profiter d’une nature si belle et si riche – d’ailleurs cette histoire en est un véritable hymne – mais on ne sait plus la respecter, on a un peu trop oublié son importance... Lors de ma lecture, j’ai aussi été saisi par l’évolution psychologique de ces deux sœurs livrées à elles-mêmes au milieu de cette forêt californienne. Elles doivent faire un vrai processus de deuil pour réussir à accepter que la vie qu’elles s’imaginaient pouvoir vivre ne sera désormais plus possible. Bref, c’est un roman qui m’a fait une très forte impression.

On retrouve dans ce titre des thématiques qui vous sont chères, dont une critique sociale, additionnée à un quasi huis-clos en pleine nature…

Du coup, j’avais quelques petits repères en me lançant dans cette nouvelle aventure ! C’est vrai que cette dimension critique envers notre société me parle beaucoup. Il y a une vraie remise en question de notre façon de produire, de consommer, d’appréhender notre environnement et de concevoir la vie dans ce livre. Puis, effectivement, il y a l’isolement. Je n’y avais pas vraiment pensé mais les personnages principaux de mes albums antérieurs sont eux aussi souvent isolés même si, paradoxalement, ils vivent en ville. En tous cas, ça m’a fait du bien de prendre le chemin des grands espaces et de la forêt. J’ai pris beaucoup de plaisir à dessiner ces planches, même si c’était un travail très long et minutieux.

Avez-vous puisé dans d’autres œuvres pour forger les visuels de Dans la forêt ?

J’ai grandi près d'une forêt où j’ai passé moi aussi pas mal de temps à jouer aux Indiens, à construire des cabanes. Tout cela m’a marqué durablement et je suis assez à l’aise lorsqu’il s’agit de dessiner la nature. Enfin, j’ai tout de même eu besoin de collecter pas mal de photos pour m’imprégner de la culture américaine, de la Californie du Nord et de ses séquoias géants.

Y a-t-il des passages pour lesquels le passage du texte à l’image a été plus difficile ?

Pour moi, la plus grande difficulté a été de supprimer des séquences car j’étais tellement respectueux de l’œuvre initiale que je n’osais rien couper. J’ai dû me faire violence mais ce sont justement ces choix qui sont intéressants parce qu’ils permettent de s’approprier un peu l’histoire en la faisant vibrer différemment. Pour ce qui est du dessin, j’ai eu du mal à représenter le désordre dans la maison et son évolution au fil du temps. Ce n’est pas facile d’imaginer la circulation des objets dans une pièce où vivent juste deux ados en mode survie... J’aurais dû prendre des photos à l’époque de mon premier studio !

Avec son aspect assez contemplatif, le roman fait de la forêt un personnage à part entière…

Bien sûr, la forêt est centrale dans le roman et je devais lui donner cette même place dans l’adaptation BD. Je voulais aussi la représenter comme étant le reflet de l’état d'esprit des deux sœurs. Lorsqu’elles sont dans le déni, la forêt apparaît un peu comme un décor irréel, sans profondeur, qui les rend prisonnières. Quand la peur et la dépression succèdent à la colère, la forêt devient carrément menaçante, oppressante. On a l’impression qu’un danger potentiel se cache derrière chaque tronc, derrière chaque taillis... Et, plus tard, la forêt devient encore tout autre car le regard des filles a encore changé. Je voulais essayer de faire ressentir ça avec mes dessins : leurs regards changent leur monde.

Vous avez fait le choix du noir et blanc et du crayon de papier…

Je voulais un rendu qui soit chaleureux, qui apporte de la douceur et des effets de matière. Cette technique me paraissait tout indiquée. On avait pensé la compléter par une mise en couleur mais, finalement, ni moi ni l'éditeur n’avons été convaincus par les essais. On a préféré opter pour un renforcement de ces nuances de gris jusqu’à obtenir ce résultat.

Vous traitez la forêt et le danger en donnant une place majeure à l’attente du lecteur…

La tension est très forte dans cette histoire. Pour la créer, il fallait déjà que j’arrive à susciter au maximum l'empathie du lecteur pour ces deux sœurs. J’espérais qu’il puisse être dans l’attente avec elles, avoir peur pour elles, angoisser avec elles. Un non-dit, un regard, une certaine prise de vue, tout cela peut faire ressentir bien des choses... J’ai d’ailleurs réagencé la chronologie des événements pour rester au contact de cette tension montante jusqu’au point de rupture.

Contrairement à vos paysages, vos personnages ont des traits moins réalistes, est-ce pour privilégier leur expressivité ?

Je ne sais pas trop. C'est tout simplement ma façon naturelle de dessiner les personnages. Mais c’est vrai que je voulais rendre très perceptible chaque émotion.

Comment avez-vous choisi le physique des deux sœurs ?

Oh, ça n’a pas été facile, ça a même été un véritable casting. Il fallait déjà bien sûr que leurs physiques correspondent à leurs caractères, qu’elles se ressemblent mais pas trop non plus. On a beaucoup échangé avec mon éditeur sur ce sujet. Il m’a montré des photos d’actrices qui pourraient correspondre aux rôles. C'était  Lily-Rose Depp pour Nell et Lou de Laâge pour Eva, si je me souviens bien... Les seconds rôles ont été beaucoup plus simples à déterminer.

De quoi vous êtes-vous inspiré pour incarner les passages où Eva danse ?

Je me suis vraiment appuyé sur des photos pour ces séquences car je ne connais pas du tout la danse classique. Je sais que chaque mouvement est très précis et je ne voulais pas faire n'importe quoi. J’ai tout de même pris un peu de liberté par moment, pour rendre cette danse plus sauvage, plus libérée. J’espère que les spécialistes ne m'en voudront pas trop.

La danse et l’écriture tiennent une grande place dans le récit. Comment avez-vous composé le silence et l’attente de musique ?

L’histoire commence presque sur cela, sur la passion d’Eva pour la danse. Sa vie était entièrement vouée à cet art alors forcément quand il n'est plus possible de mettre de la musique, c’est son monde qui s’écroule. Elle représente tellement bien, à mon sens, cette capacité de l’être humain à s’adapter à toutes situations, à se réinventer. Ça donne beaucoup d’espoir... Et les passages où Nell écrit dans son journal m’ont vraiment aidé à préciser certaines choses, notamment sur son état d'esprit et sur sa vision de la situation elle-même... Elles ont chacune leur petite bulle, la danse et l’écriture. Ce sont des moments de recueillement. On les sent toutes les deux parfois tellement loin l’une de l’autre et, en même temps, tellement liées.

Après ce one-shot, envisagez-vous de vous lancer dans d’autres adaptations ?

Pourquoi pas. Mais pourquoi pas aussi reprendre mes propres scénarios... En tous cas, c'était une très belle expérience. J’ai eu la chance de bénéficier d’une grande confiance de la part de Jean [Hegland] et de Frédéric [Lavabre]. Ils m'ont accompagné tout au long de cette aventure avec beaucoup de bienveillance. Ça m'a permis de me libérer d’un certain poids car c’est vraiment intimidant de s’attaquer à un roman aussi marquant, un best-seller qui plus est. Je suis très heureux d’avoir fait cette adaptation et de pouvoir maintenant la partager.

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