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Le Château des animaux s’achève : entretien avec Félix Delep

À l’occasion de la parution du tome 4, nous avons longuement échangé avec Félix Delep, dessinateur de la série Le Château des animaux scénarisée par Xavier Dorison aux éditions Casterman. Il revient sur la fin d’une première série fondatrice, l’évolution de son dessin, la collaboration avec Dorison, les résonances politiques du récit, le message de non-violence… et esquis¬se son prochain projet.


C’est ta première série. Qu’est-ce que tu ressens en arrivant au terme du Château des animaux ?

Félix Delep : À un moment, je me suis dit que je n’y arriverais jamais (rires). Je suis très content d’avoir mené l’histoire à son terme, et surtout de la direction qu’a prise mon dessin au fil des tomes. J’ai vraiment eu l’impression de mieux « tenir » les personnages à la fin qu’au début — c’est normal —, mais ça fait du bien. C’est presque frustrant de s’arrêter maintenant : sur les vingt dernières pages, j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé quelque chose.

Le dernier tome, c’est souvent « ça passe ou ça casse ». Tu es confiant ?

Félix : C’est précisément pour ça que c’est si compliqué. On a fait de notre mieux, mais je ne peux pas m’empêcher d’être un peu inquiet de la réaction des lectrices et lecteurs. La fin est un tout petit peu ouvert, et c’est ce qui fait aussi son intérêt.

Couverture de Le Château des animaux, T.4, en librairie le 12 novembre

Couverture de Le Château des animaux, T.4, en librairie le 12 novembre.

L’ambiance du tome 4 est comme tu me le confiais avant "douce-amère", mélancolique, en phase avec l’époque. Ça t’a guidé pour la mise en couleur de la fin ?

Félix : Oui. Pour la scène finale, je cherchais la limite entre « il fait beau » et « l’air est lourd ». Pas un grand ciel azur, pas non plus un coucher de soleil cliché. J’avais même testé une version avec des oiseaux… trop « carte postale ». J’ai préféré des particules en suspension, quelque chose de sensible mais sobre.

Comment a évolué ta collaboration avec Xavier Dorison entre le tome 1 et le tome 4 ?

Félix : Dès le départ, on s’est très bien entendus. Xavier est d’une grande gentillesse et très exigeant : c’est précieux. Il sait exactement ce qu’il veut, ce qui fait gagner en efficacité. Au début, ses scénarios allaient très loin dans la mise en scène, avec un storyboard très précis. Sur le tome 4, cela a été l’inverse, j’ai fait le storyboard très précis (limite crayonné) sur l’ensemble de l’album au lieu d’avancer comme les autres tomes, par gazette, c’est-à-dire autour d’une vingtaine de pages. Je voulais que la lecture soit d’une traite, solide, cohérente à l’échelle du livre.

Tu dis avoir « passé un cap » graphiquement sur les dernières pages. Lequel ?

Félix : J’ai trouvé une manière de faire évoluer la couleur : des options relativement discrètes, mais qui me permettaient d’aller plus vite tout en obtenant une sensation de finition plus satisfaisante. Peut-être que seul mon cerveau de dessinateur le voit (rires), mais moi, ça m’a libéré.

Concrètement, tu es plus rapide aujourd’hui ?

Félix : Ça dépend des tomes et des ambiances. Le tome 2, très hivernal, avec beaucoup de neige, m’a permis d’accélérer sur certains décors ; mais je ne suis pas satisfait de tout. Il y a des pages sur lesquelles j’ai dû aller très vite, deux jours la planche, pour tenir la parution à un an.


Dessiner des animaux « humanisés », c’est un terrain de jeu… et un piège. Qu’est-ce qui a été le plus dur ?

Félix : L’expressivité est géniale à travailler, mais on peut vite déformer et glisser vers la vallée de l’étrange. Sur la fin, j’ai l’impression d’avoir trouvé un équilibre : très expressif tout en restant « solide ». Le plaisir vient du mélange : répertoire humain (expressions, mains, gestuelle) et gestuelle animale. C’est infiniment riche.

Avec la montée des régimes autoritaires, la série a-t-elle pris un sens nouveau ?

Félix : Elle a toujours résonné avec l’actualité. En dédicace, dès les premiers tomes, les gens nous en parlaient. C’était notamment l’époque des gilets jaunes. Mais ces dernières années, beaucoup de choses ont changé dans le monde. C’est devenu très frontal : des dirigeants mettent en scène leur pouvoir — expulsions, violences… L’injustice est visible partout, et paradoxalement diluée par cette visibilité. C’est un sujet que nous avons discuté avec Xavier. Son message m’a frappé dès le départ : il y avait là une voie possible pour raconter la résolution des conflits. Plus nécessaire que jamais, même si plus complexe que jamais.

Extrait : planche p. 51 de Le Château des animaux

Extrait : planche p. 51 de Le Château des animaux. © Casterman 2025

Le cœur du Château des animaux, c’est la non-violence. Tu y crois, au-delà de la fiction ?

Félix : Oui, j’y crois. Une révolution violente débouche souvent sur un nouveau système de domination — c’est La Ferme des animaux d’Orwell. Le Château des animaux explore un chemin de traverse. Le huis clos nous donne des facilités narratives (peu de personnages, un cadre limité), mais il existe des exemples réels où la non-violence a été efficace. Le livre ne dit pas que c’est simple ; il dit que c’est possible.

Tu disais ne pas vouloir d’« œuvre moralisatrice ». Pourtant, une morale se dégage-t-elle ?

Félix : Une œuvre peut ne pas moraliser tout en laissant naître une morale. Pour moi, elle est incarnée par César : une invitation au courage. C’est un personnage qui doute, qui craque parfois, qui « lâche la rampe », mais qui tient. C’est sans doute celui qui ressemble le plus au lecteur. C’est ce personnage qui m’a le plus touché.

Qu’est-ce que ces quatre tomes t’ont appris, professionnellement ?

Félix : Au-delà du dessin qui s’affine, j’ai appris à mettre en scène avec clarté. Sur le tome 1, Xavier me faisait beaucoup de retours : je recommençais souvent les planches. Sur les tomes 3 et 4, je dessinais de manière plus logique, en ménageant mieux les effets graphiques. Techniquement, j’ai progressé sur la profondeur de champ, la hiérarchisation des plans. Au début, je dessinais toutes les tuiles d’un toit, toutes les feuilles d’un arbre : c’est parfois beau… mais souvent trop chargé. J’essaie aujourd’hui de suggérer davantage, d’être efficace sans perdre en richesse.

Revenons à ta rencontre avec Xavier Dorison.

Félix : On ne partait pas de zéro : j’avais suivi ses cours de scénario (très magistraux) au sein de mon école Emile Cohl à Lyon. Je le connaissais un peu — lui pas du tout. Lors de ses cours, on sentait son humanité, sa sympathie, son talent. C’est à la fois un partenaire et un mentor… et un ami ! Il a l’élégance de laisser de l’espace aux autres, d’écouter les idées. Tout le monde chez Casterman le sait : c’est quelqu’un avec qui il est extraordinaire de travailler, à la fois pour la force des scénarios et pour l’ouverture au dialogue.

Et maintenant ? Pause, nouveau cycle, autres terrains ?

Félix : J’ai pris un mois de vacances après la fin du Château. J’ai un projet avec Xavier : pas animalier (même s’il y aura des animaux), avec une part de fantastique et une dimension romantique qui n’était pas dans le Château. On retrouve le ton de la série (fable, traits d’humour, sérieux qui revient vite), mais avec des humains. Il va y avoir beaucoup de recherches : décors plus chargés, style à ajuster. Je ne repartirai pas sur un simple calque du style du Château appliqué à des humains ; j’aimerais quelque chose d’un peu plus subjectif, tout en restant riche. Entre-temps, je ferai peut-être un peu de recherche personnelle, mais pas de BD « intermédiaire ».

Y a-t-il une adaptation rêvée, un genre « fantasme » pour l’avenir ?

Félix : Pas vraiment. J’ai surtout envie de faire les projets qui me plaisent — et c’est déjà beaucoup.

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