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Le Marsu "vu par" (2/2) : Alexis Nesme

Après Frank Pé et Zidrou, cela a été au tour d’Alexis Nesme et Lewis Trondheim de proposer leur vision du Marsupilami. Exit Bruxelles et cap sur la Palombie, pays d’origine du « petit animal ». Comme le duo qui les avait précédés avec La Bête, les auteurs de El Diablo ont voulu se démarquer de Franquin, sans rompre pour autant le lien. Rencontre avec un dessinateur heureux.

Comment est-ce que vous avez trouvé votre dessin, pour ce Marsu El Diablo ?

Alexis Nesme : J'essaie de trouver une écriture à chaque fois que je fais un album et elles sont assez différentes : pour Les Enfants du Capitaine Grant, c'était assez réaliste, même si c'était de l'animalier ; pour Mickey, c'est un peu plus cartoon ; et là, j'étais dans un entre-deux, c'est-à-dire que j'avais envie de retrouver les animaux des Enfants de Capitaine Grant ; puis quand je me suis attelé aux humains, je me suis dit que ça allait être compliqué de les faire très réalistes, donc j'ai essayé de faire quelque chose d’un peu cartoon mais pas trop gros nez, caricatural. J'ai essayé de trouver un entre-deux qui n’était pas facile. L'idée c'était vraiment de s'éloigner de l'univers existant pour être dans notre propre truc, avec Lewis Trondheim.

Donc vous n’avez pas relu Franquin ? Frank Pé ?

A.N. : Frank Pé, je l’avais en tête. J'ai regardé pour les proportions ou pour trouver des petits tics de pose ou des choses comme ça, mais j'ai essayé de m'éloigner le plus possible sur la forme du dessin.

Vous avez eu du mal à trouver votre Marsupilami ?

A.N. : J'ai eu du mal. J'étais entre deux critiques : Lewis qui commençait son histoire avec un Marsupilami assez agressif, tout en gestes ; il me faisait des petits crobards en montrant des positions où il semblait assez hargneux. Et mon éditeur Frédéric Niffle qui me disait : « Oh ! Faut qu'il soit gentil ! » « Ah non, il ne faut pas qu’on voie ses dents ! »

Le Marsupilami - El Diablo (2024)

Le Marsupilami - El Diablo (2024)


C'est comme Charles Dupuis à l'époque : il demandait à Franquin de faire du poétique et du gentil.

A.N. : Donc voilà, j'étais entre les deux. Et, oui, je l'ai cherché un petit moment pour savoir. Au début, j'étais assez proche d'un singe, avec une stature de gorille, même, puisqu’il devait être un peu flippant au début de l'histoire. Et là, Frédéric me dit « Non, non, mais plus marsupial ! ». Ça veut tout et rien dire, les marsupiaux ont toutes les formes ! J’ai essayé de retrouver le côté marsupial dans les proportions du nez et un peu le bas du visage. Et plutôt les singes amazoniens pour les grandes pattes avant et la stature.

Et pour les Indiens chahutas, ils font plus Indiens d’Amérique centrale, Aztèques, d'après les costumes ou d'après leur coiffure…

A.N. : Il y avait deux choses : d'abord, ils étaient censés avoir un peu d'or, des choses qui font envie au capitaine ; on le sait un peu plus tard, ce sont des éléments qu'ils ont trouvé dans des temples incas. C'est à dire qu'ils ont déjà des éléments de costume qui étaient plutôt incas ou mayas selon quelle pyramide ils ont trouvée. Donc il y avait ce côté-là. Et, effectivement, j'aime bien aussi faire des choses un peu plus merveilleuses, pousser tous les éléments de costume pour m'éloigner du réalisme pur. Donc je n'avais pas envie de les mettre juste en pagne. Là j'ai regardé un peu les Chahutas précédents qu’il y a eu aussi. Mais c'est vrai que je les ai un peu plus tirés vers les costumes incas, notamment.

On voit de la jungle, on voit du bateau avec des belles scènes sur la mer, aussi de la montagne. Lewis vous a fait plaisir sur ce projet !?

A.N. : Il me connait, il le sait. Chaque fois qu’il me vend un projet, il me dit « Tu vas dessiner de tout ». Parce que j'aime passer du temps sur les décors et les détails et Lewis sait très bien que je vais être un peu triste s’il ne me donne pas plein de choses à faire ! Et puis c'est vrai que j'étais content de voir arriver notamment les montagnes. Quand je me suis fait une vingtaine de planches dans la jungle, je me suis dit : Tiens, on va se débarrasser des lianes et changer d'univers. C'était assez agréable.

La montagne, il n’y en avait pas trop dans les précédentes collaborations. Je me rappelle plutôt la jungle et les bateaux…

A.N. : Les bateaux, oui j’en ai souvent. La jungle aussi, on en avait pas mal dans le dernier Mickey. Et j’avais un peu de montagne au début des Enfants du Capitaine Grant.

Ça rappelle quand Franquin n’en pouvait plus de dessiner la jungle dans Le Prisonnier de Bouddha et qu’il disait à Greg : « Mais ça fait trois semaines qu'il est dans la jungle ! » Ça ne faisait que trois planches…

A.N. : Lewis me connait bien, à chaque fois il me vend ses projets comme ça : « On va faire explorer plein d’univers ! »

Quand on sait l'importance pour vous de la lumière, des éclairages, quelle ambiance cherchiez-vous à rendre dans vos choix ?

A.N. : Oui. Après j'ai des gimmicks, enfin des éléments que j'aime bien retrouver, qui sont les lumières chaudes et un peu rasantes parce que ça me permet notamment de faire des ambiances qui me plaisent, qui sont assez chaudes comme la peinture ancienne, c'est-à-dire les ciels sont un peu jaunis ; et les lumières rasantes qui sont devenues presque une habitude dans pas mal de cases. Ça me permet aussi de bien décrocher les personnages, de simplifier les lumières dans l'ombre et de faire des silhouettes découpées par la lumière qui permettent de simplifier la vision de personnages et notamment quand il y a des groupes, dans la jungle pour les faire ressortir, c'est une petite aide d'avoir ces lumières rasantes.

Avant, vous aviez tendance à mélanger plein de techniques. Et là, vous allez vers un choix plus homogène.

A.N. : Plus ça va plus, plus je me concentre sur la lecture et surtout, là j'ai vraiment une troupe de personnages assez importante, donc je devais trouver des codes et des techniques de mise en couleur qui ne brouillaient pas trop. C'est vrai que dans Les enfants du Capitaine Grant, j'ai mis beaucoup plus de pastel ou d'huile. Là, j’ai bossé vraiment beaucoup avec la gouache parce que je faisais ce qu’il y a de plus fin avec mes pinceaux « trois poils », cela me permet de faire des petites lignes, des petits détails qui sont assez clairs. C'est une peinture assez couvrante, assez agréable à travailler.

Des pinceaux trois poils, ils sont vraiment très fins !

A.N. : Oui, ils sont très fins. J'essaie de ne pas bosser trop grand parce que sinon, je fais trop de détails ; donc je suis obligé d'être minutieux.

Vous exposez quelque part les originaux ?

A.N. : Après une petite expo à Lyon, chez un pote qui tient la librairie La BD, je vais faire une grosse expo chez Maghen à l’automne prochain. Il m’arrive d’être sollicité pour des expos par des salons BD, j'en ai fait quand même souvent. C'est assez sympa. La plus belle était à St Malo, il y a quelques années. A Amiens aussi, j’en ai fait une ou deux. C'est vrai que c'est sympa de voir les originaux parce que on a vraiment une matière et une lumière qu'on ne retrouve pas vraiment dans l'impression.

Est-ce que l'éditeur ou la fille de Franquin avait un droit de regard sur ce Marsu ?

A.N. : Non, enfin en tout cas, pas à ma connaissance. Le droit de regard, c'est mon éditeur Frédéric qui est vraiment attaché à l'univers de Franquin, de Spirou. Et même s’il a l'envie de faire des aventures avec des auteurs qui s'éloignent de ça, il est quand même attaché effectivement au côté mignon du Marsu, à la taille de son nez, à des petits éléments, des petits codes qui nous lient à tout l'univers de Franquin.

Donc, il disait « Plus gros, le nez » !

A.N. : Oui, c’est ça, des petits trucs, on sentait qu’il est attaché à des éléments qui ont marqué ce personnage.

C'est très différent que de bosser sur du Mickey ?

A.N. : Mickey a changé de tête tout le temps et dans cette collection on s'est tous un peu attachés à un âge de Mickey. Et moi j'ai pris le début des années couleurs qui étaient les années 35. Je me suis inspiré de l’anime, mais les personnages bougeaient beaucoup, dans l’anime. Ils sont vraiment très déformés. Ils n’ont jamais des oreilles au même endroit. Et moi, je suis parti dans cet univers qui nous permettait d'être pas super rigoureux. Et là le Marsu c’est un peu différent. Quand on l’a cherché, il y a vraiment des détails auquel tenait l'éditeur que je n’avais pas forcément anticipé mais c'était sympa d'avoir cette collaboration et de trouver le Marsu qui nous plaisait à tous les trois.

En même temps que sort votre album, on voit Batem qui a fait un Fantomiald. Il y a de plus en plus de franchises dans la BD franco-belge. Les personnages changent de main, ce qui n'était pas trop le cas à la base. Selon vous, mis à part votre cas particulier, est-ce une bonne chose, globalement ?

A.N. : Je suis mitigé. C'est selon l'attachement que j'ai. Pour moi, il y a des univers qui sont propres à des auteurs, qui ont changé de main. Par exemple, Gaston Lagaffe, pour donner l'exemple, pour moi c'est un univers qui était propre à Franquin alors que le Marsu ou Spirou, avaient déjà connu plusieurs dessinateurs et ils peuvent changer facilement d'univers. Donc, je donne deux cas au hasard mais c'est vrai que quand je suis attaché à des auteurs, j'ai du mal à voir des « Vu par » ou des suites. Mais quand ce sont des univers qui peuvent vivre tout seuls, je trouve ça plutôt joyeux. C'est le cas de [{RED_PFN-4968}]Disney[{/RED_PFN-4968}], par exemple, où il y a toujours eu pleins d'auteurs. Ou de l'univers de Spirou, aussi. Il y a cette mode des « Vu par » ou des univers parallèles. C'est un peu ce qu'on a dans le cinéma avec des suites de suite, des prequels. On essaie de créer des univers foisonnants. Ça va avec la surproduction, aussi, et l'offre qui est de plus en plus importante.

Mais ils se vendent alors que les créations originales, c'est plus compliqué.

A.N. : Dans l'exemple du cinéma, il y a une offre tellement importante que si on chope les gens avec un lien, un préquel, un spin-off, on a déjà une partie du public qui est acquise alors que le boulot à faire est entier si on a une nouveauté. Dans la BD, c'est un peu ça aussi, c'est cette surproduction et cette offre géante qui fait qu'on est obligé de trouver des petits liens. Enfin, c'est plus facile quand on a des liens avec des œuvres existantes, ça c'est sûr.

Et après cet album, est-ce que vous allez enfin réussir à aller sur un projet personnel comme évoqué lors de notre précédente rencontre ? Ou Lewis vous a encore proposé un truc que vous ne pouvez pas refuser ?

A.N. : Il propose toujours des trucs ! J’étais avec lui hier, et il me propose toujours des univers qui pourraient me plaire ! Mais déjà, je vais déjà faire un 3ème Mickey. J’aime vraiment bien cet univers. J'avais envie de profiter que cette collection, que j'aime beaucoup, soit vivante. Donc, je leur ai proposé un troisième Mickey. Je me suis engagé sur des albums un peu plus jeunesse aussi qui vont, j'espère, être moins chronophages. Après, je ne sais pas. Là, j’ai déjà quelques années de boulot !

Et pour le Mickey, vous serez aussi scénariste ?

A.N. : Oui, comme le dernier. C’est aussi pour ça que j'aime bien retourner à cette collection parce que je fais tout et je peux faire ma mise en scène, mon univers, c'est assez chouette

Les premiers retours que vous avez des lecteurs sur le Marsu sont positifs, j’imagine ?

A.N. : C'est l'avant-première à Saint-Malo, donc je n'ai vu que des gens qui l'ont fait dédicacer. Certains l’ont lu et m’ont fait des compliments, mais en général, quand on est en dédicace on a des compliments ! Alors, on ne peut pas avoir une vision complète...

Il n’y a pas des intégristes du Marsu qui disent : « Non, mais ça ne va pas du tout ! » ?

A.N. : Je vais sûrement en croiser. Tout le monde est attaché à un univers. Je sais que pour le Mickey, par exemple, ceux qui aimaient le Mickey de leur enfance, il y a plein de bouquins qu’ils n’aiment pas dans cette nouvelle collection : ils trouvent que l'univers est dévoyé ou mal adapté. Ça va arriver pour le Marsu, c’est possible aussi…


En reprenant ce personnage, vous ne vous êtes pas dit que c'était un frein ?

A.N. : Si j’avais dû faire une reprise très proche, dans une collection à la suite d'un auteur, j'aurais été très angoissé parce que je n’ai pas forcément le dessin pour reprendre Le Marsu. Là, on était sûr d'être dans un univers totalement différent. C'est vrai que La Bête nous a pas mal décomplexés aussi, parce que c'est très éloigné de l'univers du Marsupilami et c'est vraiment un très bel album… enfin, une très belle série, maintenant !

Entretien réalisé à Saint-Malo en octobre 2024, à l'occasion de Quai des Bulles.

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