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Gaspard et Ulysse Gry en B5, échec et mat !

Gaspard et Ulysse Gry ont créé un thriller politique, miroir de notre société actuelle, qui se déroule sur un gigantesque plateau d'échecs. Le troisième tome de la série Un monde en pièces, Et délivre nous du mat, est sorti le 27 août 2021. Rencontre avec ces auteurs, frères et joueurs !

Gaspard, comment vous est venue l'idée de cet univers de jeu de plateau anthropomorphique ?

GASPARD GRY : En fait, c'est une idée qui, à l'origine, était une idée d’Ulysse, qui avait écrit une BD qui s’appelait La psychose de Korsakoff, qui racontait l’histoire d’un personnage qui était fou.

ULYSSE GRY : C’était un humain atteint d'amnésie parce qu’il buvait trop d'alcool et qui redécouvrait toute la société. Et à la fin, il arrivait dans une ville peuplée de pièces d’échec, dont lui était le fou. Mais c'est un projet de BD qui n'est jamais sorti. Et on en parlait beaucoup avec Gaspard. Il m’a conseillé de virer ce mec et de garder la ville peuplée d’échecs, qui était intéressante.

Et puis après, je lui ai carrément proposé de m'aider à le faire et on a créé Un monde en pièces.

Comment est-ce que vous avez travaillé à partir de ce concept original ?

G.G. : On réfléchit vraiment à deux sur l'univers. On s'est dit qu’il y avait tout de mis en place. Il y avait des pièces qui, pour chacune, avaient déjà un rôle sur l'échiquier. Il y a une métaphore de la société qui est assez incroyable et qui n'avait pas beaucoup été creusée, très bizarrement. Nous on a trouvé ça vraiment intéressant : les pions qui sont Monsieur, Madame Tout le monde, le petit peuple qui avance de case en case et qui sont sacrifiés.

Les fous, on s'est dit qu’ils n’allaient pas droit, qu'ils allaient être diagonalistes, qu’ils allaient mettre le bazar sur ce plateau.

Les cavaliers, pour nous, c'était l'ordre, la sécurité qui s'opposaient aux fous. Donc on voulait faire dialoguer ces deux pièces. Il y a des valeurs qu'on donne aux différentes pièces, aux échecs.

Et délivre nous du mat

Et délivre nous du mat © Presque Lune, éditions 2021

Les tours ont plus de valeur, ce sont des pièces plus stratégiques, on s’est dit que ce seraient eux qui dirigeaient. Et qu’ils auraient un roi, une reine, etc. Et on s'est dit que l’on pouvait vraiment jouer avec tout ça.

Nous sommes tous les deux issus de formations dans le journalisme, la communication et la politique. Ce sont des choses qui nous intéressent. Donc, on voulait raconter un peu tout ça à travers un matériau vraiment amusant que sont les échecs, et on a essayé de savoir jusqu’où l’on pourrait tirer l’idée.

Et justement, à quel moment est venue l'idée de poursuivre la métaphore et d'aller sur d'autres jeux ?

G.G. : Ça, c'est toi Ulysse. Rapidement tu as proposé l’idée de pourquoi pas créer aussi un autre plateau, le jeu de dame. Qui seraient des migrants sur le plateau d'échecs. Comme en français, les dames s'appellent les dames, on a créé un univers féminin avec seulement des femmes. Nous avons joué sur le chapeau qui permet de les représenter graphiquement. Et puis après, au fur et à mesure de l'écriture, on s’est dit qu’il pouvait y avoir encore d’autres plateaux. Et puis, l'idée qu'on a eu dès le début, c'est de dézoomer petit à petit pour découvrir toujours plus cet univers.

Au début on est très centré sur la ville des Noirs, du côté des échecs et peu à peu on découvre le jeu de go, par exemple.

Je pense qu'on a dû commencer à écrire en 2016 et il commençait à y avoir la crise des réfugiés, en fait. C’était vachement présent dans l'actualité. On voulait en parler dans notre BD et naturellement, on s'est dit qu’il fallait un deuxième plateau. Ça nous permettait de parler des difficultés d'intégration dans ce plateau et de poser d’autres questions encore.

Cette métaphore, est-ce que vous avez essayé de la définir entièrement dès le départ, ou bien avez-vous posé des bases, que vous avez développé ensuite ?

U.G. : Je crois qu’on avait déjà bien creusé les diagonalistes, les fous, la religion du joueur, les dames… On avait vraiment un univers construit, une ville et une société entière. Après, on a raconté l'histoire de Jaiseth, qui prend le pouvoir et qui fait un coup d'État autoritaire basé sur la politique migratoire.

Mais après, on a trouvé d’autres idées et on a continué. C'est devenu un jeu avec Gaspard. On s'amuse, on trouve de nouvelles idées. On a carrément créé l'univers du jeu de go. Comment traduire le jeu de go de cette même façon ?

G.G. : On trouve encore des choses au jeu d'échecs aussi. Et puis, il y a les Blancs et les Noirs. Il y a aussi de deux sociétés. Le côté des Blancs, on le découvre dans le tome deux.

C’est la métaphore de la lampe de poche. En fait, l'idée, c'est de construire une chambre. Tout est présent. On essaye de faire que notre univers se tienne le plus possible. Et après nous, entre guillemets, on va éclairer certaines parties pendant les albums pour montrer des sections spécifiques. On ne montre pas tout et au fur et à mesure, on dévoile de plus en plus cette chambre.

De ce que j’en comprends donc, c'était vraiment une envie d'écrire un récit politique à travers cette histoire ?

U.G. : Oui, totalement. Comme disait Gaspard, on a tous les deux fait des études et travaillé là-dedans. Moi, j'ai fait Sciences-Po à Toulouse, avec un master de journalisme, j'ai commencé à bosser dans le journalisme avant de me mettre sur le dessin.

G.G. : J'ai fait mes études d'info com à Bordeaux et j'ai terminé par un master deux en communication publique et politique à Sciences Po, Bordeaux. Et donc ça nous tenait à cœur que notre BD parle de tout ça et aborde tous ces thèmes. Ce n'est pas un article, c'est différent. On parle avec une bande dessinée, avec un récit, avec du dessin, mais c’est une manière décalée de parler de l'actualité.

Justement, on a une actualité qui est hyper intense ces dernières années. Est-ce que tout est écrit ou est-ce que vous autorisez à répondre à l'actualité du moment ?

G.G. : On a une trame générale, une fin sur laquelle on bosse, on est en train de bosser sur le tome quatre. Mais évidemment, on a vraiment l'idée générale. On voit bien comment ça se finit. Après on se laisse une bonne marge, en fait, puisqu’on veut essayer de réagir à l'actualité, de parler de nouveaux sujets qui nous intéressent. Et donc on adapte notre récit à l'actu et aux thématiques qu'on veut traiter.

Et délivre nous du mat

Et délivre nous du mat © Presque Lune, éditions 2021

On va parler dessins avec vous Ulysse plus particulièrement.
On a ce dessin noir et blanc, pour le coup hyper clivé. Quelles règles de composition vous êtes donnés au moment d'imaginer ce dessin-là ? Parce que quand on voit le nouvel album que vous venez de sortir, La revanche des espèces, on n'est pas du tout dans le même esprit.

U.G. : La première règle, c'était le noir et blanc, parce que c'était un jeu d'échecs. Au final, les couleurs n'existent pas. On est sur les Noirs contre les Blancs. C'est aussi une opposition, les Noirs contre les Blancs. Donc c'était un dessin tranché. Vraiment, pas de gris, rien du tout. Que l’on voit aussi cet affrontement dans le dessin.

Ensuite, les inspirations, moi c'est pas mal Sin City pour la BD américaine. Mais il y a aussi Marc-Antoine Mathieu en France, et les vieilles BD comme Sampayo, tous ces gens qui ont bossé sur du noir et blanc. Et l'idée, c'était aussi de profiter de ça pour installer une ambiance, un peu de film noir, de polar. Donc, j'ai essayé de bosser là-dessus sur des cadrages, sur des plans larges.

Après, c'est devenu aussi un jeu. Comment j’éclaire mes scènes, comment je les rends plus sombres. Je m’amuse beaucoup là-dessus.

Après, il n’y a pas forcément de règles ou je ne les ai pas théorisées, mais je dessine comme ça en noir et blanc dans cette ambiance.

Du coup, en jouant beaucoup sur la lumière, pour avoir de bonnes raisons d'avoir des noirs très présents ?

U.G. : Oui, exactement. Et ensuite, je dessine en noir sur blanc ou en blanc sur noir, sur tablette, suivant l'ambiance de la scène. Si je sens que la scène détaillée par Gaspard est plutôt une scène tranquille, je dessine plutôt sur du blanc pour que ça soit moins sombre. Et si c'est plutôt dramatique, là, je dessine en blanc sur du noir, pour une ambiance plus marquée. C'est un peu ça. J'essaie d'alterner aussi pour que ça ne soit pas trop pesant et parce qu'un jeu d'échecs, c'est aussi alterner noirs, blancs, noirs, blancs partout.

Ulysse, nous l’avons évoqué, vous avez deux albums qui sortent en l'espace de quelques semaines. Du coup, comment s'est passée la réalisation des deux albums en même temps?

U.G. : Il y a eu le confinement quand même, qui m'a permis d'avoir pas mal de temps et d'avoir beaucoup de temps chez moi. Je me suis mis à fond à dessiner. J'ai pu tomber les deux albums comme ça. Ensuite, je l'ai fait par phases sur Un monde en pièces à fond et après, j'ai eu des phases sur La revanche des espèces menacées. C'est quand même assez différent l’autre est tout en bleu. Mais oui, mais après, c'était assez intense, mais c'était magique, j'étais à fond. J'ai passé quatre mois à fond à faire tout. Je suis d’ailleurs devenu un peu fou…

Gaspard qu’est-ce que vous livrez à Ulysse en termes de scénario et à quel rythme?

G.G. : En fait, on a une phase où on passe notre temps à discuter et à réfléchir sur ce qu'on veut raconter, les thèmes qu'on veut raconter. On essaie d'avoir vraiment un scénario qui se tient, qui soit équilibré, tout un tas de questions qu'on se pose. Quand on commence à avoir des idées assez solides sur différentes parties après moi, je vais écrire des scènes, à partir d'un truc qu'on a déjà travaillé ensemble. Après, j'écris : scènes, dialogues, j'essaye de donner une ambiance.

Et délivre nous du mat

Et délivre nous du mat © Presque Lune, éditions 2021

J'ai vu qu'il y a d'autres scénaristes qui font du case par case, moi je ne fais pas du tout ça. C'est un texte un peu littéraire, je raconte ce qui se passe, ce que les gens disent, quelle est l’ambiance. J'essaie de donner plus d’informations possibles à Ulysse. C'est vraiment lui qui interprète complètement la mise en scène. Je ne lui dis pas « telle case on voit ci, on voit ça » parce que je trouve que c'est plus intéressant que ce soit lui qui le fasse. Il y a une vraie liberté de création et comme c'est une histoire qu’on a co-conçue, il ne découvre pas ce que je décris.

Gaspard, pour l’instant, Un monde en pièces est votre seule série. Avez-vous envie de vous lancer sur d’autres créations ?

G.G. : Pour l'instant, on travaille sur le tome quatre et on va sans doute faire un tome cinq. On est en train de réfléchir à ça. Et en fait, moi, j’ai un travail à côté donc je n’ai pas beaucoup plus de temps.

Pour l'instant, je me concentre vraiment sur Un monde en pièces. Après, oui, je commence à réfléchir un peu, peut-être à d'autres idées, mais vraiment plus tard.

Et pour terminer, on va parler de la pièce de théâtre, créée aux Pays-Bas. Déjà, est ce que c'est une adaptation de la BD ou une histoire originale ?

G.G. : Oui, c'est une adaptation du tome 1 avec une scène du tome deux, de la prise de pouvoir de Jaiseth. Il est adapté hyper fidèlement. Elles nous ont contacté il y a un an, juste après le premier confinement.

De mémoire… L'histoire, c'est qu’elles se rendaient en train quelque part pour proposer un projet. Elles ont déjà fait plein de pièces super et il y en a une qui je crois dans une gare a acheté cette BD sans trop savoir. Et elles ont trouvé ça génial. Alors elles sont arrivées et elles se sont présentées à leur contact en disant que ce serait ça leur projet, cette adaptation. Et la personne a dit oui. Alors elles étaient contentes mais un peu embêtées quand elles nous ont appelé. Elles avaient forcément besoin de notre accord. Nous on a dit oui, pourquoi pas. Et on a régulièrement reparlé avec elles, elles sont très sympas. Et petit à petit, elles nous ont posé plein de questions sur les personnages.

On a même redécouvert plein de choses sur notre univers, on a beaucoup de documents, de fiches, en fait. Et elles ont vachement travaillé et nous ont envoyé un texte en français.

U.G. : Elles habitent en Suisses en fait. Une est française et l'autre est hollandaise. Elles l’ont écrit en Suisse et ont eu des subventions de l'État hollandais et donc, c'est pour ça que c'est joué en hollandais.

G.G : Elles nous ont envoyé un texte qui était vachement bien. On s'y est vraiment retrouvé même si c’est adapté au théâtre et qu'il faut faire différemment, mais c’est très fidèle. On a modifié un ou deux trucs que nous on connaissait sur les albums d’après, mais quasiment rien.

Ensuite elles nous ont associés à tout le processus. Elles nous ont montré le casting, les costumes, les masques sont faits en plastique recyclé par une artiste tchèque. Ils sont hyper beaux. Et la musique parce qu'elles travaillent beaucoup dans le son. Elles ont ajouté tout un univers sonore hyper intéressant à la pièce où on a des casques, du son en 3D. Donc on a vu le truc se monter. C'était cool. Et on est parti en septembre voir deux représentations et c'est cool.

On l'a vu en vrai, mais en Hollandais…

U.G. : Et on n’a rien pigé !

G.G. : On savait ce qui se passait, on trouvait la mise en scène géniale, mais on n'avait pas le texte. Mais on a trouvé ça hyper cool.

Et délivre nous du mat

Et délivre nous du mat © Presque Lune, éditions 2021

Et cet environnement sonore ? Qu'est-ce qu'elles ont rajouté à votre univers ?

G.G. : Déjà, elles ont bossé sur tous les bruits d'ambiance. Sur scène, il n’y a pas de décors.

U.G. : C’est assez électro hypermoderne. C'est très moderne. Il y a beaucoup de phases de sons sur différentes scènes qui sont rajoutées, qui créent une ambiance. Il y a une grosse énergie. Tout en gardant le côté dark de la BD.

Et il y a aussi le rap du pion…

G.G. : Il a été écrit par l'acteur et c’est vraiment cool. Un rap en anglais. Ils sont bilingues en Hollande.

Et il y a aussi un travail visuel puisqu'il y a une partie qui a été filmée. Elles alternent les acteurs qui jouent et les acteurs filmés en noir et blanc. Vraiment, c'est cool.

U.G. : Elles ont fait toutes leurs représentations au mois de septembre et octobre aux Pays-Bas et là elles sont en train de danser sur une adaptation en français pour essayer de la produire en France l'an prochain.

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