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Rencontre avec Charlie Adlard, le dessinateur de Walking Dead, au Cabaret Vert

Charlie Adlard, après le formidable succès mondial de The Walking Dead, série à laquelle il a travaillé 16 ans, publie en France Altamont, sur un scénario de Herik Hanna. Un one shot sur le célèbre festival de rock qui tourna au cauchemar en 1969. Un livre dont il a eu l’idée et dont il a réalisé crayonnés, encrage, effets numériques et mise en couleur. C’était la première fois qu’il réalisait lui-même toutes ces étapes.

Lors de notre échange, il a pris le temps de nous parler de musique, des illustrateurs des années 60-70, de son approche du dessin, de l’apport du numérique, des descriptions données par le scénariste, de ce qu’il attend d’une exposition... Rencontre (traduite de l'anglais par François Samson).

Charlie Adlard : Rencontre avec Charlie Adlard au Cabaret Vert

Charlie Adlard et Herik Hanna en dédicace au Cabaret Vert 2023 pour Altamont


Est-ce que tu écoutes de la musique en travaillant ?

Charlie Adlard : J'ai un abonnement Apple Music. À chaque fois que j'entends quelque chose à la radio qui me plaît, je cherche tout de suite le groupe, un de ses albums et je le télécharge !

Quel est ton groupe de rock préféré ou ton groupe musical préféré ?

Charlie Adlard : Bonne question. Les deux premiers disques que j'ai achetés n’étaient pas des singles, contrairement à tous les jeunes de mon âge. (Les autres ont toujours une histoire à raconter sur leur premier single. Moi je n'en ai jamais eu !) J'ai demandé à mes parents de m’acheter pour mon anniversaire les cassettes de la bande originale de Stars Wars et l'album double Out of the Blue d’Electric Light Orchestra (ELO), probablement à cause du gros vaisseau spatial sur la couverture d’ELO. Ça devait être en 1977 pour mes 12 ans.

Ensuite, toujours quand j'étais enfant, je suis devenu fan de rock progressif. Encore une fois, à cause notamment de Yes et des pochettes dessinées par Roger Dean dans les années 70. Je me souviens que mon cousin en avait plein et j'aimais les regarder. Mon cousin avait aussi son fameux livre d'art intitulé Views publié dans les années 70 également, rassemblant toutes les îles volantes et toutes les choses étranges qu'il dessinait. C'est à cause de ça que j'ai commencé à écouter Yes, à m'intéresser au rock prog. Puis, adolescent, je suis devenu fan du rock indépendant de l'époque, du début des années 80.

Et maintenant, tu préfères un style en particulier ?

Charlie Adlard : Je n'ai jamais été un gars très mainstream. Je peux aimer la musique funk autant que j'aime le rock indépendant, le rock alternatif ! Floats my boat, comme on dit au Royaume-Uni ! Donc, je suis en quête constante.

Quand il était adolescent, mon fils aîné qui a 21 ans était vraiment le cliché de l'ado qui écoute du hip-hop. Et puis il a grandi. Il aime toujours ça, mais il aime aussi les vieux groupes indépendants. On peut ainsi discuter de musique tous les deux.

On devait d'ailleurs aller voir notre premier concert ensemble, il y a quelques semaines à peine, Algiers. C'est un groupe... euh, comment décrire ça ? Je pense que c'est mon groupe préféré en ce moment. C'est un peu du rock techno. Le chanteur a une voix soul, il y a un peu de rap, un peu de hip-hop, c'est du rock, mais c'est une combinaison incroyable de tout ça. Mais le concert a été annulé, dommage...

Et est-ce que tu vas à des festivals de rock ?

Charlie Adlard : Oh, pas autant qu’avant. Algiers, cela aurait été mon premier concert depuis la pandémie. Je n'ai toujours pas pu en voir. C'est assez drôle, car grâce à Altamont, je suis au Cabaret Vert et ce sera l'occasion de voir mes premiers vrais concerts en festival depuis la pandémie finalement. Et assez curieusement, mon fils et un ami sont venus avec moi. Il aime vraiment plusieurs groupes programmés ici et il veut les voir. Nous verrons enfin des groupes ensemble !

Est-ce que tu travailles habituellement en écoutant de la musique ?

Charlie Adlard : J'alterne entre la musique et les podcasts. J'ai tendance à écouter de la musique quand je fais la mise en page, des crayonnés ou que je lis des scénarios, parce que je dois m'isoler un peu et me concentrer. Mais quand j'encre ou que je fais la mise en couleur, c'est un processus zen, je peux ainsi m'éloigner un peu de l'acte de dessiner : je peux alors me écouter véritablement un podcast et pas juste l'entendre !

Pour illustrer les années 60 dans Altamont, as-tu cherché à avoir un style graphique différent ? 

Charlie Adlard : J'ai beaucoup d'œuvres d'art originales de cette période sur mes murs. Je suis un grand fan de l'illustration américaine des années 60 et du début des années 70. Des gens comme Bob Peak, Bernie Fuchs. J'aime ces artistes, car c'est ce mélange parfait entre l’art figuratif et une sorte d'abstraction des années 60. En revanche, dans les années 50, l'illustration représentait simplement ce qu'il y avait devant soi ! Quand les années 60 arrivent, les artistes sont devenus plus relâchés. Ils peignent toujours ce qui est devant eux, mais en le modifiant légèrement, en déformant les silhouettes. Certains arrière-plans deviennent fous, ça entre dans un autre domaine. Donc j'aime la combinaison de l'abstrait et du réaliste. Mais aussi, on peut vraiment dire que ces artistes sont des maîtres de leur art, ils savent peindre ! Donc c'est l'inspiration que je tire de cette époque.

Alors, est-ce que ça a déteint sur toi pour Altamont ?

Charlie Adlard : Je n’en suis pas sûr, c'est l'une de ces choses que je laisse simplement venir... Je dirais que tout le monde a des influences. Mais ce que je ne veux pas, c'est être influencé et foncer, bille en tête. Je regarde simplement et je laisse infuser. Je sais qu'à un moment, ça va ressortir dans mon travail, à ma façon. 

Par ailleurs, j'aime bien changer de méthodes de travail, simplement pour rendre la vie plus intéressante ! Donc, que ce soit en alternant entre le numérique et le dessin sur papier. Et dans le second cas, j’achète un nouveau stylo. Parce que j'ai toujours encré avec des stylos, plutôt qu'avec des pinceaux. Et en achetant un nouveau stylo ou un nouvel outil, cela me fait automatiquement dessiner légèrement différemment, m'adapter aux contraintes de cet outil. C'est un processus intéressant. Et c’est plus naturel, plus fluide, plutôt que de dire : « Bon, aujourd'hui je vais dessiner de manière relâchée ou aujourd'hui je vais dessiner de manière plus précise. » Je laisse venir.

Charlie Adlard : Rencontre avec Charlie Adlard au Cabaret Vert
Préfères-tu quand ton scénariste te donne une description très précise des personnages, pour les représenter physiquement ou te sens-tu alors moins libre ?

Charlie Adlard : Robert Kirkman, sur The Walking Dead, était vraiment un scénariste qui donnait le strict minimum. Donc il me laissait la liberté de venir avec mes propres visions. Pour un personnage important, il donne une description. Sinon, il ne précise les formes des cases et arrière-plans que si c'est absolument nécessaire. Ses scénarios sont plus comme un script de film TV à bien des égards, parce que les scripts ont tendance à donner des descriptions minimales.

J’ai aussi travaillé avec Si Spurrier pour Damn Them All. À l'inverse, lui met tellement de détails dans ses scénarios qu'un artiste avec moins d'expérience s'en inquiéterait. Mais ce que je réalise après tant d'années de travail avec des scénaristes, c'est que ceux qui font ça le font pour eux, pas pour moi. Ils couchent simplement toutes leurs idées sur le papier. D'ailleurs Si Spurrier m'a immédiatement dit : « Ignore la plupart des choses que je mettrai dans les scénarios, c'est simplement moi qui m'assure que tout est écrit pour ne rien oublier. » Tout n'est pas à dessiner. C’est comme pour Alan Moore, je pense que ça a déconcerté beaucoup de gens parce qu’il fait des énormes paragraphes de description pour une case !

Herik Hanna, lui, a fait un peu les deux, sur Altamont. Il y a des moments assez intenses où il donne une description très détaillée et ensuite, il y a des passages où ce sera littéralement « gros plan sur tel truc, plan rapproché sur untel ». Herik m'a donné beaucoup de liberté dans la conception des personnages, il m'a donné une description, bien sûr, mais beaucoup de choses étaient dans les émotions. Ce qu'ils étaient dans le passé, c'était tout aussi utile que les éléments physiques : elle porte ça, il a ça, il ressemble à ça...


Altamont © Glénat, 2023

La chose la plus utile que le scénariste puisse faire pour un artiste lorsqu'il essaie de décrire un personnage ? C'est de le comparer à une célébrité. Parce qu’il a probablement pensé à quelqu'un de toute façon. Et tout ce qu'il a à faire dans ce cas, au lieu d'écrire cinq paragraphes pour dire que les yeux sont comme ci et le nez comme ça, il peut se contenter de dire : « Voici une photo, le personnage lui ressemble. »

En ce qui concerne l'exposition Altamont au Cabaret Vert, quelle est ton intention ? As-tu travaillé avec les organisateurs ?

Charlie Adlard : Je dirais que je suis assez intrigué. Je sais que Herik a fait beaucoup de descriptions de différentes pages. Je suis vraiment curieux de voir ce qu'ils ont fait. On a beaucoup parlé de certaines approches, mais je ne sais pas vraiment ce qui a été décidé. Je suis assez curieux. Peut-être aurais-je dû être plus impliqué, je ne sais pas. Mais j'aime bien l'idée. Comme au festival d’Amiens, avec Sean Phillips et son exposition : Sean a simplement envoyé les planches. Il ne savait pas ce qu'ils allaient créer ni qu'ils allaient faire des agrandissements de certaines cases sur le mur. Et je me dis que c'est assez agréable d'être surpris.

Ce qui est sûr, c'est que vous, en France, vous faites de très belles expositions. Vous ne vous contentez pas de mettre des images sur des murs blancs ! Tout le monde veut voir l'art et la raison même d'une exposition, mais parfois, il faut un peu plus, il faut un peu d'imagination pour mettre en valeur tout cela.

En tout cas, il y a des dessins originaux dans cette exposition, assez bruts, sans bordures de case. Ils sont évidemment en noir et blanc parce que je les ai créés ainsi, puis j’ai ajouté les couleurs numériquement. Il n'y a pas de demi-teintes, de trames, ou quoi que ce soit de ce genre sur les originaux, parce que cela a été ajouté numériquement. Donc ce sont essentiellement des œuvres en noir et blanc.

Quelle impression aimerais-tu laisser aux visiteurs de l'exposition ? Qu'ils se disent : « Waouh, c'était incroyable » ? Qu’ils aient compris la façon dont tu travailles ?

Charlie Adlard : Personnellement, ce que j'aime dans une exposition de bande dessinée, ou même dans n'importe quelle exposition, c'est pouvoir regarder attentivement et comprendre le processus. Vous pouvez juste regarder les œuvres d'art et être fasciné. Vous pouvez aussi simplement acheter le livre, et avec les comics, ce n'est pas très éloigné de regarder les dessins dans une exposition.


Charlie Adlard, Herik Hanna : L'Électrochoc Altamont, pont entre rock et BD

Mais ce n'est pas pareil que si vous allez à une exposition d'art, en particulier de peinture. Vous pouvez alors voir les marques de pinceau, ce type de choses que vous ne pouvez pas vraiment voir dans un livre. Dans une expo, l’art est alors dans sa forme la plus pure, en noir et blanc, vous pouvez voir certaines des marques à l'intérieur du noir. Certains artistes utilisent différents types de noirs, donc il y a des légères différences. Et vous n’avez pas forcément la couleur. C'est là que les choses deviennent intéressantes, quand l'art semble radicalement différent du produit fini.

Et ça m'a pris un moment, quand j'étais plus jeune, pour m'y habituer. C'était avant le numérique. Au début de The Walking Dead, si je devais répéter une case, à l'époque, je devais le faire vraiment sur ma planche. Chaque fois que je dessinais une page, j'aimais bien essayer de la faire ressembler autant que possible au produit fini, imprimé dans le livre. Donc si je devais répéter une case, j'allais faire une photocopie de cette case dans un magasin spécialisé, je prenais de la colle, je découpais la case et je la collais sur la page. C'était un peu effrayant !

Et maintenant ?

Charlie Adlard : Maintenant, vous n'avez vraiment plus besoin de faire tout ça. De nos jours, je ferais simplement un copier-coller. Vous pouvez aussi demander à l'éditeur de répéter telle case. Au début de l'ère numérique, je pouvais simplement la numériser pour la répéter. Les seules pages de The Walking Dead qui ont été légèrement modifiées numériquement sont celles de l'épisode 193, parce qu'à ce moment-là, je commençais à être beaucoup plus habitué au numérique. Donc, j'ajoutais certaines choses numériquement, comme des demi-teintes ici et là. Je copiais-collais certaines cases si nécessaire. Et, non, je ne les collais pas toutes directement sur l'œuvre, je laissais simplement les cases vides. Parce que j'ai réalisé que j'allais devoir commencer à stocker les fichiers numériquement.


Extrait n°3 Walking Dead - Negan par Charlie Adlard

Une fois que vous commencez avec le numérique, il n'y a pas de vraie copie. Ce que je fais toujours avec mes œuvres, c'est que quand la page est terminée, je vais quand même à ma papeterie locale pour obtenir une copie correcte. Parce que peu importe la qualité de votre imprimante, elle ne fera pas des impressions aussi bonnes. Donc, je continue toujours de le faire. Mais je me suis beaucoup plus habitué à stocker mes fichiers numériquement plutôt que des planches sur papier. Donc je peux avoir des pages avec des cases manquantes. Et pour quelqu'un d'autre qui regarde mes œuvres, c'est plus comme ça que ça devrait être, c'est encore une fois le processus. Maintenant, je vois mes pages originales comme faisant partie du processus vers le résultat final.

Revenons au Cabaret Vert. Prévois-tu d'aller voir des groupes spécifiques ou des artistes en particulier ?

Charlie Adlard : Celui que je suis vraiment impatient de voir, en fait, c'est Christine and the Queens que je n'ai jamais vu. J'ai toujours pensé qu'il ne faisait plus de concerts. Mais il a toujours fait des choses intéressantes et des performances et des trucs comme ça. Donc je serai intrigué de voir celle-là. C'est un festival qui semble très orienté pop cette année. Parce que qu’il y a quelques années, c'était beaucoup plus orienté rock, notamment quand je suis venu avant la pandémie.

Charlie Adlard : Rencontre avec Charlie Adlard au Cabaret Vert
Il y aura par exemple les Chemical Brothers…

Charlie Adlard : Je n'ai jamais vu les Chemical Brothers, mais ça pourrait être intéressant. Je n'ai jamais vu un DJ en direct, mais ça m'intéresse parce que pour moi, c'est comment faire en sorte qu'une personne debout derrière un pupitre soit intéressante pendant une heure et demie. Évidemment, il y a un peu de jeux de lumière et la musique, mais visuellement, ce sont quand même deux gars qui appuient sur des boutons. Comment est-ce intéressant ? 

Tu as hâte de voir quelqu'un d'autre ?

Charlie Adlard : Beaucoup de groupes ! Et il y en a beaucoup que je ne connais pas. Ils ont toujours le dernier jour qui est très orienté French pop. C'est assez intéressant parce que, je n'ai pas vu beaucoup d'artistes français en Angleterre, peu de Français viennent. Donc ça sera intéressant de voir à quoi ressemblent ces gars-là. Juste découvrir de la nouvelle musique. J'ai vraiment hâte !

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