En activité depuis 1977, Michel Rouge a laissé son trait dans les magazines Pilote ou encore Metal Hurlant. Il succédera à Hermann, collaborera avec Giraud, Chéret… Le dessinateur se confie sur ses prochaines sorties, la série Gunfighter et le très attendu Go West.
Revenons-en à la source, pouvez-vous me raconter vos débuts dans le dessin ?
Michel Rouge: C’est une question à laquelle il m’est impossible de répondre (rires): je n’en ai même pas le souvenir ! Cela remonte à tellement longtemps… A la petite école, au lieu d’avoir mon matériel pour les cours dans mon cartable, j’avais des illustrés, comme on le disait à l’époque. Je passais tout mon temps à recopier des dessins! C’est comme ça que j’ai commencé, comme tout le monde. Je suis entré dans l’univers de la BD avec le magazine Pilote. Un peu plus tard, j’ai passé énormément de temps à lire Bibi Fricotin.
Selon vous, votre trait appartient à quel registre graphique?
Michel Rouge: Il s’inscrit dans l’école américano-belge: c’est-à-dire l’école américaine revisitée par les dessins belges, comme a pu le faire Albert Uderzo, qui personnellement, m’a beaucoup marqué. Je pense notamment à toute la série qu’il a réalisée jusqu’à Mirage sur l’Orient, ce dernier étant un tome formidable.
Vous êtes dessinateur mais vous avez déjà été scénariste également, vous avez la double casquette…
Michel Rouge: Oh je ne me sens pas vraiment scénariste… Je n’ai fait que deux albums en tant que scénariste, et même pas tout seul puisque j’ai réalisé le scénario avec une tierce personne. D’ailleurs, je l’ai fait car je ne trouvais pas de scénariste souhaitant travailler sur l’Orient, un thème qui sort plus du conventionnel.
Est-ce que ces expériences vous ont tout de même aidé à devenir un meilleur dessinateur?
Michel Rouge: Je ne pense pas. En revanche, elles m’ont aidé à devenir plus exigeant sur les scénarios, à en comprendre leur rôle clé. Lorsque je me suis mis à en faire, j’ai compris que les scénaristes étaient lacunaires, hormis quelques pointures immenses, sur tous les plans. Ceux de l’époque ne me satisfassent pas. A ce niveau-là, il y a une véritable carence selon moi.
Pensez-vous que la BD a subi de gros changements au fil des décennies ?
Michel Rouge: Oui et hélas, ces changements ne sont pas positifs. Ce qu’on fait maintenant n’a plus rien à voir avec la période de Pilote qui était très créative. On a fouillé tous les horizons et on n’en a pas retiré grand-chose. C’est devenu très conventionnel aujourd’hui. Les dessinateurs n’ont pas suivi leurs maîtres, il y a eu une coupure. A mon époque, nous allions nous former auprès des anciens directement. Mais à partir du moment où il y a eu des écoles et que les journaux ont cessé de fonctionner, les dessinateurs se sont plongés dans l’individualisme, le chacun pour soi et ça se ressent !
Il n’y a plus la vitalité d’antan. Je pense que la faillite des journaux est en grande partie responsable de cette situation. Ces derniers créaient des courants, des appartenances. Les artistes qui travaillaient dans un même journal ou une maison d’édition formaient une famille; tout le monde se rencontrait, on échangeait.
Il y avait une compétition, certes, mais une compétition saine. C’était plus une émulation collective qu’autre chose. Plus rien ne correspond à l’activité artistique de l’époque. Après faut de tout de même nuancer: la nouvelle génération est différente, tout comme les préoccupations d’ailleurs, et il existe pléthore de nouveaux talents mais… il y a une chute. Prenons un exemple : qu’on ne fasse plus les lettres à la main, c’est grave ! Cela fait des bulles mortes, sans vitalité, toutes les écritures de BD se ressemblent, c’est terrible ! Le lettrage n’est plus en résonance avec le dessin! Ajouter à cela l’informatique qui a amené des choses intéressantes mais qui a gelé la créativité…
Pour vous, du coup, c’était quoi la grande époque de la BD ?
Michel Rouge: Celle de Pilote. Tous les dessinateurs qui en ont émergé: Giraud, Bretécher, Gotlib, Alexis, Tardi… Et puis Bilal évidemment! C’étaient des grands !
Malgré tout cela, avez-vous une BD coup de cœur parue ces dernières années ou un nouveau dessinateur que vous portez en estime ?
Michel Rouge: Oui bien entendu! je peux vous citer Franck Biancarelli, dont le travail est formidable ! C’est un grand dessinateur qui risque de nous surprendre encore. C’est un dessinateur différent des autres, car entre autres, il a été vivre chez Christian Rossi, il a appris beaucoup de lui, il a été sur le terrain et ça se voit.
Quel est votre rapport au Western ?
Michel Rouge: Il est particulier. A l’origine, cela m’est plutôt étranger, je ne viens pas de là. C’est Jean Giraud, avec qui j’ai collaboré, qui m’a branché sur ce courant. Maintenant, je travaille sur du western depuis longtemps mais je ne peux toujours pas visionner un film de western. Je sature. Alors que pour n’importe quoi d’autre, je regardais des films sur ce que je faisais.
Si ce n’est pas mon univers propre, je reconnais que c’est un genre qui offre beaucoup de possibilités et avec lequel on peut dire beaucoup de choses en bande dessinée. Et puis le western, c’est le monde moderne, c’est l’histoire de l’occident. Ce genre rassemble tous les germes, c’est central.
Je rencontre un grand dilemme par rapport au fait de dessiner les indiens. C’est un peuple qui a été décimé par les colons, c’est monstrueux! Et dessiner ces personnes qui ont énormément souffert, c’est difficile pour moi car ça me touche énormément.
Vous avez travaillé sur Go West en collaboration avec Corentin Rouge, votre héros est une héroïne. Est-ce une prise de position d’avoir une femme en héros dans un western, le genre masculin par essence?
Michel Rouge: Une femme qui est amené à tirer dans le western, c’est une femme qui devient un homme quasiment car elle prend les caractères humains de la masculinité. Dans la série Gunfighter, que je fais avec le scénariste Christophe Bec, il y a une femme présente dans le Tome 1. Dans le deuxième tome que nous sommes en train de construire, cette dernière apprend à tirer et devient une véritable Gunfighter elle-même!
Dans la réalité, à l’époque, il y avait des Calamity Jane mais ça restait exceptionnel. L’exception est ce qui est véritablement intéressant.
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