Chaque vendredi, on découvre ensemble une planche de l'immense collection de la Cité de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême qui propose jusqu'en août 2026 une exposition fascinante et sans cesse renouvelée : Trésors des Collections. Dans la section humour, découvrez la planche #25 : Miam Miam par Leconte.

Le mot du commissaire de l'exposition, Jean-Pierre Mercier
Réalisateur de comédies bien connu du public pour les succès que furent la série des Bronzés, Les Spécialistes ou Viens chez moi, j’habite chez une copine, Patrice Leconte a aussi réalisé des films plus personnels comme Tandem, Monsieur Hire ou Le Mari de la coiffeuse. Il est également metteur en scène de théâtre, auteur de romans (Les Femmes aux cheveux courts, Riva Bella), de nouvelles (Moments d’égarement, illustré par Blutch).
Ce bel éclectisme créatif inclut également la bande dessinée puisque des années 1970 à 1974, il a publié des pages comiques dans l’hebdomadaire Pilote. Quelques recueils ont paru à l’époque et une réédition (Gazul Club en 2007) a permis de redécouvrir un auteur au ton singulier.
En effet, ses capacités graphiques extrêmement limitées poussent Patrice Leconte à pratiquer un humour décalé et déceptif truffé de références littéraires : le personnage de Gazul qu’il met souvent en scène fait référence à Clara Gazul, personnage fictif grâce auquel Prosper Mérimée publia plusieurs de ses œuvres. Le titre de la planche présentée aujourd’hui fait bien sûr référence aux premiers vers d’un célèbre poème de Paul Verlaine, et l’on appréciera la qualité d’écriture de textes qui jouent sur la répétition et une insignifiance assumée.
L’étrangeté d’une situation onirique annoncée dès la première case est déroulée pas à pas, l’auteur prenant même bien soin de numéroter les « gros plans fulgurants [qui] traversent [son] cauchemar ». On peut le dire : la chute de l’histoire, qui survient à la fin de la deuxième planche est d’une platitude qu’on peut trouver au choix navrante ou hilarante.
Le ton inhabituel de Leconte désorienta les lecteurs de l’époque, et s’il avait de vrais fans (au premier rang desquels Marcel Gotlib avec qui il collaborera pour son premier long métrage, Les WC étaient fermés de l’intérieur), la parution de ses pages dans Pilote suscita de nombreuses réactions d’incompréhension. Patrice Leconte n’en avait cure, et s’il abandonna la bande dessinée, ce n’est pas par dépit, mais parce qu’il avait juré de ranger définitivement ses crayons dès qu’il serait en mesure de réaliser son premier film. Ce qui advint en 1974.
Le mot du chroniqueur de ZOO, par Frédéric Grivaud
Nous glissons dans un rêve que nous décrit froidement le narrateur. Il ne s’agit donc pas forcément de comprendre strictement ce qu’il se passe, mais au moins d’en saisir l’essentiel. Un homme en voiture observe des scénettes sur le bas-côté.
La planche se contente donc d’aligner les scènes, de manière assez décousue. Le dessin est épuré, des formes humaines en blanc sur fond noir. On peut néanmoins se rendre compte que, même si le dessin de Leconte est dénué de tout réalisme ou de détails superflus, la stylisation est efficace et pleine de charme. Elle suffit amplement à nous faire comprendre ce qui est représenté, tout en adoptant un trait caricatural qui renvoie à d’autres artistes comme Quino, par exemple. Et même si Leconte n’en a pas la virtuosité, il y a ce petit quelque chose qui nous amène à nous arrêter sur chaque case, comme séduit par un regard assez singulier.
On comprend toutefois qu’il ne s’agit que d’une première page, que la suite serait hypothétiquement plus claire, mais en tant que tel, cela reste une très belle planche qui mériterait de redécouvrir le travail BD de Patrice Leconte.

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