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La planche de la semaine : Le journal d’Henriette, volume 1 par Phillipe Dupuy et Charles Berberian

Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section aventure, découvrez la planche #24 : Le journal d’Henriette, volume 1 par Phillipe Dupuy et Charles Berberian

Philippe Dupuy | Charles Berberian : La planche de la semaine : Le journal d’Henriette, volume 1 par Phillipe Dupuy et Charles Berberian

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier

Intelligente et sensible, mais dotée d’un physique ingrat, la préadolescente Henriette doit en outre supporter des parents vulgaires et égoïstes. Philippe Dupuy et Charles Berberian se sont révélés au public à la fin des années 80 avec cette série qui mêle un peu d’amertume à un humour toujours subtil. La planche issue des collection du Musée de la bande dessinée traduit bien la corvée que peut être pour Henriette une soirée au restaurant avec ses parents. Les auteurs ont trouvé un moyen simple et efficace de faire ressentir le statut inférieur d’Henriette : elle est écrasée par la taille de ce qui l’entoure et, hormis dans la première case, son visage n’est jamais entièrement représenté.

Premier personnage marquant du duo d’auteurs, Henriette est revenue quelques années plus tard, dans une version en couleur et plus dans l’air du temps, qui connu un joli succès chez les jeunes lecteurs. Entretemps, ils avaient crée Monsieur Jean, leur personnage le plus connu, écrivain contemporain et bobo avant l’heure, dont les aventures d’une ironique drôlerie faisaient écho au vécu de ses créateurs.

Grands Prix de la ville d’Angoulême en 2008, Dupuy et Berberian ont eu longtemps un modus operandi inhabituel en bande dessinée : loin de la répartition classique scénariste/dessinateur, ils intervenaient indifféremment à toutes les étapes de la réalisation de l’histoire.

Depuis quelques années, ils ont tenté et réussi chacun de leur côté de belles créations en solo.

Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud

Cette planche s’inscrit plus ou moins au début de la carrière du duo Dupuy et Berbérian qui signait, dans les pages de Fluide Glacial, leur première véritable série « Le journal d’Henriette ».

Il y est question d’une fillette rêveuse et introvertie, un brin enrobée, qui subit les railleries de ses parents, et plus particulièrement de son père qui ne comprend absolument pas la sensibilité romantique de sa fille, la ridiculisant à l’excès (la scène qui ouvre l’album le montre découvrant le journal intime d’Henriette, avant d’en faire une lecture publique à tous les voisins, méprisant les larmes qui coulent sur ses joues). Les deux auteurs dénoncent ainsi la pauvreté intellectuelle d’une éducation parentale freinant l’éveil passionnel de l’enfant, qui se construit sur la frustration face aux interdits. Au fil des pages, on glisse alors de l’humour au cynisme, en passant par des pages parfois émouvantes, parfois cruelles.

La planche présentée introduit une histoire en 5 planches où l’on voit les parents de Henriette fêter, comme chaque année, leur anniversaire de mariage, dans le même restaurant, avec les mêmes plats, les mêmes blagues, les mêmes gestes répétés, encore et encore. La fillette n’est pas dupe, elle comprend qu’il s’agit bien plus d’une formalité à laquelle elle ne peut de toute façon pas déroger. On lui passe la carte pour donner l’illusion que cette fois elle pourra vraiment choisir, la gentillesse du serveur qui ne la considère pas, au contraire du père et de la mère, comme un vague objet posé sur sa chaise, et le dialogue entre les adultes qui l’écartent, négligemment. Henriette reste donc en retrait, tout du long, la scène se joue presque sans elle, alors qu’elle observe, l’œil maussade, ce qui l’entoure, pouvant pratiquement deviner chaque réplique à l’avance. On sent l’omniprésence du père dirigeant et suintant l’idiotie crasse, la soumission de la mère qui n’ose plus remettre en cause, car c’est inutile et vain.


En une planche, Dupuy et Berbérian nous introduisent dans l’esprit de l’enfant, dans la vision qu’elle porte sur sa famille et sa propre position résignée. La mise en scène est adroite, fluide, le trait est épuré, annonciateur d’une ligne claire qui va progressivement définir le style graphique de ces deux artistes, alors en pleine osmose.

Si, ensuite, Monsieur Jean s’aventure vers une étude de mœurs différente, Le Journal d’Henriette pose déjà les bases d’un univers décalé ou l’enfance n’est plus seulement un espace de joie innocente fait de jeux, de rires, de partages, mais déjà un monde sans concession, fait de dures leçons sur la vie…

La planche de la semaine : Le journal d’Henriette, volume 1

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