A Beyrouth il y aurait un génie qui est l'esprit de la ville. On ne pourrait le tuer qu'en détruisant Beyrouth. En 1975 à Beyrouth, la rue Rizkallah rassemble les différentes communautés du Liban. La cohabitation est fragile. La guerre éclate. Sélim Nassib journaliste libanais signe "Le Génie de Beyrouth" en trois tomes qui s’inscrivent dans l’actualité. Il s’exprime sur son récit mis en images émouvantes par Léna Merhej.
Vous racontez l’histoire du Liban, Sélim Nassib ?
Sélim Nassib : C’est encore plus simple, la chronique d’une rue en 1975 à Beyrouth. J’y suis né. J’ai vu comment les regards changeaient, la tension montait. On gardait une certaine normalité alors que tout commençait à craquer.
Comment Beyrouth, Suisse du Moyen Orient est passée à une guerre civile totale ?
S.N : Beaucoup de gens disent, « Le Liban c’est trop compliqué on ne comprend rien ». Je déroule un fil avec la politique en arrière-plan dans une rue du centre qui a disparu aujourd’hui, la rue Rizkallah. Son nom veut dire la fortune de Dieu. A Beyrouth il y avait 18 communautés différentes. Pas un paradis perdu car si on vivait ensemble côte à côte on ne se mélangeait pas. La mixité c’était la famille, la mosquée, l’église, une cohabitation. Des relations cordiales, pas plus.
Avec une kyrielle de personnages qui signent une tragi-comédie, des gens pourtant condamnés à s’entendre. Et un élément extérieur qui vient brouiller les cartes.
S.N : On pourrait dire c’est la faute des Palestiniens mais ils n’ont pas choisi d’être là. Tout en créant de conditions de guerre dans un pays tranquille, prospère. Israël nait en 1948 et des centaines de milliers de Palestiniens arrivent au Liban. Les Chrétiens ont pensé que cet afflux de Musulmans allait changer la donne et l’équilibre. Face à des Palestiniens armés, une partie des Chrétiens, les Phalangistes, s’arme aussi.
C’est ce que vous montrez avec vos trois héros, Roro, Riri et Roland.
S.N : En 1975 la guerre éclate, on se divise entre pour et contre. Dans mon livre les frères chrétiens commencent à s’entraîner avec des fusils en bois, deviennent miliciens. Toute l’histoire est vue sous cet angle. C’est comme un conte, l’histoire d’une rue qui a son échelle va jouer un rôle dans la guerre. Il y a bien sûr une part romanesque avec un dessin clair et chaleureux qui s’inscrit dans le paysage, la couleur du ciel.
Le génie de Beyrouth – Tome 1 – Rue de la fortune de Dieu © Sélim Nassib - Dargaud
Et le Génie de Beyrouth ?
S.N : Le Génie de Beyrouth, quoiqu’il arrive même aujourd’hui, fait que les habitants rigolent de leur malheur. Il faut aussi renaître de ses cendres. Pendant des siècles ils ont vécu de cette façon multicommunautaire ce qui a aiguisé leur sens du commerce, leur intelligence.
Vous êtes chrétien ?
S.N : Non juif. Les Juifs du Liban sont très différents des Juifs du monde arabe. Ce sont des gens du cru, là depuis toujours. Au Liban la communauté juive avait le même statut que les autres libanais. Sans différence jusqu’au moment où Israël a été créé. On a mis en doute leur loyauté. Libanais ou alliés d’Israël ? La méfiance est née d’un coup. Avec les habitants de la rue Rizkallah on comprend le mécanisme destructeur qui se met en place. Beyrouth devient une ville martyre. Dans le tome 2 qui sort en février 2025, on est au début de l’invasion israélienne de 1982, l’assassinat de Béchir Gemayel. On suivra le destin d’une jeune fille musulmane, « La fille tombée du plafond » qui devient le personnage principal. Le tome 3 ira jusqu’au départ des Palestiniens avec Arafat vers l’Algérie. En 1982 le Hezbollah a pris leur place jusqu’à aujourd’hui malgré le cessez-le-feu.
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