Après quelques 45 ans de carrière derrière lui, Bryan Talbot est aujourd’hui reconnu comme l’une des grandes figures de la bande dessinée anglaise. Avec la sortie du dernier volume de Grandville chez Delirium et l’intronisation au prestigieux Hall of Fame des Eisner Award, Talbot est plus que jamais au centre de l’actualité. C’est une belle occasion de lui poser quelques questions.
Bryan Talbot Hall of Fame SDCC 2024 © Bryan Talbot
Vous venez d'être intronisés au Eisner Hall of Fame, que signifie cette reconnaissance pour vous ?
Bryan Talbot : C'est un grand honneur, absolument inattendu, une grande surprise. On avait décidé de ne plus prendre l'avion avec Mary, mais on s'est dit que cette fois on ferait exception pour aller à San Diego.
Dans l'ensemble de votre carrière, j'ai l'impression qu'on arrive à un moment charnière, avec la fin de Grandville, la fin de Luther. Est-ce que pour vous c'est aussi l'envie de partir sur d'autres projets, d'autres univers ?
BT : En effet, il y a aussi l'envie de prendre une sorte de retraite et ralentir un peu. Je vais toutefois terminer mon projet The Case of Stamford Hawksmoor, une préquelle de l'univers de Grandville dont j'ai déjà dessiné 172 pages. L'histoire se déroule à la fin de l'occupation de la Grande Bretagne par les français, c'est très anti-nationaliste, avec en sous-entendu un propos sur le Brexit. Après ça, je vais faire le prochain volume de Mary, le sixième que nous faisons ensemble.
Bryan Talbot : "Les Romans Graphiques me demandent beaucoup de temps de travail, c'est assez intense."
© Bryan Talbot/Délirium
Vous avez envie de revenir un peu sur des comics ?
BT : Les Romans Graphiques me demandent beaucoup de temps de travail, c'est assez intense. Peut-être qu’ensuite, je ferais des petites histoires sous forme de comic book, avec peut-être comme titre Stormford Hawksmoor Mysteries. Un peu comme les nouvelles de Sherlock Holmes.
Quel regard portez-vous sur votre parcours jusque-là ? Avez-vous des œuvres qui vous tiennent plus à cœur que d'autres ?
BT : Certainement The Tale of One Bad Rat, qui va bientôt être retraduit par Delirium justement. C'est un projet qui m'a beaucoup plu, j'aime les images, le style. Mais pas seulement. Le livre a été publié il y a 30 ans et je reçois encore des messages de personnes qui ont été abusés, c'est un album qui émeut, qui a eu un impact important dans leur vie.
Comme on peut le voir avec Grandville, vous semblez très attachés à la culture française, on le voit à travers les nombreux détails, les références deçi delà.
BT : Absolument, Je me suis beaucoup amusé à travailler sur les albums de Grandville.En 1975, j'ai découvert les premiers numéros de Métal Hurlant et ils ont ouvert un nouveau monde pour moi. Je me suis ensuite procuré A Suivre, Ah Nana ! Pilote… Voyez-vous, je suis issu du milieu de la bande dessinée underground britannique.
A cette période, on sentait bien que les comics underground avec des auteurs comme Robert Crumb, Robert Williams, Gilbert Shelton avaient une grande influence sur Moebius, sur tous ces dessinateurs français qui travaillaient pour ces magazines. Les comics Underground se réclamaient d'un medium pour adulte, c'était très important.
Qu'est-ce qui vous a attiré vers le Steampunk, initialement ?
BT : Le style, surtout, différent de la science-fiction normale, une SF plus vintage, victorienne, comme dans les livres de Jules Verne. Avant que le terme de « Steampunk » ne soit créé, on appelait ça de la rétro-science-fiction.
Dans les années 60, quand j'étais ado, l'ère victorienne était très à la mode en Angleterre, Jimmy Hendrick, Mick Jagger portaient des vestes qui rappelaient cette période, Les Beatles avec Sergent Pepper… Il y avait beaucoup de films qui mettaient en scène cette période aussi. C’est une époque très riche sur le plan créatif, en littérature, en Art. Beaucoup de choses en sont ressorties.
Bryan Talbot : "J’ai été beaucoup inspiré par le travail d'illustration de Jean Ignace Isidore Gérard, Grandville, justement, un illustrateur français du début du 19e siècle." © Bryan Talbot/Délirium
Grandville est aussi un formidable terrain satyrique pour parler de l'époque, du débordement des gouvernants. A travers de ces intrigues vous parlez des années 1900, mais aussi d'aujourd'hui. C'est un travail de fond qui vous intéresse ?
BT : Oui, je crois que c'est important. La science-fiction, ces récits du futur sont toujours un commentaire sur le présent replacé dans un autre milieu.
Pourquoi avoir choisi des personnages animaliers ?
BT : J’ai été beaucoup inspiré par le travail d'illustration de Jean Ignace Isidore Gérard, Grandville, justement, un illustrateur français du début du 19e siècle qui a produit beaucoup d'illustrations humoristiques, des caricatures qui mettaient en scène des animaux habillés comme des humains. Un artiste qui a donc directement inspiré le nom de la série. Un jour, je me suis dit « Et si Grandville était la plus grande capitale au monde, Paris, en quelque sorte, le centre d'un très grand empire », d'où aussi cette inversion au sujet de la victoire des français sur les anglais. J'ai d’ailleurs découvert qu'un des premiers romans uchroniques était écrit par un français, Louis Geoffroy, en 1836 « Napoléon et la conquête du monde », un futur alternatif dans lequel Napoléon a gagné.
J'aimerais bien parler un peu d'Alice.
BT : Quand j'ai commencé à travailler sur Alice in Sunderland, c'était vraiment important pour moi, une façon de redécouvrir la ville, l'endroit. C'est un livre qui parle des contes, de la façon de raconter des histoires. J'avais envie d’écrire, depuis quelques années, quelque chose sur Lewis Carroll. En commençant à travailler sur ce projet, j'ai découvert qu'il avait beaucoup de lien avec la ville, ce qui a exigé finalement de parler d’elle aussi, d’en faire un personnage en soi.
Il m'a fallu beaucoup de temps, 4 ans, pour construire la structure de l'album. Ça prend la forme d’une sorte de voyage onirique, un flux de conscience, mais en dessous c'est extrêmement structuré. On m'a dit que c'était un livre beaucoup trop anglais pour les français.
La mise en scène d'Alice était une performance dans le vrai théâtre de Sunderland. Tout l'album est en quelque sorte une performance disons… musicale.
Merci beaucoup Bryan
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