ZOO

Trois mousquetaires pour un sacré ZOO

C’est un cas dans le domaine très fermé de la presse BD, magazine payant, puis gratuit… ZOO Le Mag imprime aujourd’hui son numéro 100. Au départ, en mars 1989, ce sont deux numéros sur le monde culturel, puis une pause de huit ans et il revient en 1997 sous forme de revue de cinéma pendant trois ans, disparaît et renaît en 2004, mais cette fois consacrée au 9e Art. Une belle aventure qui n’a donc pas été un long fleuve tranquille jusqu’à aujourd’hui où ZOO est un bimestriel. Des hauts, des bas, ZOO en a connu des versions au fil du temps. Ce sont trois mousquetaires qui se sont passé le flambeau avec pour point commun leur passion pour la BD : Éric Borg, Olivier Thierry et enfin Nicolas Gouju. Tous trois nous racontent le parcours mouvementé de ce titre devenu une référence dans le monde de la BD qui a aussi su faire la part belle au numérique et au manga ces dernières années.

Trois mousquetaires pour un sacré ZOO

Scénariste de BD et de cinéma, Éric Borg ouvre le bal. Il est le père fondateur. Le premier ZOO, c’est lui, et il ne parle pas de BD. « J’ai créé ZOO en 1989, un tabloïd parisien. Il y a eu deux numéros culturels englobant musique, cinéma et théâtre essentiellement. Il était gratuit et distribué un peu partout. C’était le premier gratuit culturel en France où il n’y avait alors que des gratuits d’annonces. Je revenais de Montréal où existait dans le style Voir créé en 1986. J’ai trouvé cela génial. Depuis mon enfance, je m’intéressais à la fois à la presse, au cinéma, aux magazines et à la BD. J’ai donc décidé de faire un magazine en France. J’ai toujours voulu me lancer dans des univers où j’étais néophyte, sûrement l’héritage d’un esprit d’entreprise familial ? »

Mais pourquoi ce nom, « ZOO », qui va perdurer au fil des ans ? Éric Borg se souvient de son premier édito où il parlait de son enfance, d’un zoo qui le fascinait petit, de la cage vide d’un singe qu’il cherchait toutle temps. Et d’ajouter : « Il y a un rapport avec mon imaginaire, un zoo à Tunis au Belvédère où j’allais gamin. Le zoo de mon enfance, un mot magique et très graphique. Je voulais un nom court qui flashe sur une couverture. Le premier nom trouvé était “Klaxon”. ZOO aurait donc pu s’appeler Klaxon. »

Éric Borg persiste en signe

Trois mousquetaires pour un sacré ZOO

Deux numéros, puis un grand calme sans ZOO pendant huit ans, mais Éric Borg a de la suite dans les idées. En 1997, ZOO renaît avec le cinéma pour thème et sur un hasard. « J’ai relancé ZOO et non pas une société de production comme je le souhaitais, suite à la demande de stage de trois étudiants de l’ESSEC dont je sortais aussi. Ils voulaient faire un stage dans la culture. Je n’avais rien à leur proposer et je me suis dit pourquoi ne pas créer un magazine en trois mois traitant de cinéma. Créer un objet commercial était plus simple qu’une société. »

Voilà donc un ZOO cinéma grand format gratuit qui s’arrête et un ZOO cinéaste plus classieux, payant qui apparaît. Pas de BD à l’intérieur si ce n’est parfois des strips évoquant des films. « Quand on a créé ZOO, on a eu un petit problème : il y avait une autre revue satirique payante du même nom faite par Choron et ses copains. On a trouvé un terrain d’entente. » Mais toutes les meilleures aventures ont une fin. En l’An 2000 avec le siècle tout neuf, ZOO disparaît une fois de plus, prend quatre ans de vacances jusqu’à un retour en kiosque en version payante (1,90 €) en 2004, toujours avec Borg aux manettes. « Je voulais cette fois associer la BD à la culture, en parler par ce prisme. On n’a pas duré longtemps en kiosques et je finançais en arrivant tout juste à l’équilibre. On avait de la pub et je ne payais pas très cher les piges. » En janvier 2005, pour Angoulême, un coup éditorial va tracer la route de ZOO, c’est un numéro gratuit. Éric Borg le constate : « C’est ce qui allait devenir la formule définitive de ZOO, un magazine gratuit avec au début une centaine de points de dépôts dont la Fnac, un tirage de 30 000 exemplaires avec une évolution du contenu en marche. »

Sauf qu’Éric Borg n’a pas l’âme d’un patron de presse. « ZOO marchait, j’aime bien lancer les projets, mais pas forcément les faire vivre. J’avais aussi envie de faire du cinéma, de la BD comme auteur. Revenir à mes envies premières. ZOO, je l’avais créé par défi, par passion, par amour de l’objet. » En juin 2007, Éric Borg met ZOO en vente et c'est Olivier Thierry sorti comme lui de l’ESSEC qui se porte acquéreur. Tout se passe bien. Eric Borg accompagne Olivier Thierry pour la transition avec Olivier Pisella présent depuis 2004, un pilier pour l’éditorial et Jérémy Fraise très bon commercial, chroniqueur littéraire.

Trois mousquetaires pour un sacré ZOO

Éric Borg n’a aucun regret : « Ce que je voulais c’est que ZOO continue. À mes yeux à l’époque, il était indispensable pour la BD. Dans ZOO, les articles n’étaient pas de la pub déguisée. Avec notre couverture de 30 000 exemplaires, on pesait dans le milieu. On a eu une reconnaissance des lecteurs et des éditeurs qui étaient très intéressés à faire de la pub dans ZOO gratuit. Cela a été une belle histoire, une paternité qui m’a permis de laisser une trace. »

Éric Borg en quelques mots ?

Né en Tunisie où il passe son enfance, Éric Borg a fait ses études en France. Diplômé de l’ESSEC, il renonce aux sirènes de la finance et du marketing pour assouvir ses rêves d’enfant. La musique d’abord en travaillant 3 ans pour Emi, le cinéma et la BD en fondant les magazines Zoo et Cinéastes, puis en écrivant pour l’écran et pour le 9e Art. D’abord chez Casterman, puis sur son propre label Bigfoot où il publie son album Pandora Beach, prix des lycéens à Angoulême. Il a également écrit 2 romans. Se consacrant de plus en plus à la peinture, il coréalise actuellement un court métrage dystopique : La Chute. Il vit depuis 7 ans entre la France et la Belgique.

Olivier Thierry augmente la puissance

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Olivier Thierry qui reprend les commandes de ZOO a dirigé la revue spécialisée en comics, Scarce. Olivier Pisella devient rédacteur en chef adjoint de ZOO. C’est lui qui sera pendant 80 numéros le maître d’œuvre du contenu, en assure le chemin de fer, le choix des sujets, la relecture et rédige parfois des articles. Un vrai professionnel avec qui travailler est un plaisir. Pisella quitte finalement ZOO en juillet 2018 pour différentes raisons vers d’autres horizons. En novembre 2007, ZOO est de retour dans les bacs et la ligne éditoriale n’a pas changé, hormis de nouvelles chroniques : la numérotation reprend là où elle s’était arrêtée et la couverture du numéro 10 est titrée « ZOO revient ! ».

Reste à savoir pourquoi Olivier Thierry s’embarque sur la dunette de ZOO : « J’adorais la BD depuis très longtemps, j’aime partager, faire connaître ce que j’aime. Je voulais faire quelque chose à côté de mon activité principale, les nouvelles technologies depuis 25 ans. Un magazine de BD m’intéressait. À cette époque, j’avais même rencontré le directeur de BoDoi qui était en fin de carrière. » Pas question de faire dans la demi-mesure : « Je ne voulais pas gérer un magazine payant à petite échelle publié à 2 000 exemplaires. Par hasard, j’ai été mis en contact avec Éric Borg en 2006. Je me suis dit que je ne savais pas trop ce que je pourrais faire de ZOO, mais pourquoi ne pas essayer ? J’aimais bien le titre ZOO, très large, des animaux différents, une ménagerie touche à tout. Au rachat, j’ai voulu augmenter la puissance du magazine. On est passés de suite de 25 000 à 100 000 exemplaires diffusés. Le summum a été un numéro avec un dossier Thorgal en couverture, 100 pages et 125 000 exemplaires (Ndlr : N° 44 décembre 2012, rédigé par l’auteur de ces lignes). »

ZOO, titre influent

L’objectif d’Olivier Thierry ? Faire de ZOO un titre influent dans le microcosme de la BD : « Je l’ai racheté avec la seule certitude que je pourrai en faire quelque chose, à voir ensuite les évolutions possibles, lancer un magazine de BD avec des prépublications, ce qui était mon envie de départ. ZOO était en fait un titre sur la BD, qui en parlait. Je voulais qu’il ait de l’influence et de la puissance, voir ensuite s’il pouvait déboucher sur un magazine sur et de BD. » Toujours gratuit, car selon lui, « impossible de faire un magazine payantà grande échelle avec une forte diffusion. J’ai ensuite eu l’idée de faire un ZOO Premium luxueux et payant. C’est resté à l’état de projet. » Mais Olivier Thierry phosphore et garde ZOO jusqu’en 2018. « Il fallait accroître l’assise du mag, aller vers le cinéma, les jeux vidéo, ouvrir à un autre public, aux annonceurs. Je voulais que ce soit un magazine d’opinion et y écrire ce qu’on voulait avec un ton libre. Malgré le poids des annonceurs. Si on trouvait que le dernier Bilal était nul, on le disait. »

Trois mousquetaires pour un sacré ZOO

Pas évident, mais les éditeurs se sont pliés au jeu même s’il y a parfois eu tout au long de l’histoire de ZOO des mesures de rétorsion classiques bien connues de la presse écrite. Budgets pubs suspendus, mais qui reviennent, car on ne boude pas un titre qui marche. Idem pour les piges des articles non payés : « Vers la fin, tous ont été rémunérés pour remercier les rédacteurs de leurs efforts. Je voulais au départ que les gens ne participent pas pour l’argent, mais pour le projet lui-même. »

Par ailleurs, Olivier Thierry met au point ce qui va rester un grand moment : les ZOOpportunités de la BD lors du festival d’Angoulême. Un évènement annuel qui consistait à faire se rencontrer de jeunes auteurs présélectionnés par le comité de rédaction du magazine avec un très large éventail d’éditeurs. Un succès.

Faire partager une passion

Trois mousquetaires pour un sacré ZOO

Alors qu’est-ce qu’Olivier Thierry a retiré de ses années ZOO, une grande aventure dans un monde compliqué, le prix du papier, la BD une niche ? « Avant tout le plaisir de travailler avec ceux qui m’ont entouré. Sortir un magazine toutes les six semaines, faire partager ce qu’on aime, écrire, les conférences de rédaction, j’ai éprouvé beaucoup de joie. La partie commerciale était moins amusante. Il fallait aller pleurer de la pub, mais je n’ai aucun regret. La rédaction me manque. C’était le bon moment pour moi de passer la main en 2018. » Sauf que, comme il le dit, ZOO n’est pas à l’équilibre : « Il l’a été un an et le reste du temps, je mettais au pot. C’était aussi un choix de liberté, écrire ce qu’on voulait. »

Olivier Thierry est rattrapé au bout de onze ans aussi bien par un modèle économique compliqué basé sur la pub que par ses autres activités professionnelles de plus en plus prenantes. Plus sa famille, ses trois enfants. « Sans nier la fatigue et une certaine lassitude, j’avais la volonté de passer à autre chose. »


Olivier Thierry en quelques mots ?

Diplômé d’une grande école de commerce puis d’un MBA aux États-Unis, Olivier Thierry débute sa carrière dans un cabinet de conseil en stratégie avant de devenir entrepreneur dans les nouvelles technologies, domaine dans lequel il officie depuis maintenant plus de 20 ans. À côté de ses activités professionnelles, sa passion pour la bande dessinée le conduit à être collaborateur, puis rédacteur-en-chef du magazine Scarce, puis de ZOO.

Nicolas Gouju pour démocratisier la BD

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Arrive alors le troisième mousquetaire de ZOO Le Mag, Nicolas Gouju, le fondateur de culturebd.com. Olivier Thierry lui propose de reprendre le titre en 2018. « Culture BD était un média format Internet, blog. Quand Olivier Thierry m’a contacté, j’ai rencontré Claude de Saint-Vincent de Média Participations peu après qui m’a conseillé d’y aller, car il avait une vision positive de ZOO, c’était une belle opportunité. J’ai racheté ZOO, une acquisition du fonds de commerce, pas de la société. J’ai repris avec la vision de construire un média à 360 degrés incluant des services, et pas seulement le magazine. »

Nicolas Gouju avait découvert ZOO vers 2010 sans en être un lecteur assidu. Mais il a un projet en tête : « Quand on me propose de reprendre ZOO, avant même culturebd.com, j’ai eu une aventure dans le même genre : j’ai monté la partie financière de La Revue Dessinée avec des amis, apporté le financement. Pour ZOO, nous sommes plusieurs copains à être partenaires, je m’occupe de la stratégie. Mon objectif, mon envie est de démocratiser la BD dans la société, montrer qu’il y a un média puissant, grand public pour faire connaître la BD. ZOO avait beaucoup d’avantages dont un nom qui veut dire tout et rien (ZOO c’est un peu une auberge espagnole), comics, mangas, jeux, cinéma alors que culturebd.com était enfermé dans la BD pure. »

Il va y avoir dans la course à l’évolution la révolution du Covid. Le Net s’envole, mais en 2017, il y avait encore la prépondérance du papier : un magazine gratuit avec une belle envergure rédactionnelle, une forte image de marque auprès des éditeurs et du public. Nicolas Gouju a en tête de « profiter des fondations de la plateforme culturebd.com devenue celle de ZOO, une marque pour le numérique, et un magazine papier qui est le cheval de Troie pour créer des partenariats, avoir du contenu ».

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Donc une opération en plusieurs couches pour Nicolas Gouju issu du monde de la finance. Pour remettre le titre à l’équilibre, il lui faudra 18 mois, « c’est difficile. On devrait être plus nombreux par rapport à nos besoins. Mais il n’est pas possible de payer six à sept collaborateurs. On a quatre personnes à temps plein. Marie Delas est la directrice éditoriale. » Il a une recette qu’en presse, on connaît bien. La pub, c’est les éditeurs et la pagination est fonction de la pub. Nicolas se souvient qu’au plus haut, avec Olivier Thierry, le tirage était de 125 000 exemplaires, mais très fluctuant. « Le tirage ne bouge plus maintenant, le nombre de pages oui. On peut avoir des numéros de 32 pages minimum ou 48 pages à l’équilibre. À 64 pages, on gagne de l’argent avec lequel on compense les numéros qui en perdent. On a 70 000 exemplaires en tirage et près de 1 000 points de distribution. Une promesse faite à nos partenaires avec une variable, la pagination. »

ZOO Manga rejoint le bateau amiral

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Presque sept ans aujourd’hui que ZOO est géré par Nicolas Gouju. Il est devenu au fil du temps une machine bien rodée avec des objectifs et des règles, dont la rémunération de tous les collaborateurs. Il aura aussi fait face à la montée du manga et la riposte a été immédiate, intelligente : « On a répondu à cette vague en France avec la création d’un autre magazine, ZOO Manga en janvier 2022. Le public qui a 25 ans lit du manga aujourd’hui. Pendant le Covid, on a proposé sur Paris aux lecteurs de récupérer ZOO Le Mag en boutique. On a pu échanger et certains trouvaient qu’on ne parlait pas assez de manga, d’autres trop. On a compris qu’il y avait deux publics. Avec désormais plus de mangas vendus que de BD. » Sans oublier que les éditeurs de mangas travaillent sous forme de previews. ZOO Le Mag n’avait pas le format adéquat et donc très peu de pub dans ZOO pour le manga. Il fallait trancher. « La Fnac nous a suggéré de sortir le ZOO Manga. J’ai rencontré des éditeurs pour leur demander s’ils suivraient le projet. Ils ont dit oui. On a donc deux magazines avec le manga tiré à 40 000 exemplaires, des chroniques, des interviews, mais aussi beaucoup de previews, jusqu’à 200 pages par numéro. »

Si le présent est acquis, sur des bases saines et une reconnaissance générale, quels sont les objectifs de ZOO ? Nicolas Gouju est clair : « Continuer le développement pour amener les lecteurs à utiliser l’application qui permet notamment de gérer sa bibliothèque. Proposer du service, aller à la rencontre du public avec le papier, plus le Web.


On a mis en place une forme de participation, un statut de Super membre. On propose pour 30 euros par an de recevoir ZOO Le Mag chez soi, c'est une sorte d’abonnement de soutien. Cela permet de développer une deuxième source de revenus pour ne pas être tributaire que de la pub. Et enfin augmenter l’équipe à terme.

On n’a pas de troisième magazine en vue, mais on réfléchit à des hors-séries thématiques. » Donc de la BD encore et toujours pour un ZOO Le Mag ou ZOO Manga où la liberté de ton, ce n’est pas « bidon ». Il suffit d’être un lecteur assidu. ZOO Le Mag a de beaux jours devant lui. La BD aussi à condition que la surproduction, le manga et les éditeurs réunis continuent à séduire ceux dont ils sont tributaires, les lecteurs et ne cassent pas un marché fragilisé.

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Nicolas Gouju en quelques mots ?

Profil hybride depuis toujours, Nicolas Gouju est passionné à la fois par la vie des entreprises et leurs stratégies, mais également par la bande dessinée (étudiant, il est scénariste/dessinateur pour le journal de son école de commerce Guismo où il raconte la vie de l'école à quatre mains avec son ami Alexandre Vigne), Nicolas combine ses compétences d’investisseur et sa passion en aidant à structurer les projets en business plan et à fédérer des amis pour investir lors de leur création (« early stage ») dans La Revue Dessinée en 2011, puis les éditions Petit à Petit à en 2016, et ZOO en 2018. D’autres projets sont à l’étude.

Article publié dans le Mag ZOO N°100 Septembre-Octobre 2024

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