Une trentaine d'albums de bande dessinée et d'illustration, 750 affiches engagées et militantes dont 500 dessinées pour les festoù-noz (bals bretons), des milliers de dessins/ A 76 ans, l'auteur Alain Goutal a eu une vie graphique bien remplie. Juqu'en octobre, la Maison de la baie d'Audierne à Tréguennec, dans le Finistère, accueille son travail après celui de ses amis Nono et François Bourgeon. Rencontre dans son atelier, à Guingamp dans les Côtes d'Armor, avec sa compagne et mère de leur fille Enora, Cathy, à ses côtés depuis plus de cinquante ans.

Alain Goutal assis à son bureau, chez lui © Pierre Fontanier
Vous avez divisé votre atelier en deux pièces ?
Alain Goutal : Oui, pour plus de commodités. On est arrivé récemment à Guingamp après plus de cinquante ans passés en Centre-Bretagne, en Saint-Servais et Saint-Nicodème. J'ai fait mes étagères sur mesure pour avoir ce qu'il me faut à porter de main. Le reste est au sous-sol et au grenier. Je suis un peu conservateur (rires). J'ai une pièce où je dessine et l'autre où je bidouille. Les deux sont exposées plein nord, donc c'est parfait car c'est une lumière stable, qui ne bouge pas.
Cathy Goutal : quand un collègue dessinateur ou un ami a besoin de documentation ou qu'il cherche un titre précis, il trouve souvent son bonheur chez nous.
Alain, vous êtes mi-Berrichon, mi-Breton et Cathy, vous êtes Bretonne ?
A.G : oui, ma mère était de Bourges, j'y ai vécu avec elle jusqu'à ma majorité. Mon père était Breton. Je suis un sang-mêlé, un métisse. Mon grand-père maternel, René Loeillet, était jardinier et homme d'esprit : j'ai passé mon enfance avec lui dans les marais de Bourges.
Cathy Goutal : Oui, je suis née et j'ai grandi à Rennes. Nous nous sommes rencontrés en 1966 sur une plage de Plestin-les-Grèves dans les Côtes-d'Armor où nos parents respectifs avaient décidé de nous emmener en vacances. J'avais 15 ans, Alain 17 ans. Il m'a invitée à jouer à la balle au prisonnier. J'ai dit oui…
Vous êtes ensuite devenue infirmière…
Cathy Goutal : Oui. Puis, avec une collègue psychologue, j'ai monté une des premières librairies jeunesse de Bretagne à Guingamp, Les quilles à la vanille. C'est aussi dans cette ville que j'ai créé un centre d'accueil de jour pour les aidants des malades d'Alzheimer. Il a ensuite été absorbé par l'hôpital.
Quand commencez-vous à vivre du dessin, Alain, et quand venez-vous vous installer en Bretagne ?
A.G : Je vivais seul avec ma mère à Bourges. Pour sécuriser l'avenir, même si ça n'a pas été ma tasse de thé, j'ai suivi une filière technique en me formant au dessin en construction électrique et en automatisme. Puis je suis parti travailler trois ans chez Alstom à Paris. Je faisais autant de caricatures dans les marges de mes plans que de dessin en automatisme… En parallèle, j'avais publié mon premier dessin dans Pilote quand j'avais seize ans. Une sacrée fierté, pour moi qui ai acheté ce journal dès le premier numéro et jusqu'à la fin, je les ai encore tous aujourd'hui. Je rentre dans l'agence de presse MPB à Paris et je commence le dessin de presse. Notre fille, Enora, est née en 1972. On avait découvert le Centre-Bretagne au cours de randos et le coin de Saint-Servais et Trémargat nous avait vraiment enchantés. Je rencontre Fanch Vidament, un peintre paysan qui devient un ami et nous trouve une maison à Saint-Servais. On s'est très vite attaché au Kreiz-Breizh (N.D.L.R : Centre-Bretagne en breton), sa culture naturelle et humaine, sa solidarité, ses circuits courts.
Comment se passe vos débuts en Bretagne intérieure ?
A.G : Un copain de bureau à Paris collectionnait mes dessins. Il va voir le barde Glenmor et son ami Xavier Grall, journaliste, poète et écrivain qui tenaient alors le journal La Nation bretonne. Milig (le vrai prénom breton de Glenmor, qui sappelait Emile Le Scanff en français) lui dit qu'il m'embauche sur le champ et que je commence à dessiner quand je veux. On s'installe en Bretagne avec Cathy et je débarque la bouche en cœur chez Glenmor à Mellionnec : ils venaient juste de déposer le bilan. Mais on avait choisi notre vie, l'époque était exubérante, on était jeunes, il y avait plein de combats à mener et le dessin y avait toute sa place. J'ai commencé à dessiner des affiches, en particulier pour les festoù-noz (N.D.L.R : les bals bretons). Aujourd'hui, j'ai dessiné 750 affiches dont 500 de festoù-noz.
Vous avez aussi publié une trentaine d'albums…
A.G : Oui. Quand j'ai commencé, j'étais Smicard en vivant du dessin dans la région que j'avais choisie : j'étais le roi du monde ! J'ai rencontré le dessinateur Nono et on est devenu amis. C'était en 1972 à Erdéven (Morbihan), autour du combat antinucléaire le Crin (Comité régional d’information nucléaire) de Michel Politzer. Puis j'ai commencé à dessiner dans Frilouz. Ce journal est né d'un quiproquo. Dans un article de presse, le journaliste laissait entendre qu'il y avait une opposition entre les dessinateurs de Basse et de Haute-Bretagne. On a publié huit numéros entre 1982 et 1984, à 12 000 exemplaires entre la Bretagne et Paris.
Vous êtes aussi un des cofondateurs du festival Quai des Bulles, devenu le deuxième en France après Angoulême.
A.G : Exact. En 1981, on monte un premier festival autour des 150 auteurs de BD alors présents en Bretagne. On se structure pour aider les jeunes auteurs. Puis on organise les Etats caporaux de la BD, on était 110 (caporaux car on n'avait pas de général !). Ce festival dure dix ans et s'arrête en 1991. Avec Dieter et Jean-Claude Fournier, on se dit qu'il n'est pas possible que la Bretagne n'ait plus de festival de BD. Fin octobre 1992, on organise la première édition de Quai des Bulles. On attire 20 000 visiteurs. Je me suis investi dans l'organisation de cet événement pendant 17 ans. Mais avec quatre mois de travail par an consacrés uniquement à cela, c'est une danseuse qui coûte cher. J'ai développé l'aspect expos, j'en ai couvert 170, puis j'ai souhaité passer à autre chose.
Vous avez continué dans l'organisation d'expos de BD…
A.G : Oui, j'ai monté l'expo BDZH, en 2006 aux Champs libres à Rennes, puis les expos Mer & BD en 2008-2009 sur huit sites, dont Liège en Belgique.
Vous avez toujours transmis votre art et continuez aujourd'hui ?
A.G : La transmission, ça fait partie du taf. Je reçois régulièrement des dessinatrices et dessinateurs dans mon atelier. C'est un échange assez capillaire on apprend dans les deux sens mais c'est très chronophage. Je cherche à transmettre comme l'ont fait d'autres auteurs avec moi quand j'ai commencé le métier : Pétillon, Bourgeon, Auclair… Mes pères putatifs sont Goscinny, Uderzo, Jean Giraud (Moebius).

Alain Goutal à l'oeuvre © PierreFontanier
Vous n'avez jamais lâché le dessin de presse ?
A.G : Le dessin de presse, c'est tous les jours. J’utilise la caricature pour me soigner et éviter l’ulcère. Agiter le chiffon rouge, être un thermomètre, ça ne m’a jamais quitté. Je suis aussi le directeur de publication de Splann !, un média breton d’enquête et d'investigation. Je suis toujours en lien avec les étudiants en journalisme de Lannion : j'aime m'immerger dans ce type d'énergies constructives.
Dessiner les animaux remontent donc à votre enfance dans les marais de Bourges ?
A.G : J’ai toujours dessiné des animaux. Pour moi, c’est le vecteur essentiel dans la dynamique d’une case, d’une page. On partage un espace avec eux, donc c’est toujours intéressant de les comprendre. La nature m’habite depuis que j’ai passé ma jeunesse dans les marais de Bourges avec mon grand-père maternel, René Lœillet. Jardinier, il était un homme d’esprit.
Quels outils utilisez-vous pour dessiner ?
A.G : Pour le dessin de presse, je travaille au feutre pinceau puis je scanne et je mets en couleur. Pour l'illustration et la BD, je fais mes crayonnés, puis mes encrages et je bosse en couleur directe. Et je bidouille : c'est la pierre d'angle de notre boulot. Saviez-vous que nous sommes aujourd'hui 650 auteurs de bande dessinée qui vivent en Bretagne.
Quels sont vos projets de livres, d'expos… ?
A.G : J'ai plusieurs projets de bouquins à partir de l'automne, albums, recueils d'illustrations et de dessins de presse, monographie...
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