Fondateur des éditions Kamiti, Jean-Christophe Lambrois revient pour ZOO sur les défis traversés depuis la création de sa maison, son positionnement éditorial, sa stratégie de financement participatif et ses ambitions futures. Rencontre avec un éditeur passionné, entre résilience, innovations et rêves de science-fiction.
Peux-tu revenir sur ton parcours avant la création des éditions Kamiti en 2017 ?
Jean-Christophe Lambrois : Pas du tout du milieu de la bande dessinée, même si j’ai toujours été un grand lecteur. J’ai un diplôme d’ingénieur en physique et je travaille dans l’industrie. En parallèle, j’ai toujours eu ce rêve d’enfant : faire de la BD. Pas forcément comme auteur, car je n’avais pas le niveau en dessin, mais je voulais m’en rapprocher. Kamiti est née d’une envie d’entreprendre et de renouer avec cette passion.
J’ai créé la structure juridiquement en 2016, signé mes premiers contrats en 2017 et sorti les premiers albums en 2018. Depuis, on a publié une vingtaine de titres, principalement dans l’imaginaire : science-fiction, fantasy, fantastique, parfois un peu d’historique ou de polar.

Jean-Christophe LAMBROIS, fondateur des éditions BD Kamiti
D’où vient le nom Kamiti ?
J.C.L : C’est un mot de l’ancien latin populaire letton : un diminutif affectueux pour dire "mon chéri", "ma chérie". C’était un petit clin d’œil à mon épouse, originaire de Lettonie, en hommage au soutien qu’elle m’apporte dans cette aventure.
Il a aussi une consonance légèrement japonaise, ce qui ne me déplaisait pas vu la proximité avec le monde du manga.
Quelle est ta ligne éditoriale ? Comment sélectionnes-tu les projets ?
J.C.L : Au départ, je ne connaissais personne dans le secteur de l’édition. J’avais posté une annonce sur BDGest, et sur vingt propositions reçues, une seule m’a paru aboutie : Aeka.
En parallèle, j’avais aussi posté un message sur Facebook où j’évoquais mon envie de publier de la science-fiction. Stéphane Louis m’a répondu. Il a travaillé sur de nombreux projets chez Soleil. Il m’a tendu la main, a proposé un scénario, et c’est devenu Redsun.
Depuis, j’essaie de rester fidèle à cette ligne autour de l’imaginaire. Je laisse beaucoup de liberté aux auteurs, parfois trop. Avec l’expérience, j’ai appris à mieux cadrer, car certaines critiques m’ont montré que mon intuition était bonne, mais que je n’avais pas assez accompagné certains projets.
Tu as beaucoup recours au financement participatif. Pourquoi ?
J.C.L : Par nécessité au départ. Mes premières ventes en librairie ne permettaient pas de couvrir les frais, surtout pour de la création originale. Le crowdfunding permet de financer les projets en amont. Il offre aussi une relation directe avec les lecteurs : on s’adresse à des passionnés, on reçoit des retours, on crée une communauté.
Mais cette communauté est très sollicitée. Même Métal Hurlant passe par le crowdfunding aujourd’hui. Il faut donc se différencier. C’est pour ça qu’on a tenté des projets avec des YouTubeurs : Agartha par exemple, qui a levé près de 80 000 €, soit environ 1 500 exemplaires vendus.

Le premier album d'Agartha, créé avec des Youtubers, a levé près de 80 000 € sur ulule, la plateforme de crowdfunding © Kamiti
Quels sont les défis que tu rencontres aujourd’hui ?
J.C.L : Le plus dur, c’est la logistique. J’habite en Belgique mais j’ai une société de droit français. Pendant un temps, une personne, Claude, me faisait les paquets et je déposais moi-même les colis dans un centre Mondial Relay le soir après le travail. Mais c’est trop de contrainte.
Je cherche donc une entreprise partenaire pour assurer toute la partie logistique. Je veux me décharger de ces tâches chronophages et moins intéressantes pour me recentrer sur l’éditorial, la présence en salon, le développement.
J’ai aussi envie de confier davantage l’éditorial à Fabrice Linck, qui a déjà travaillé avec moi sur des scénarios et qui est aussi un bon maquettiste.
Tu gères Kamiti en plus d’un autre métier ?
J.C.L : Oui, depuis 6 ans, je cumule deux jobs. Mon activité principale de salarié, très prenante, dans l’industrie, et Kamiti à côté, le soir et le weekend. J’y passais parfois 20 heures par semaine, dont 80 % pour la logistique. C’était devenu intenable physiquement et moralement.
Aujourd’hui, je veux que la maison devienne rentable. Le mode survie ne peut plus durer. Fort heureusement, ce sera le cas cette année, nous allons clôturer cet exercice avec un petit bénéfice.
Quelle est ta place dans le paysage de l’édition BD ?
J.C.L : Je me positionne comme un petit éditeur indépendant qui propose des récits qu’on ne trouve pas ailleurs, notamment en science-fiction.
On a un positionnement hybride, entre librairie et financement participatif. Mais je pense qu’il faut tout faire : les salons, les réseaux, les partenariats avec des créateurs de contenu.
As-tu des projets à l’international ?
J.C.L : Oui. On commence à avoir des discussions pour des droits en Angleterre et aux États-Unis. Ce qui m’intéresse surtout, ce sont les partenariats avec des éditeurs locaux qui utiliseraient le financement participatif pour lancer nos séries traduites.
Le modèle franco-belge en 46 - 48 pages n’est pas évident pour eux, ils préfèrent des tomes regroupés. Mais on avance.
Et demain, Kamiti dans 5 ans, tu la vois comment ?
J.C.L : Je rêve d’une maison qui publie une vingtaine de BD par an, pas trois. Qui puisse investir, se développer, proposer de nouveaux récits originaux. J’aimerais que Kamiti soit une pépinière d’auteurs, un laboratoire de récits inédits, et qu’on explore aussi les nouvelles formes de narration, via la 3D, les outils numériques…
Une BD Kamiti à faire lire à un extraterrestre ?
J.C.L : Redsun, sans hésiter. C’est une histoire de confrontation entre deux civilisations. Ce serait un bon clin d’œil à leur arrivée sur Terre !
Et s’il fallait n’en sauver qu’une d’un incendie ?
J.C.L : Choix difficile, je les aime toutes ! La balade d’un homme violent de Denis Van P. peut-être.. Elle m’émeut profondément, c’est une œuvre très touchante. Ce n’est pas de l’imaginaire, mais elle parle de l’enfance, qui est sacrée pour moi.

La ballade de l'homme violent, l'album qui émeut Jean-Christophe Lambrois, fondateur des éditions Kamiti
Un conseil à un jeune qui voudrait devenir éditeur ?
J.C.L : Ne pas se lancer sans diffuseur, ne pas faire de compromis sur la qualité du premier titre. La première impression est décisive. Et surtout, ne pas croire qu’on pourra tout faire seul, ni tout de suite.
Un mot de la fin ?
J.C.L : J’aimerais dire aux jeunes lecteurs : il n’y a pas que le manga dans la vie ! Le franco-belge propose aussi des récits extraordinaires. Et à tous : passez un peu moins de temps sur les réseaux, ouvrez un album, vous verrez, ça rend plus intelligent !
Editeur
EditeurEté2025
Eté2025





Haut de page
Votre Avis