Après le succès de R.I.P., Gaet’s et Julien Monnier changent radicalement d’univers avec FanMan. Adapté d’un roman culte américain des années 70 signé William Kotzwinkle, l’album plonge dans un New York fantasmé, déjanté et foisonnant, où l’absurde devient jubilatoire. Rencontre avec un duo qui revendique la liberté de surprendre et de s’amuser.

Couverture de Fan Man, L'Homme au ventilo adapté d’un roman culte américain des années 70 signé William Kotzwinkle © Gaet's et Julien Monnier aux éditions Petit à Petit
Nicholas : Pourquoi avoir choisi d’adapter FanMan, un roman méconnu des années 70, écrit par un auteur américain peu connu en France ?
Julien Monier : En réalité, FanMan est un roman culte aux États-Unis, paru en 1974, mais traduit tardivement en France, seulement en 2008. William Kotzwinkle était assez connu dans les années 70 avec quelques romans à succès, puis il s’est tourné vers la littérature jeunesse et l’illustration. L’adaptation s’est faite un peu par hasard. Alors qu’on bossait sur le tome 4 de R.I.P, un ami de Gaëtan lui a offert ce livre. Il traversait une période un peu difficile, et ce pote lui a dit : « Lis ça, ça va te faire du bien. » Il a adoré, il riait tout seul dans le train pendant qu’on partait en dédicace.
Je l’ai lu à mon tour un peu plus tard – je respecte l’ordre d’arrivée des bouquins chez moi ! Et j’ai trouvé ça génial. Un roman court, vif, absurde et très visuel. Un peu dans la veine de La Conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole, ou des auteurs comme John Fante ou Bukowski. On a commencé à en plaisanter, puis très vite, l’idée d’une adaptation est devenue sérieuse.
Vous avez pu contacter William Kotzwinkle, car il est toujours vivant ?!?
Julien : Pas directement. C’est la maison d’édition américaine de Kotzwinkle avec qui on a traité. On leur a envoyé quelques dessins préparatoires pour présenter notre vision. Ils ont adoré et n’ont posé aucune condition. Peut-être que ce n’était pas obligatoire, mais c’était une politesse et une manière d’établir la confiance.

Extrait de Fan Man, L'Homme au ventilo adapté d’un roman culte américain des années 70 signé William Kotzwinkle © Gaet's et Julien Monnier aux éditions Petit à Petit
Était-ce un besoin pour vous de faire une pause après R.I.P ?
Julien : Oui, clairement. On voulait un one-shot qui tranche. Une respiration. Sortir du polar noir, du glauque, et montrer qu’on savait faire autre chose.
Gaet’s : Et on est des gens plutôt joyeux ! Alors ce roman complètement barré, ça collait bien à notre envie de changement. L'esthétique du bordel comme terrain de jeu graphique
Julien, ce chaos visuel, ce désordre, c’est un vrai défi graphique non ?
Julien : J’adore dessiner le bordel ! Déjà dans R.I.P, on avait une scène avec un personnage atteint du syndrome de Diogène. C’est long à dessiner, mais super jouissif. Comme une forêt : pas de perspectives à respecter, juste des tas à organiser. Dans FanMan, j’ai choisi d’enrichir ce foutoir avec des objets inattendus : des masques de théâtre japonais, des jouets des années 70… Ça rajoute de la profondeur et suscite la curiosité. On se demande ce que fait ce masque là-dedans. Ça stimule l’imaginaire du lecteur.
L’univers graphique de FanMan s’inscrit dans un New York très typé. Quelles ont été vos sources ?
Gaet’s : Le roman se passe dans le Lower East Side (Ndlr : un quartier de New York qui se trouve tout au Sud de Manhattan) des années 70, mais la réalité était beaucoup plus délabrée que ce qu’on voulait représenter. Du coup, j’ai triché ! J’ai mélangé plusieurs quartiers new-yorkais plus « esthétiques » pour rendre la ville plus joyeuse et cartoonesque. Des références comme Taxi Driver, ou Joker plus récemment, m’ont inspiré pour capter l’imagerie collective de New York. On a créé un New York fantasmé, pas un documentaire.

Extrait de Fan Man, L'Homme au ventilo adapté d’un roman culte américain des années 70 signé William Kotzwinkle © Gaet's et Julien Monnier aux éditions Petit à Petit
C’est un changement d’univers complet par rapport à R.I.P. Comment avez-vous vécu ce basculement ?
Gaet’s : On garde quand même une certaine esthétique. Les personnages ont toujours leurs petites bizarreries, leurs gueules de travers. Ce sont des marginaux attachants. Julien : C’est moins macabre, mais on reste dans un univers graphique cohérent. R.I.P était une fiction pure, FanMan est une adaptation, donc on s’est autorisé des libertés tout en restant fidèle au texte. Adapter, c’est aussi faire des choix
Avez-vous élagué certaines scènes du roman ?
Gaet’s : Oui. Par exemple, il y avait une scène avec un faucon jaune qui violait une femme. Inutile et malaisante. On voulait un récit feel-good, pas glauque. On a aussi conservé certains tics de langage. Horst, un personnage, répète sans cesse « baby ». C’est excessif dans le roman, on l’a gardé mais allégé. Ces manies, ces petites déformations du langage, c’est ce qui donne vie aux personnages.
Dans R.I.P aussi, chacun avait son tic verbal : Maurice disait toujours « Écoute-moi… », Ahmed « Non, je déconne ». Ce sont des marqueurs essentiels pour construire des figures crédibles et attachantes.

Gaet's et Julien Monnier lors du Festival International de Bande Dessinée d'Angoulême 2025 © Guillaume Berthier / ZOO Le Mag
Y a-t-il des passages intégralement repris du roman ?
Gaet’s : Oui, on a paraphrasé plusieurs passages, on est resté assez proche du texte, tout en y ajoutant notre grain de sel.
Vous l’avez lu en anglais ?
Julien : Non, la version française. En VO, il faut un très bon niveau, le héros parle un argot bien particulier.
Y a-t-il des références cachées ou des clins d’œil ?
Gaet’s : Bien sûr ! Celui qui m’a offert le livre a son petit clin d’œil dans l’album. Il y a des échos à R.I.P, des détails qu’on a glissés. Ça s’intègre bien dans la folie douce du héros, ça n’aurait pas collé ailleurs.
Un roman des années 70, est-ce que ça parle encore en 2024 ?
Gaet’s : Franchement, ce serait bien qu’on revienne à cette époque ! Post-68, jazz, soul, une ville en mutation… Les contrastes de New York étaient criants. Et aujourd’hui encore, dans les grandes villes, on retrouve cette fracture : des centres rénovés et des périphéries marginalisées.
Julien : Mais FanMan n’est pas un discours social. On a volontairement mis de côté les zones sombres du roman pour en faire une fable absurde et joyeuse. Un récit libre, qui pourrait se passer à toute époque.
Comment avez-vous convaincu votre éditeur, les éditions Petit à petit ?
Gaet’s : J’ai la chance d’être directeur de collection chez Petit à Petit… donc j’ai d’abord dû me convaincre moi-même (rires) ! Mais l’équipe nous a fait confiance. Après le succès de R.I.P, ils savent qu’on va au bout de nos projets avec cœur et exigence.
Julien : Les premières planches les ont embarqués. C’était différent, mais convaincant. Et ça a permis de marquer une pause entre deux univers très noirs.
Gaet’s : On ne veut pas être catalogués uniquement pour du glauque. On bosse d’ailleurs sur un projet chez Dupuis avec le rappeur Gringe, autour de la schizophrénie de son frère, qui sera lui aussi feel-good… et encore différent.
Quid de la version américaine ?
Julien : L’éditeur américain a reçu un PDF en français. Ils ont trouvé la fin poétique et lumineuse.
Gaet’s : Aux États-Unis, le roman s’est vendu à 400 000 exemplaires à l’époque. Il y a peut-être un public. Mais tout dépendra de l’intérêt d’un éditeur là-bas. En attendant, on envisage une version polonaise de R.I.P ! R.I.P y cartonne, et on va dédicacer à la Comic Con de Varsovie !
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