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Tristan Roulot nous parle de sa nouvelle série : Chroniques diplomatiques

Scénariste de talent, Tristan Roulot a collaboré avec Corentin Martinage sur Goblin’s et sur Hedge Fund avec Patrick Hénaff. Il s’attaque cette fois au monde de la diplomatie avec le premier tome des Chroniques diplomatiques, paru le 10 septembre 2021, en collaboration avec Christophe Simon, dessinateur. Nous l’avons rencontré.

Pourquoi avez-vous décidé de traiter de la diplomatie en Iran dans les années 1950, et plus particulièrement dans l’opération Ajax visant à démettre le premier ministre Mossadegh, dans Chroniques diplomatiques ?

Tristan Roulot : Cela s’est passé en plusieurs étapes. La première fut de trouver un projet pour collaborer avec Christophe Simon. Il terminait Kivu et il cherchait un nouveau projet de série. C’est notre éditeur commun, Lombard, qui nous a mis en contact. J’ai trouvé tout de suite le dessin de Christophe extrêmement élégant. Il fallait trouver un scénario qui mettrait en valeur son dessin et son appétence pour le vintage. Je voulais faire une histoire d’aventure avec un petit fumet Blake et Mortimer, alors on est parti sur les années 1950. Le côté exotique a déjà été bien fait avec Blake et Mortimer, j’ai essayé de trouver quelque chose d’autre et je me suis tourné vers la diplomatie. Les idées s’enchainaient à ce moment-là. L’Iran dans les années 1953, c’est aussi parce qu’aujourd’hui le sujet de l’extrême orient est très compliqué. Et c’est intéressant de trouver une des origines majeures de ce contexte. Et le fait que les archives soient ouvertes m’a permis de me documenter sur l’époque. Enfin, il a fallu mettre en batterie l’aventure, l’exotisme, un duo de héros et la diplomatie. Et tout s’est bien combiné !


Comment bien traiter de faits historiques et de personnalités réelles dans une bande dessinée ?

Tristan Roulot : J’adore tout ce qui est vulgarisation : creuser un sujet pour traiter tous les tenants et aboutissants. J’aurais pu faire un roman graphique, très documentaire, qu’avec des personnalités historiques. Dans ce cas, il suffit de découper l’action telle qu’elle est définie dans les documents et de reconstituer l’histoire. Mais, ce qui m’intéresse dans les BD franco-belge, c’est le côté divertissant de suivre un duo de héros de fiction, à l’ancienne. Alors on éclaire des données historiques mais comme un décor, que l’on découvre à travers les yeux des héros. Je trouve ça plus divertissant que beaucoup de BD documentaires qui sont un peu plates et qui manquent de hauteur sur leur sujet historique. Avec de la fiction, on prend un pas de côté et l’histoire devient plus mémorable. On se souviendra plus du personnage de Mossadegh tel que l’a dessiné Christophe et tel que je l’ai raconté, que si j’en avais fait quelque chose de plus documentaire. Une émotion se dégage de la fiction.

Vous avez pu consulter les archives du Quai d’Orsay mais aussi de la CIA pour écrire votre scénario, quelle archive vous a le plus marqué ?

Tristan Roulot : Ce qui est étonnant quand on lit les archives du Quai d’Orsay, c’est leur lecture au ras des événements et le manque d’une vue d’ensemble. Les diplomates français ne sont pas consultés pour ce que font les Anglais et les Américains. L’ambassade de France est prise dans un tourbillon. Pour ce qui est de la CIA, ce qui m’a beaucoup amusé, c’est le côté artisanal de leur premier coup d’Etat. Ça ne marche pas, ça piétine. Juste avant les Anglais avant tenté un renversement mais ils ont été chassés du sol iranien, obligés de faire le coup d’Etat depuis Chypre ! Et la CIA depuis le sous-sol de l’ambassade d’Iran. Le projet des Américains ne se fait pas sans heurt, ils y parviennent seulement avec plusieurs millions de dollars de corruption. Ils affineront leur processus au Guatemala, après cette première tentative un peu abracadabrante.



Vous placez la France au cœur du contexte des années 1950 en Iran : la diplomatie française avait-elle un réel pouvoir dans ce contexte ?

Tristan Roulot : La position de Jean d’Arven, le héros, est totalement fictionnelle. J’ai regardé les communications de l’ambassade de France et de l’ambassadeur de l’époque : ils étaient beaucoup moins pro Mossadegh que ne l’est mon héros. La position de l’ambassade de France est déjà très alignée sur celle de l’OTAN, donc sur celle des Américains. Je me suis permis un petit écart pour créer une histoire plus romanesque. Et ce qui est intéressant dans le fait de vivre l’événement depuis le point de vue de l’ambassade de France, c’est qu’elle n’a eu aucun impact sur ce qui s’est passé à l’époque. Je pouvais donc traiter le conflit depuis un œil de spectateur.

Le jeu de contraste entre la scène de réunion dans l’ambassade française, où les conseillers se concentrent pour des problèmes très protocolaires (la taille d’un drapeau !), et au même moment l’infiltration tendue de Jacques auprès du mouvement armé dirigé par l’Ayatollah Kachani sonne comme une douce critique de la diplomatie de boudoir…

Tristan Roulot : J’aime bien m’amuser avec les contrastes. Ici, on a fait une scène d’action qui se passe mal et en parallèle les discussions triviales d’ambassade, qui représentent 90% du travail de diplomate en temps normal ! Je me suis inspiré en partie de mon frère qui a travaillé en ambassade. Il m’a raconté plein de petites anecdotes de couloirs, qui n’ont pas d’impact géopolitique mais qu’il faut traiter avec autant d’importance que la venue d’un chef d’Etat ou un conflit armé aux frontières. Cette atmosphère d’ambassade est un peu comme un balcon en forêt : tant qu’il ne se passe rien, on ne fait rien et à un moment tout explose !

Comment avez-vous écrit le personnage de dandy ambassadeur de Jean d’Arven, le héros ?

Tristan Roulot : Il y a une petite inspiration amusée de mon frère pour le côté jeune premier plein d’idéaux. Jean d’Arven est un personnage très positif. J’ai fait beaucoup d’albums avec des anti-héros ces derniers temps, je voulais creuser la noirceur de l’âme humaine et comprendre pourquoi on n’agissait pas pour un bien commun mais par égoïsme. Mais, ici, je voulais un personnage lumineux avec une conception aigue du bien global, donc un personnage un peu jeune, peut-être un peu naïf mais très volontaire et brillant.

Pourquoi avoir ajouté des pages documentaires à la fin de l’album ?

Tristan Roulot : Ça fait partie des heureux hasards. J’avais écrit le scénario et, à la fin, on s’est dit qu’il manquait deux pages pour rendre l’album plus fluide. Alors on a du rajouté 8 pages, parce que l’album fonctionne par feuillet de 8. Et voilà les 6 pages documentaires. J’ai pu mettre tous les éléments que je n’avais pas pu traiter en profondeur dans l’album et qui enrichissent l’histoire. Il y a toujours eu des processus de réécriture de l’Histoire, moi, j’ai voulu m’en tenir aux faits qui sont rappelés à la fin de l’album.

Comment s’est passée votre collaboration avec Christophe Simon, le dessinateur de Chroniques diplomatiques ?

Tristan Roulot : C’est une collaboration qui a coulé de source du début à la fin. C’était extrêmement facile, très naturel. Dès que Christophe m’a dessiné Mossadegh ou les héros pour la première fois, c’était parfait. Il m’a montré le personnage de Jean qui a le regard doux, le visage très jeune, le petit côté dandy avec sa coupe de cheveux. Ce qui le rend un peu agaçant et en même temps touchant. Ça a été une collaboration idéale. Et, on parle assez peu de son éditeur de manière générale, mais Lombard a pris le projet et l’a amené toujours plus loin. Le travail sur la couverture en est un exemple : Lombard est passé par une graphiste pour qu’il y ait un rendu passeport. Ils ont fait de l’objet album un bel écrin au dessin de Christophe et à mon écriture.



Vous travaillez déjà sur le tome 2, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Tristan Roulot : Le tome 1 était très historique et géopolitique. Et comme j’aime les contrastes, le tome 2 sera plus aventure, exotique. Suite au semi fiasco du tome 1, Jean va être relégué dans un poste subalterne dans un tout petit pays d’Asie, comme une forme de punition. Mais les choses vont dégénérer là-bas aussi. Il va devoir trouver des moyens de se sortir de ce guêpier. Ça va être l’occasion de parler de la culture d’un autre pays et de la façon dont l’occident est perçu et interagit avec les autres pays dans le contexte de la Guerre Froide. 

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