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Un apéro ZOO avec Florence Cestac (3/3)

Suite et fin de la retranscription de la passionnante rencontre ZOO avec Florence Cestac, organisée en marge du dernier Festival BD d’Angoulême, le temps d’un long apéritif au Lion Rouge que nous ne sommes pas près d’oublier. Pour finir, l’artiste nous parle de son processus de création et plus largement du marché de la bande dessinée. Avant de conclure sur un scoop concernant un enfant caché !?!

Techniques de travail et autres considérations sur le métier

François Samson : Pour un certain nombre de dessinateurs, avant qu'ils trouvent le style qui va les faire connaître, on voit parfois que ça va dans des directions totalement différentes, à leurs débuts. Est-ce que tu étais tout de suite dans ce style, tout en rondeur, ou bien c'est ce que tu as exploré ?

Florence Cestac : Non, moi c'est tout de suite les gros nez ! Je savais que ça allait être des gros nez. Alors au début c'était trop gros, ils pendouillaient. Quand je revois mes premiers dessins, ce n'est pas très beau, mais voilà, c'est à force de faire que ça s'améliore. Ce qui est long à faire, c'est de se mettre son personnage dans le crayon, comme on dit. Et de pouvoir le dessiner dans tous les sens, dans toutes les formes, de faire un homme, une femme, un chien, tout ça, avec le même pif. C'est long à venir, ça. C'est très long.

F. S. : Quelles sont les BD de ton enfance qui t'ont amenée à faire du gros nez ?

F. C. : Il y a Gaston Lagaffe, Popeye, Pépito, tous les trucs à gros nez !

F. S. : Dans ta famille, les gens lisaient de la BD ?

F. C. : Non, pas du tout. Non, mais j'étais une tarée, moi. J'étais dyslexique. J'étais nulle à l'école, donc on me collait au fond de la classe et je dessinais. Je n’étais pas chiante, je dessinais dans mon coin. On me foutait la paix. Comme j'étais dyslexique, on m’avait dit : « L'écriture, faut oublier, ce n’est pas pour toi. » Alors je m'appliquais à faire des belles rédactions et des belles histoires, et puis j'avais 50 fautes dont j'avais toujours zéro. Et un jour je me suis dit que j'aimais bien dessiner et raconter des histoires. Donc la bande dessinée, ça a été flagrant. Alors j'ai fait Les Beaux-Arts, j'ai fait les Arts Décos, quand même, à une époque où c'était possible sans le Bac. On finit par trouver son chemin. C'est un peu long, mais on y arrive.

F. S. : Et quand tu écris tes propres scénarios, est-ce que tu as vraiment tout écrit quand tu commences à dessiner ou bien y vas-tu au fur et à mesure ?

F. C. : Non, j'ai un cahier de brouillon où tout est fait, tout est posé. Parce que je fais un chemin de fer, je répartis un peu les scènes de tout ce que je veux mettre, en gros. Je reviens sur chaque page, j'écris les dialogues et tout est en place quand je commence à dessiner.

F. S. : Et sur le cahier de brouillon, tu dessines en même temps ou juste tu écris ?

F. C : Il y a un vague crobard où sont les personnages.

F. S. : Entre ça et la planche, il y a une étape intermédiaire ou tu attaques direct la planche après le brouillon ?

F. C. : Non, non, la planche, direct. Je fais tout moi-même, tout à la main.

Photo de l'interview de Florence Cestac, Angoulême, 2025

Photo de l'interview de Florence Cestac, Angoulême, 2025

F. S. : Ce n'est pas une intelligence artificielle qui le fait ?

F. C : Pas du tout, pas du tout, même les couleurs ! Même les couleurs, je les fais moi-même.

F. S. : C'est déjà arrivé que tu confies les couleurs d’un album à quelqu'un d'autre ?

F. C. : Oui, mais ce n’était pas bien. Enfin, ça ne me plaisait pas !

Intervention Christophe Vilain : Là, tu travailles encore sur des bleus ?

F.C : Oui.

Intervention C.V : Donc l’imprimeur te sort des bleus ?

F. C. : Oui, oui. Je dois être la seule dans la maison d'édition !

Intervention C.V. : Je ne sais pas si vous connaissez le principe du bleu ? Est-ce que tu peux expliquer un petit peu le principe du bleu ?

F. C. : L'original est en format A3. Il est réduit au format de parution et le dessin est imprimé sur une feuille de papier en gris ; et par-dessus vient un film transparent noir. Je fais les couleurs sur le papier à dessin et on remet le film noir par-dessus pour avoir des beaux noirs. De façon à ce que ce soit effectivement parfait. Mais c'est très ancien. La bande dessinée se faisait toujours comme ça. Je ne me suis pas mise à l'ordinateur. Je fais ça avec des encres, à la main.

Intervention du public : Pour un album comme ça, il faut combien de temps ?

F.C. : Un an. Du début jusqu'à la fin, à peu près un an. Et la couleur, ça va assez vite. La couleur, c'est un mois et demi. Ce qui est long, c'est l'écriture. C'est de répartir tout ce que j'ai envie de dire dans mon cahier de brouillon. Ce qui est important aussi, c'est le rythme : cette scène-là, elle est trop longue, on la raccourcit ; celle- là, il faut l'allonger… C'est une espèce de puzzle, agencé. Et ça, ça prend du temps, c'est très long.

Intervention du public : Vous êtes plutôt sur un rythme du matin ?

F. C. : Tous les jours, un peu. Je vais prendre mon petit café au bistrot, j'écoute les conversations, je regarde les gens. C'est là où je m'inspire beaucoup ! Puis je rentre à la maison et je mets au boulot, tranquille.

F. S. : Et le plaisir le plus fort pour toi, c'est l'écriture ou c'est le dessin ?

Extrait de la BD Le démon de midi

Extrait de la BD Le démon de midi © Dragaud, 2005, Florence Cestac

F. C. : Un peu les deux, les choses sont complètement différentes. Quand j'écris, je suis dans le calme. Le dessin, c'est plus la récompense. Je mets de la musique, j'écoute à la radio, et je dessine. Je me laisse aller, quoi !

F. S. : Tu choisi la musique en fonction des ambiances, ou ça n’a rien à voir ?

F. C : ça n’a rien à voir.

F. S. : Tu écoutes quoi comme musique ?

F. C. : Du jazz. Et la radio, beaucoup. France Inter, France Culture, tout ça !

F. S. : Et l'encrage ? tu aimes bien encrer ?

F. C. :Oui. C'est au pinceau. De faire un joli trait comme ça avec des pleins et déliés et tout ça c'est très agréable !

F. S. : Et tu prends toujours des « vrais pinceaux » qu'on trempe dans l'encre de Chine ou tu prends des feutres-pinceaux comme le font certains dessinateurs ?

F. C. : Non, de l'encre de Chine. Ça ne bouge pas après. C'est pour avoir des beaux noirs qu'on prend de l'encre de Chine.

Intervention du public : Qu’est-ce que vous lisez comme BD ?

F. C : Je n’en lis plus. Il y en a trop. C'est vrai, j'en lis moins qu'avant parce que je n'y arrive plus. Je n'y arrive plus à suivre.

F. S. : Est-ce que tu relis tes albums ?

F. C. : Pas beaucoup, parce que je ne vois que des défauts. Il y a des cases où je me dis : Oh là , j'aurais pu retravailler, j'aurais pu refaire le dessin... Non, je ne veux pas relire. Pas trop !

F. S. : Tu ne lis plus vraiment de BD mais qu'est-ce que tu lis ? Des romans ?

F. C. : Un peu de tout. Je pioche comme ça, à gauche à droite. Je lisais beaucoup de polars à une époque, puis moins, maintenant. Mais je vais beaucoup au cinéma, parce que j'habite à Paris, où il y a beaucoup de cinémas autour. Ça, j'aime bien. Ça me change la tête.

F. S. : Il y a des films, parfois, où tu te dis : « Tiens, ça me donne une idée, je pourrais faire une BD. » ou est-ce que c'est vraiment déconnecté ?

F. C. : Oui, c’est déconnecté. Cela me plonge dans un autre univers, donc ça me change la tête. C'est aussi du fait que je lis moins de bandes dessinées. Quand on a passé sa journée à faire de la bande dessinée, lire en plus de la bande dessinée le soir... Plutôt lire un bouquin ou aller au cinéma ou à une expo, voilà !

Sur les planches

Intervention Christophe Vilain : Justement, en termes d'expo, quand vous montez la librairie Futuro vous êtes les premiers à montrer et proposer des planches dans la librairie.

F. C. : Oui, oui.

Intervention C. V : Comment tu perçois cette évolution du marché ?

F. C : On avait fait une grande conférence sur un auteur américain décédé, qui s'appelait Vaughn Bode. Il était venu à Paris, il avait fait un show, et on avait vendu des planches dans la librairie. Ce n’était pas cher du tout, maintenant ça vaut une fortune. À l'époque des premiers temps de la bande dessinée dans la librairie, ou même des premières éditions, on ne pouvait pas penser que la bande dessinée allait avoir une telle ampleur. Au premier festival d'Angoulême, on était « antiquaires de la bande dessinée ». Francis Groux était venu nous voir et nous avait dit : « Venez, apportez des choses anciennes de votre librairie et je vous installe dans le Musée d'Angoulême. On était donc au premier étage et on avait apporté une camionnette de vieilles bandes dessinées. Donc je suis au Festival d'Angoulême depuis le 1er !

Angoulême (un peu, beaucoup…) et les rencontres avec les lecteurs

F. S. : A Angoulême, tu avais rencontré des auteurs étrangers. Il y avait...

F. C : Il y avait Franquin surtout, il y avait Hergé, il y avait tous les mecs formidables, donc ça créait des liens !

F. S. : Tu parlais de Franquin, la référence, est-ce que tu es allée le voir ?

F.C : J'ai dit, « Bonjour Monsieur, j'aime beaucoup ce que vous faites. » Oui, je ne savais plus où me mettre ! Pour moi, c'était un génie. Effectivement, je lui ai serré la main, mais j'étais comme une gourde. Pour moi, c'était un maître, bien sûr.

F. S. : Et le Angoulême d’aujourd’hui, alors ?

F. C : C'est fatiguant. Je pense que ce n'est plus de mon âge. Place aux jeunes !

F. S. : Ça va, j'espère que je ne t'ai pas trop fatiguée en plus avec toutes mes questions !

F. C. : Non, ça va, mais c'est vrai que, waouh, je ne me souvenais pas que c'était aussi dense. Dédicacer dans les bulles, c'est vraiment dur. Il y a un monde fou, il y a beaucoup de bruit, comme je suis vieille et que j'ai des acouphènes, ça siffle, c'est terrible ! Mais bon…

Photo de groupe avec Florence Cestac, Angoulême, 2025

Photo de groupe avec Florence Cestac, Angoulême, 2025

F. S. : C'est pour ça que j'essaie de parler plus fort que les acouphènes. J’étais au courant !

F. C. : Oui, oui. Je lui avais dit.

Intervention du public : C’est pour ça que des rencontres comme ça, c’est des choses que l’on ne peut pas avoir dans les bulles.

F. C. : Non

Intervention du public : Ce que je vis cet après-midi à Zoo, c’est vraiment sympa, prendre un apéro avec vous !

F. C : Oui, c'est sympa. Parce que la dédicace, on fait ça à la chaîne, on n'a pas le temps de discuter avec les gens, on dit trois mots et ça va trop vite. Je suis trop vieille. Voilà, voilà, voilà.

Intervention CV. : Donc tu ne reviendras que pour les rendez-vos de Zoo !

F.C : Voilà ! Pour prendre l'apéro !

C. V : Donc n'hésitez pas, profitez-en, d'être un petit comité comme ça.

F. S. : Je n'ai pas posé toutes les questions. Je l’'ai fait exprès...

F. C : (à Philippe Luguy qui est arrivé entretemps) Lui, il va me poser une question, je suis sûre !

Philippe Luguy : Oui. Combien avez-vous eu d'enfants avec moi ?

C.V : On n'avait pas osé en parler tout à l'heure, mais on s'est dit qu’on allait le faire.

F. C : On en a eu une, mais une belle. Voilà. Tu ne l'as pas amenée ?

P. L. : Si, elle est dans la voiture. Elle m’accompagne partout. C’est un jour, on dédicaçait ensemble et il y avait une grande brocante et Florence est folle des brocantes.

F. C. : C’est maladif, oui !

P. L. : Elle est revenue avec un canard jaune et un poulpe, un espèce de je-ne-sais-pas-quoi, et elle m’a dit : « Ça, c’est les enfants qu’on a eus mais je suis ménopausée, je n’ai pas pu faire mieux. » Alors, elle a retourné le poulpe, elle lui a fait des nichons et une minette et elle a dit : « C’est une fille et elle s’appelle Poulpinette. » On avait posé les deux trucs sur la table (on avait une table ronde en dédicace), avec une soucoupe, et elle avait écrit : « S’il vous plait, donnez-nous des p’tits sous pour élever nos enfants ». Et les gens mettaient de l’argent ! Depuis, j’ai Poulpinette dans la voiture et je l’emmène partout !

F. C : Voilà. Des festivals où ça peut être drôle. Ce n'est pas que de la dédicace. On peut rigoler !

Intervention de Christophe : Est-ce que tu vas toujours en festival ?

F. C : Non, les festivals, j'y vais plus. Je me retrouve avec des jeunes qui sont plus jeunes que mon fils. C'est vraiment Mamie, quoi !

F. S. : C’est bien, ça veut dire que lectorat se renouvelle...

F. C : Place aux jeunes ! C'est rigolo, quand on est jeune. A mon âge… Fini !

F. S. : Cet après-midi, ton public était de tous âges.

F. C : Oui !

F. S. : Et ça, c'est bien !

F. C : C'est rigolo oui, parce que je le disais, les plus jeunes ont été nourris aux Déblok. Ils viennent acheter pour leurs parents, leur grand-mère, j'ai eu des mamies aussi, qui m'ont dit : « J'ai acheté tous les Démons, mais celui-là je ne l'ai pas. » Et voilà. Donc j'ai tous les publics, oui, c'est rigolo.

F. S. : Tu n'as pas seulement un public de fans de BD, tu as un grand public qui est plus large.

F. C : Oui. Je me suis fait un lectorat de femmes qui n’achetaient jamais de bande dessinée. Avec Le Démon de midi, il y a un phénomène de bouche à oreille qui a marché, les filles se sont dit : « Oh, y a une BD sur le Démon de Midi. Voilà, le mec, il quitte sa nana… » C'est ça qui a fait mon succès, Le Démon de midi. Ces femmes-là continuent de m'acheter mes albums. C'est rigolo.

Couverture de la BD Le Démon de midi

Couverture de la BD Le Démon de midi © Dragaud, 2005, Florence Cestac

F. S. : Concernant la part entre hommes et femmes dans ton lectorat que tu vois en festival, est-ce que c'est plutôt plus féminin ou équilibré ?

F. C : C'est moitié-moitié. C'est à peu près pareil. Mais il y a beaucoup plus de femmes qu'avant, par rapport au moment où j'ai commencé Le Démon de midi.

F. S. : Mais elles achètent pour elles, pas pour leur mari amateur de BD ?

F. C : Non, non, pour elles. Ou des enfants pour leur grand-mère ou pour leur mère. Donc c'est rigolo.

F. S. : Mais c'est pour offrir aussi.

F. C : Exactement.

F. S. : Merci beaucoup.

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