Ce comics de Matt Kindt et Ron Garney est un enjeu majeur de la collection Contrebande aux éditions Delcourt en partie pour son co-scénariste qui n'est autre que Keanu Reeves. Thierry Mornet, le responsable éditorial de la collection, nous raconte l'investissement de l'acteur à l’origine du concept de cette série limitée.
Vous allez entendre parler de BRZRKR (à prononcer avec les « e » manquants, « Berzerker ») ! Keanu Reeves a conçu cette histoire en cross-média : un comics, un film et une série animée Netflix à venir. « Nous avons eu des réunions de travail avec les auteurs américains, et je peux vous dire que Keanu Reeves était totalement impliqué », explique Thierry Mornet. « Certains comics sont des produits d’appels, auxquels des stars prêtent leur nom, mais ce n’est pas du tout le cas ici. »
Racontez-nous l'histoire de BRZRKR en quelques mots ?
Thierry Mornet : "B. vit de nos jours, mais il est immortel. De sa naissance, il ne se souvient pas. Sa mémoire est engluée dans les souvenirs qui s’empilent et ne s’effacent pas. Alors B. fait ce qu’il sait faire de mieux : la guerre. L’armée américaine se sert de lui et l’analyse pour tenter de créer des supersoldats et B. s’en moque, car en échange, elle essaie de souscrire à sa seule demande : devenir mortel."
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Défendre un titre avec toutes les armes à disposition
Désormais, quand on achète une licence, on doit se positionner de plus en plus tôt, en disposant seulement de quelques pages. Pour BRZRKR, j’ai pu lire un épisode. L’univers était excitant et le récit de premier choix. Je n’ai donc pas hésité à me positionner. Et comme Guy Delcourt était fan du projet, nous avons fait une offre qui allait au-delà de la simple édition du livre. » Pour l’acquisition de la licence manga, les éditeurs français doivent en effet présenter des dossiers alliant publication et promotion. L’argent seul ne suffit pas pour faire pencher la balance. Le comics était jusqu’ici peu engagé dans cette voie. Mais la lutte entre de plus en plus d’éditeurs pour l’achat de droits américains conduit à renouveler les pratiques.
« Nous avons commencé à promouvoir le titre dès le festival d’Angoulême. Nous avons aussi travaillé avec les réseaux FNAC et Momie Folie », détaille l’éditeur français. « Et nous avons réalisé une première mondiale sur ce titre : nous avons adapté, avec le soutien des équipes de Verytoon, ce comics au format webtoon. Trois épisodes sont disponibles gratuitement sur la plateforme. Nous voulons vraiment toucher un large public. » Pour cela, une campagne de communication digitale est lancée, ainsi qu’une box BRZRKR à destination des influenceurs, avec le livre, un T-shirt et… une boîte de premiers soins pour celles et ceux qui ne sont pas immortels.
Sur le fond, que vaut BRZRKR ?
« Keanu Reeves a eu l’intelligence de travailler avec deux pointures du comics. Le scénariste Matt Kindt, une référence en matière de super-héros comme en comics indépendant. Et Ron Garney, le dessinateur, est un vétéran qu’on a peu vu aller aussi loin dans la représentation de la violence. Grâce à un travail à double sens, le concept de Keanu Reeves est devenu une histoire profonde et bien structurée. Les dessins de Garney, colorisés par Bill Crabtree, achèvent de renforcer cette écriture. »
Enthousiaste, Thierry Mornet ? Lui qui aime soutenir une politique d’auteurs se serait-il laissé toucher par la communication commerciale ? À la lecture, force est de constater que non. BRZRKR tient ses promesses. De la profondeur, il y en a. Keanu Reeves ne se contente pas d’être une redite de John Wick. Ici, c’est un questionnement sur la nature humaine qui est proposé, sur l’hérédité et le déterminisme biologique. Le personnage de B. est composé avec gravité. Il y a le potentiel pour en faire un personnage complexe. La présence de cette pulsion de mort face à une situation que nous aimerions vivre va constituer un écueil pertinent à dépasser ou pas pour le héros.
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Ron Garney livre une prestation haut de gamme. Par rapport à ces récits comics mainstream, il vient composer du côté d’un Frank Miller. Le trait d’encrage semble réalisé avec une plume acérée. Les masses d’encre sont écrasantes pour le regard. La violence suinte dans toutes les scènes de combat. Ce en quoi le coloriste Bill Crabtree est pour beaucoup. Il joue sur les teintes suivant l’intensité de la fureur guerrière, démontrant une fois de plus que la mise en couleur est un élément narratif à part entière.
Quel dispositif autour de BRZRKR pour Contrebande ?
« Au vu de ses qualités, je considère que BRZRKR a toute sa place dans la ligne que je construis chez Delcourt. C’est une réelle bande dessinée d’auteur, grand public et bien faite.»
Évidemment, BRZRKR sera un élément clé de la collection en 2023. « Nous avons repoussé d’un an la sortie pour proposer les trois titres dans la même année : mars, octobre et janvier suivant », confie Thierry Mornet. Mais ce ne seront pas les seuls. L’éditeur parle du retour d’Hellboy de Mike Mignola, de la poursuite du partenariat avec le scénariste Scott Snyder… Il évoque avec sincérité la réédition d’Arrowsmith de Kurt Busiek et du récemment disparu Carlos Pacheco. Mais son coup de cœur personnel s’appelle GILT. « C’est écrit par Alisa Kwitney et dessiné par Mauricet, que je suis dans son travail américain depuis plus de 20 ans. Ce sont des personnages féminins forts, ultra- indépendants. Je crois beaucoup en cette série que nous publierons en juin. »
Fidélité éditoriale, fidélité amicale, Thierry Mornet compose un catalogue d’auteurs auxquels il croit et qu’il a envie de mieux faire connaître en France. Matt Kindt, dont il a publié la série Folklords, fait partie de ceux-là. Le fait qu’il soit associé à Keanu Reeves pour l’occasion est un atout de communication dont l’éditeur aurait en effet tort de se priver.
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