Après son excellent P.T.S.D., Guillaume Singelin signe son Magnus opus avec l’impressionnant Frontier, une incroyable épopée spatiale dans les traces d’un trio d’aventuriers très attachants. Un album qui va faire parler de lui.
Quelque part dans le futur, l’humanité est partie à la conquête du système solaire pour explorer, coloniser ou simplement exploiter les minerais récupérables deçi delà. Évidemment, cet essor extra-planétaire induit des enjeux économiques très forts, et donc des conflits inter-compagnies privées investissant dans l’exploration technologique, dans l’extraction des ressources qui deviennent alors financièrement très juteuses.
Ji-Soo, Camina, Alex et Goku
Dans ce cadre extrêmement bien posé, Singelin nous présente trois personnages assez différents qui évoluent tous un peu chacun de leur côté avant de finalement se croiser, comme on le devine très vite.
Il y a d’abord Ji-Soo, une scientifiqu. Elle travaille sur une sonde expérimentale qui pourrait permettre de pousser encore bien plus l’observation de l’univers. Son projet audacieux finit par intéresser un énorme groupe industriel qui rachète la petite entreprise où elle travaille, projetant une utilisation industrielle de la sonde. Perçue alors comme une trouble-fête, elle est ballotée de poste en poste avant d’être envoyée sur une station minière où elle rencontre Alex, ouvrier ayant toujours vécu dans l’espace, faisant partie des « spatiaux ». Ensemble, ils prennent peu à peu conscience du fait qu'ils évoluent dans une machine déshumanisante qui les broie, que leur vie ne compte pour rien face aux matériaux qu’ils doivent extraire. Poussés par le destin, ils envisagent alors de s’enfuir…
Pendant ce temps, nous croisons aussi la jeune Camina, une mercenaire qui vient de perdre un bras lors d’une opération de sabotage et qui décide de décrocher pour se lancer dans le nettoyage spatial. Pétrie de bonnes résolutions, elle rencontre les deux précédents qui viennent de s’écraser sur Mercure, accompagnés d’un bébé singe baptisé Goku.
Mosaïque narrative et enjeux interplanétaires
La grande intelligence du scénario est dans cet entremêlement de récits qui permet à Singelin de développer, à plusieurs niveaux, des thématiques assez différentes. Que ce soit le développement de l’humanité par le biais de son expansion territoriale, le rapport à l’autre et le besoin de construire une société autour de valeurs humanistes et pas seulement centrée sur des enjeux économiques passant par la répétition des dérives industrielles et écologiques ayant à priori rongés les ressources terriennes.
L’album se lit ainsi comme une sorte de feuilleton captivant où l’on découvre non seulement le parcours de ces trois personnages, mais aussi le quotidien de ces hommes et de ces femmes qui évoluent en permanence dans des stations en orbite. Singelin insiste sur les petits gestes de tous les jours, sur les états d’âmes qui découlent de cette vie de promiscuité où les uns et les autres doivent continuellement évoluer dans un cadre où l’espace est important et l’air artificiel.
Une fibre engagée
Toutefois, Frontier est aussi le moyen d’amener le trio principal à progressivement développer un sens de l’éthique, de l’engagement presque « politique » au fil de l’album. Bien qu’ils soient tous animés d’une fibre anti conventionnelle, la mise en marge du système n’en est pas plus facile pour autant. On les observe donc dans le processus de prise de conscience, dans l’usure des limites qu’ils peuvent supporter et dans l’envie de se construire une vie qui leur corresponde davantage. Tout ne se passe pas la fleur au fusil, il faut se battre, refuser d’acquiescer et toute la finesse de l’écriture va justement venir de cet adroit équilibre entre récit de pure SF, scènes plus intimiste et action brute, tout en gardant une réflexion passionnante d’un bout à l’autre.
Entre Planètes et Shangri-La.
Épanouissement graphique
Chaque planche de ce volumineux album est une pure claque pour les yeux. Guillaume Singelin a construit un univers dense fourmillant de détails avec un soin tout particulier apporté aux décors, à ces innombrables coursives qui composent ces engins. C’est époustouflant d’un bout à l’autre. Ce monde qui se déploie devant nous est d’une telle cohérence, on comprend qu’il y a réfléchi pendant 10 ans, tellement le résultat est abouti et bluffant.
Après le monumental Hoka Hey ! de Neyef, le Label 619 prouve plus que jamais qu’il faut compter avec lui et avec ses auteurs très inspirés. Frontier est la monumentale bonne surprise du moment à ne pas manquer.
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