Fondée en 2004, The Hoochie Coochie est une maison d’édition de BD alternative. Il s’agit de l’unique éditeur à avoir remporté deux prix consécutifs dans la catégorie BD alternative au Festival d’Angoulême en 2008 et 2009 pour les revues Turkey Comix et DMPP. Zoo part à la rencontre de Gautier Ducatez, éditeur historique des éditions The Hoochie Coochie.
Pouvez-vous me raconter l’histoire de la création de Hoochie Coochie?
Gautier Ducatez: Initialement, on faisait juste le fanzine Turkey Comix. Nous n’étions pas encore guidés par la volonté de devenir une maison d’édition. Mais grâce aux rencontres de personnes qui avaient vraiment envie de monter ces éditions, on s’est donc structuré, en association, en 2004. On a fait quelques essais de livres et puis en 2007, on s’est vraiment professionnalisé avec un imprimeur. Nous avions la volonté de diffuser nos œuvres le plus largement possible.
Vous avez vécu pas mal de changements depuis 2019, année où vous avez décidé d’installer Hoochie Coochie dans le Vercors, à Diois précisément. Par la suite, vous avez ouvert la librairie-galerie The Hoochie Coochie dans la Drôme. Puis, en 2021, vous changez de diffuseur. Etes vous en train de revoir la structure de votre maison d’édition?
G.D: En étant l’éditeur historique de la maison d’édition, il est important de comprendre que The Hoochie Coochie a toujours été un collectif. Même si maintenant, j’ai l’air d’être davantage mis en avant, il ne faut pas oublier la dizaine de bénévoles qui oeuvre dans l’ombre pour cette maison d’édition, dont le président Benjamin Hariot qui est très actif.
Nous avons vécu un moment assez compliqué à la fin de 2017 pendant lequel j’avais mis en pause mon travail d’éditeur car je n’étais pas en accord avec certaines orientations de la maison d’édition mais aussi pour certaines obligations personnelles. J’allais être papa et mon travail d’auteur me prenait beaucoup de temps.
Pendant cette période de pause, les auteurs de The Hoochie Coochie nous sont restés fidèles malgré tout. Et lorsque je suis revenu avec ce projet de renouveau en 2019, nous avions la matière première permettant ainsi d’envisager un futur possible pour la maison d’édition. Cela nous a permis de repartir sur des bases saines avec des auteurs qui ont gagné en maturité entre temps, qui ont obtenu un certain statut et qui reviennent d’autant plus fort dans notre catalogue.
Votre catalogue compte un certain nombre d’auteurs internationaux tels que l’Australienne Mandy Ord ou encore le franco-américain Christopher Hittinger. Est-ce un souhait de travailler avec des personnes venant de l’étranger?
G.D: Oui, c’est venu très tôt dans la maison d’édition. Le premier auteur étranger avec lequel nous avons travaillé est Gregory Mackay en 2005. Et ce désir de collaborer avec des personnes venant de l’étranger vient d’une specificité. Enfant, je n’avais pas beaucoup de BD chez moi. Mais mon frère qui habitait en Irlande, m’amenait beaucoup d’albums dont The Judge Dredd en anglais. Donc je ne suis jamais passé par la case Spirou et toute la BD franco-belge. J’ai lu surtout des BD anglaises qui répondent aux codes du comics dès mon plus jeune âge, ce qui m’a toujours donné envie d’aller vers d’autres scènes de la bande dessinée et voir ce qui se développait ailleurs. C’est donc pour ça pour le catalogue s’est très vite internationalisé avec notamment les auteurs australiens Gregory Mackay, Mandy Ord ou Matti Hagelberg qui est finlandais. Il y a également Victoria Lomasko qui est russe; je travaille sur l’un de ses manuscrits en ce moment.
Lorsque l’on avait la revue Turkey Comix, on comptait 12 nationalités différentes par numéro avec des artistes qui venaient du Liban, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Chine… Je trouve vraiment fabuleux de pouvoir faire découvrir des acteurs de la scène internationale. Cela nourrit mon appétit de lecteur et d’éditeur à la fois.
Concernant cette appétence pour l’étranger, on le ressent aussi dans le nom The Hoochie Coochie, quelle en est sa signification?
G.D: Ce nom vient de l’argo des bluesmen américains du début du XX ͤsiècle. The Hoochie Coochie se réfère à une danse sulfureuse et par extension à une vie peu vertueuse. Nous avons choisi ce nom avec le fait que nous soyons nombreux dans l’équipe à faire de la musique, du blues notamment, comme Etienne Savoie avec qui j’ai monté la maison d’édition. C’était une évidence de prendre un nom qui y fasse référence au moment du choix de l’appellation des éditions.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est la BD alternative selon The Hoochie Coochie?
G.D: Il y a un aspect contre-culture qui est présent dans le nom de The Hoochie Coochie justement qui forme THC, la molécule psycho active du cannabis. C’est un héritage de la contre-culture américaine des années 60 avec Robert Crumb notamment. Il y a donc ce côté rebel et punk dans le courant alternatif. Il s’agit de donner des BD qui donnent à réfléchir et qui ne sont pas du prêt à penser. Quand Alex Baladi sort Revanche par exemple, on peut le lire sans avoir les références cinématographiques. L’auteur donne un appendice à la fin de son livre dans lequel il explique comment l’influence de Sergio Corbucci, le réalisateur de westerns italiens, a été essentielle pour la création de sa BD.
Qu’est-ce que vous appréciez dans la BD alternative que vous avez connu notamment en devenant le créateur du fanzine Turkey Comix à seulement 22 ans?
G.D: J’aime qu’elle ne se mette aucune limite dans l’exploitation du médium Bande Dessinée. On peut donc tout envisager: des BD en volumes, des BD expérimentales pour la jeunesse ou encore aborder des sujets pointus et complexes comme avec les reportages dessinés de Victoria Lomasko sur des modes de vies alternatifs en Russie. C’est donc un mode d’expression assez riche et qui n’a pas de carcan. Cette caractéristique est justement primordiale pour The Hoochie Coochie. Nous n’avons pas de collection par exemple. Chaque fabrication est étudiée pour donner le meilleur support papier de ce que nous propose l’auteur.
Envisagez-vous un renouveau des ambitions éditoriales dès la rentrée de septembre?
G.D: On revient avec une publication beaucoup plus dense. Concernant la forme, il y a une forme d'innovation sur l'utilisation des matériaux qu'on n'avait pas connu depuis quelques années. Pour le troisième volume d’Anders, qui va paraître fin octobre 2021, on est sur un carton gris sérigraphié et marqué à chaud, ce qui est complètement iconoclaste pour un livre qui est destiné aux enfants.
On a donc de nouveaux ouvrages à venir les mois prochains comme Revanche de Baladi et le nouvel album de Mandy Ord, Sur les toits. Dès 2022, on a aussi de beaux projets comme le livre en papier découpé de Gérald Auclin qui revient pour un volume 2 mais pour les enfants cette fois-ci. 2022 signera aussi pour nous le retour d’Alex Chauvel, un auteur assez spectaculaire dans notre catalogue.
Y a t-il eu un moment fort que vous avez vécu avec The Hoochie Coochie?
G.D: Il y en a eu tellement… Mais il en existe un en particulier. C’était en 2009, l’auteur Jérôme Leglatin était de passage à la maison. On voit déjà le lien humain très fort qui nous unit les uns aux autres. C’était le matin, on venait de passer une soirée plutôt « arrosée ». Je vais chercher le courrier et je reviens avec le manuscrit de Le fils de l’ours père de Nicolas Presl qui est l’un des grands livres de notre catalogue. Et je me souviens encore de ce moment où l’on buvait notre café tout en ouvrant cette enveloppe afin de découvrir ce livre muet. On se passait les planches dans un silence extasié. Ce manuscrit n’avait besoin d’aucune retouche, il était parfait. En tant qu’éditeur, découvrir un tel ouvrage en compagnie d’un tel auteur, le matin, au petit déjeuner, ça reste un moment très marquant de ma carrière d’éditeur.
Avez-vous un titre à venir, coup de coeur, dont vous souhaitez parler?
G.D: Anders et le château de l’australien Gregory Mackay, le premier auteur non francophone à être entré dans notre catalogue. Il met en scène une histoire d’amitié très forte. On a été son premier éditeur en 2010 en publiant Francis Bear. Voyant cela, les éditeurs australiens lui ont proposé de faire la BD mais en jeunesse. C’est devenu la série Anders. Et en 2020, pour Anders et le château, il a reçu le prix australien "First Gold Ledger Award". C’est l’équivalent du fauve d’or à Angoulême. J’observe son statut d’auteur changer et évoluer avec beaucoup de plaisir. Je reste son traducteur en plus d’être son éditeur français. Le quatrième volume Anders et La Montagne est directement influencé par une randonnée qu’on a faite en plein hiver dans le Vercors avec Gregory Mackay. Il découvrit l’univers montagnard avec la neige et les vautours qui font 3 mètres d’envergure… Quand on arrive à ce stade d’imbrication entre un éditeur et un auteur, c’est vraiment une belle aventure.
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