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La planche de la semaine : Odile et les crocodiles de Chantal Montellier

Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Féminisme, découvrez la planche #15 : Chantal Montellier !

La planche de la semaine : Odile et les crocodiles de Chantal Montellier

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

Née à la fin des années 40, Chantal Montellier a d’abord été enseignante en arts plastiques, avant de se lancer à partir de 1972, dans la bande dessinée. D’abord marquée par Crepax, Pratt et Tardi, elle a fait partie des auteurs que l’esthétique du groupe Bazooka a influencés.

Elle explore dans un premier temps les genres de la science-fiction du policier (la série Andy Gang), qu’elle passe au crible d’une lecture politique radicale. Ses récits brossent le tableau d’une société, présente ou à venir, de contrôle et de coercition, qui évoque souvent le 1984 de George Orwell.


Le graphisme minéral de Montellier et l’usage qu’elle fait de couleurs froides accentuent le sentiment d’aliénation qui est le lot de la plupart de ses personnages. Dans cette planche extraite d’Odile et les crocodiles, initialement paru en 1984, on suit l’errance du personnage principal, jeune fille victime d’un viol collectif qui, traitée sans égard par la police et la justice, se transforme bientôt meurtrière des hommes (les «crocodiles» du titre) qu’elle croise et qui l’importunent.

Le texte en voix off, qui donne la parole à Odile, place le lecteur de plain-pied avec ses pensées et sa lente descente dans la folie meurtrière...

Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Odile dans cette page semble comme absente, presque indifférente, alors que le texte montre justement tout le contraire. Un décalage qui permet de comprendre le dosage entre ce que nous voyons et ce qui nous est raconté, la maestria de Chantal Montellier au service d’un récit fort et troublant qui dénonce sans compromis.

C’est une séquence qui se présente quelques temps après l’agression qu’a subie l’héroïne, alors qu’elle est déjà résolue à faire payer le prix fort à ces hommes/crocodiles qu’elle ne supporte plus.

Le trait est réaliste, extrêmement précis, il sert parfaitement la froideur de cette intrigue qui glisse progressivement vers une violence sèche et irrémédiable. De ce fait, cette page est parfaitement représentative à la fois du ton, du désespoir qui habite Odile, de ce hurlement muet et émouvant qu’elle retient en subissant à la fois les agissements de ces prédateurs qui en veulent toujours plus, mais aussi en accomplissement son acte vengeur.

Toutefois, ce qui compte ici, c’est bien plus de suggérer cette violence grâce à un adroit jeu de cadrage plutôt que de s’attarder sur l’acte en lui-même et son côté démonstratif. On ne voit rien, tout se déroule hors cadre, par le biais d’une succession de petites ellipses narratives assez adroites. Et c’est tout l’intérêt de cette planche, cette faculté de mettre en scène sans montrer, de raconter en laissant le lecteur remplir les vides par lui-même, tout en insistant sur la tension qui monte lentement.

Chantal Montellier est une autrice très engagée, avec une œuvre sans concession qui aborde des thèmes de société souvent très durs, comme ici le viol et le laxisme de la justice. Alors que son style va petit à petit évoluer vers une approche plus « photographique », cette planche garde encore ce magnifique traitement en noir et blanc très harmonieusement équilibré avec un usage de la trame très judicieux.

Une belle démonstration de la virtuosité d’une artiste à lire absolument.

La planche de la semaine : Odile et les crocodiles de Chantal Montellier

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