C’est le retour très attendu de Supermatou, de Jean-Claude Poirier, votre père, et bientôt d’Horace. Pourquoi aujourd’hui, et pas avant ?
Pour beaucoup de bonnes et de mauvaises raisons, cela me paraissait être un rêve inaccessible. Quand la vie professionnelle nous accapare, on se dit que c’est trop compliqué à réaliser, j’ai fait plusieurs tentatives qui ont capoté, et puis un jour, les étoiles s'alignent : c'est le bon moment. On a plus de temps, on a les outils pour le faire dans de bonnes conditions. J'ai rencontre un éditeur passionné, un public enthousiaste, et l'aventure redémarre ! Il fallait s’y mettre pour de bon.
Supermatou, c’est un univers parodique de Superhéros mettant en scène un jeune garçon qui devient justicier avec son fidèle chien, une fois l’école terminée… Comment définiriez-vous cette série, son esprit, cette totale liberté de ton ?
Supermatou, est un pied de nez au monde des superhéros sérieux, comme si mon père avait écouté son petit garçon intérieur lui dire : « Bon, Superman c’est bien, mais j’ai 10 ans et moi aussi je pourrais avoir de super pouvoirs encore plus puissants, je pourrais même sortir toute la nuit avec mon meilleur ami qui serait un chien super intelligent qui parle, et les parents n’en sauraient jamais rien…» Le rêve de tous les enfants réunis au même endroit, dans une bulle temporelle figée dans un lieu unique. Un bac à sable de rêve pour s'inventer les histoires les plus folles, un prétexte pour jouer comme un enfant, mais avec des références souvent très adultes, dont certaines ont dû échapper aux jeunes lecteurs de l'époque. Ça été un plaisir fou pour moi de faire cette relecture exhaustive après tant d'années.
Supermatou, tome 1 © Revival, 2023
C’était le reflet d’une époque, un certain regard sur la société du moment, sur la cellule familiale, parfois.
Disons que malgré tout, mon père ne prenait pas ses lecteurs pour des bébés, car sous couvert de faire une série jeunesse, il glissait des détails pleins d’humour, pas toujours visibles au premier abord par les lecteurs, sur une idée de la famille, comme le père confortablement installé dans son gros fauteuil, devant sa télé et sa femme assise sur une petite chaise à côté ou accoudée au dossier. C’est subtil et on sourit.
Mais ce regard, c’est celui de son enfance, ça ne correspond pas forcément à celui des années 70, d’où ce côté décalé.
Raminagroville, c’est aussi un joyeux mélange entre maison en caoutchouc cartoony, les toits pleins de cheminée, les rues…
Oui, une sorte de mix entre les toits de Paris et les rues d’un village de campagne. En plus il y a pas mal de fois où je retrouvais les rues près de chez nous, ou alors des clins d’œil à des amis dans les noms de magasins ou des rues croisées dans une case. Un tas d’éléments qui pouvaient faire rêver les lecteurs, mais qui amusaient aussi beaucoup mon père. Il y a une foule de détails savoureux cachés ici et là, d’ailleurs.
Supermatou - Tome 1 © Revival, 2023
Que représente aujourd’hui, comme enjeu, pour vous, la réhabilitation d’une série aussi culte que Supermatou ?
Comme il a inspiré certains lecteurs de la première heure, je rêve qu’il inspire aujourd’hui d’autres créateurs en herbe.
Comment réagissez-vous face aux diverses versions pirates ?
Je me suis beaucoup battu contre ça, même encore maintenant. Je suis allée voir des librairies sur Paris, en Belgique, j’ai même récemment demandé qu’on arrête de référencer ces versions, alors que le premier volume de cette intégrale chez Revival vient de sortir… Mais ça demande énormément d’énergie, trop de stress, au final. Elles finiront par être oubliées, je préfère me consacrer à ce beau travail de restauration dont je rêve depuis toujours et au plaisir de le partager !
Quand on évoque cette série, le travail de Jean-Claude Poirier, les lecteurs sourient avec nostalgie, évoquent des souvenirs de lecture, mais surtout un amour inconditionnel pour ce monde fou. Comment percevez-vous cette « nostalgie » bienveillante de la part des fans ?
Je croise beaucoup de personnes qui ont un souvenir très fort de la série, le trait rebondi, les situations délirantes, les discussions deviennent très vite absurdes, du type : « Je pensais que les châteaux d’eau ressemblaient vraiment à des biberons » ou « Agagax buvait du lait pasteurisé ou de la nitroglycérine ? » le genre de conversation que mon père adorait, totalement absurde et débridée.
Il y a ceux qui connaissent très bien, ceux qui vont redécouvrir et ceux qui découvriront, j’ai tenté le meilleur des trois mondes, en sortant du papier jauni sans changer le charme des couleurs de l'époque tout en apportant un nouvel éclat, un travail vertigineux !
J’ai eu l’idée de proposer des dédicaces personnalisées avec la librairie La Rubrique à bulles, pas très loin de chez moi. J’ai réussi à faire faire des tampons du Tampographe Sardon qui fonctionnent très bien, et je demande à chaque personne qui commande un album à la librairie d’évoquer sa rencontre avec l’univers de mon père. Il y a des confidences très touchantes, parfois drôles, il y en a même qui me disent qu’enfants, ils ont essayé d’écrire comme lui.
Supermatou - Tome 1 © Revial, 2023
Comment s’est déroulé ce projet de restauration ? Vous avez travaillé avec les originaux, vous avez scanné des planches… ?
J’imaginais que ce travail serait pharaonique, mais pas à ce point. J’ai commencé par chercher, trier, répertorier en 2019, puis j'ai travaillé sur la couleur en 2021, j’ai exploité toutes les sources possibles, planches originales, magazines, en tout plus de 1200 pages, rien que pour Supermatou et Horace, et je ne parle pas des autres BD, dessins, études, toiles, qui pourrait faire l’objet d’une belle exposition… Un prochain projet !
J’ai vraiment été très attentive à la cohérence d’ensemble, les couleurs, les bulles, la qualité des planches, d’autant que l’on a travaillé avec un matériau initial d'une qualité très variable, parfois même dans un piètre état. Ça a été un énorme chantier qui a mobilisé pas mal de monde autour de moi.
Pour les Intégrales Supermatou et Horace, on s’est contenté des récits parus dans Pif, mais avec les illustrations, les publicités, la collecte des dessins réalisés sur le vif, à la rédaction de Pif, ça pourrait facilement faire un volume en plus. Sans parler de toutes les autres séries comme Charlotte Poireau, par exemple.
Je rêve d’une belle monographie, il y a tellement de matériau, tellement de choses, d’anecdotes à raconter.
Supermatou - Tome 1 © Revival, 2023
Quand on regarde les planches originales, on voit très vite qu’il y avait finalement assez peu de repentir. Il avait déjà tout en tête en attaquant les dessins, et même le lettrage qu’il adaptait à la bulle, se donnant la liberté qu’il fallait. Toutes les nuances existent déjà, il n’y avait pas besoin d’ajouter des artifices d’ombre et de lumière dans la couleur, il dessinait de la matière sur chaque mur, toutes les ombres sont hachurées. J’ai travaillé pour nuancer les aplats de couleur, pour rappeler le coup de pinceau sur les bleus de travail de l’époque.
Pour apprécier le travail de restauration, il faut avoir l’album entre les mains, estimer le papier sous ses doigts et s’enivrer de l’odeur fantastique de l’encre fraîche !
D’ailleurs, ce lettrage si particulier, ça donne l’impression d’une planche totale ou tous les éléments sont dessinés avec attention.
Au début, il adopte l’écriture cursive qui pouvait rendre sa lecture plus ardue et petit à petit, elle se transforme en script en détachant chaque lettre pour une meilleure lecture, son écriture naturelle était très cursive, un flot contenu, en levant le stylo le moins possible.
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