ZOO

La planche de la semaine : Bécassine de Pinchon

Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section Jeunesse, découvrez la planche #17 : Bécassine de Pinchon !

Bécassine | Les Pieds Nickelés | Joseph Porphyre Pinchon : La planche de la semaine : Bécassine de Pinchon

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

On sait que Bécassine est née de la nécessité de boucher en catastrophe un trou dans le sommaire du n° 1 de La Semaine de Suzette, paru en 1905. Cette page écrite par Jacqueline Rivière, la rédactrice en chef du journal, est dessinée par le jeune Pinchon qui ne se doute alors pas que la jeune bonne bretonne va le suivre tout au long de sa vie professionnelle.

Il ne cessera en effet de la faire vivre jusqu’en 1950, mettant en images les scénarios de Jacqueline Rivière, puis ceux de Maurice Languereau, alias Caumery. Le succès de Bécassine est immédiat et immense auprès des jeunes lectrices, et sa notoriété s’étend sur plus de trois générations, Jean Trubert reprenant la série après Pinchon jusqu’en 1962.

Considérée (avec Les Pieds Nickelés de Forton) comme un des premiers classiques de la bande dessinée française, Bécassine a longtemps été perçue comme une série pour jeunes filles sages, ce qu’elle est assurément.

Mais derrière la bonne volonté un peu niaise de Bécassine (dont le vrai nom dans la série est Anaïck Labornez, née dans le village breton de Clocher-les Bécasses) on a pu aussi voir une chronique de la France rurale en route, tout au long de la première moitié du XXe siècle, vers la modernité. Et le personnage de Bécassine, tour à tour infirmière (pendant la Première Guerre mondiale), cheftaine scoute et même pilote d’avion, est en fin de compte moins empotée qu’on a pu le croire !

Du point de vue formel, la série est également plus riche qu’on ne l’a longtemps pensé. La présentation, considérée comme archaïque, du texte sous l’image, a fait négliger l’élégance formelle de Pinchon (qu’on considère aujourd’hui unanimement comme un des précurseurs de la «ligne claire» hergéenne) et sa grande intelligence narrative.

Ainsi dans cette page, extraite de Bécassine alpiniste, qui voit la bonne bretonne, à flanc de montagne, en bien mauvaise posture. Le découpage, qui joue de la verticalité et du blanc de la page, symbolisant le vide, en témoigne avec éclat.


Joseph Porphyre Pinchon lui-même été bien d’autres choses que le dessinateur de Bécassine : peintre animalier, dessinateur pour le théâtre et même réalisateur de film, il n’a jamais, jusqu’à la toute fin de sa vie, cessé de dessiner. Né en 1871, il a beaucoup travaillé pour la presse, et pas seulement pour les journaux pour enfants. Si ses participations au Saint-Nicolas, à L’Ecolier illustré, Benjamin, Âmes vaillantes et bien sûr La Semaine de Suzette sont bien connues, il a également fourni d’innombrables dessins de presse à L’Echo de Paris, qu’il signait Jospin. Il est mort en 1953.

Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Avec cette très belle planche (parue en 1923), on peut déjà se rendre compte que bien au-delà de ce que l'on pourrait s'imaginer aujourd'hui, cette série bénéficiait d'une qualité graphique très affirmée, quelques 6 ans avant la création de Tintin. Et que si la « Ligne claire » n'était peut-être pas nommée telle quelle, tout était déjà posé avec maitrise.

On sait aussi que l'héroïne bretonne vivait de nombreuses aventures à travers le monde, préfigurant bon nombre d'autres séries du même genre, d'autres grands héros que les historiens de la BD ont eu tendance à davantage mettre en avant à son détriment.

Ainsi, en observant cette scénette, on ne peut qu'admirer la fluidité des mouvements, l'enchaînement des gestes des deux protagonistes. On sent l'élan dans la position du jeune homme qui regarde où se trouve Bécassine, qui lance sa corde, prépare les nœuds et aide son amie à se dépêtrer de ce mauvais pas. Nul besoin de dialogue, d'explications, tout est limpide, sans chichi. Pinchon reste clair dans ses cadrages, dans la mise en scène. Il alterne très habilement les cases verticales pour accentuer la hauteur de la paroi, et les plans rapproché pour mieux observer les deux personnages et leurs gestes.

Le dessin est mine de rien très expressif dans sa gestion des corps, mais aussi dans les traits des visages ou se lisent à la fois une sorte d'agacement, mais aussi de l'inquiétude. Pinchon nous guide alors dans notre lecture en rythmant les émotions pour accompagner le sauvetage de notre maladroite bretonne.

Cependant, c'est aussi intéressant de voir que la planche n'a à priori pas été conçue d'un bloc, mais composée de dessins rassemblés les uns avec les autres. L'effet est accentué par l'absence de cadre. A cette époque, la Bande Dessinée est un Art encore assez jeune, les auteurs expérimentent, voguant entre illustration et BD, ils écrivent en direct les codes du genre. Toutefois, la mise en scène dénote aussi par sa modernité, ce dynamisme tranquille et très efficace.

En 9 petits « clichés », Pinchon nous donne une très belle leçon de BD qui donnerait bien envie d'en lire davantage, voire même de réhabiliter un peu plus cette héroïne et son univers précurseur.Bécassine | Les Pieds Nickelés | Joseph Porphyre Pinchon : La planche de la semaine : Bécassine de Pinchon

PlancheCIBDI

Jeunesse

Patrimoine

Haut de page

Commentez

1200 caractères restants