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Avec Pat Mills, c'est aussi la guerre dans les tranchées anglaises

Pat Mills est le Tardi anglais. Avec La Grande Guerre de Charlie, il signe le scénario d’une des meilleures séries sur la guerre de 14 vue du côté britannique. Joe Colquhoun est au dessin. Les éditions Délirium ont eu l’excellente idée de rééditer la série en français, dont levolume 6 vient de sortir. Pat Mills était au festival d’Aix-en-Provence. L’occasion de le rencontrer.

Comment la guerre de 14 est-elle perçue aujourd’hui au Royaume-Uni ?

On est passé de la vision d’une guerre juste à celle d’une tragédie. Il y avait la notion de reconnaissance pour tous ces morts, ces jeunes soldats mobilisés, le sacrifice nécessaire. Il fallait arrêter l’impérialisme allemand. Ensuite on a compris l’ampleur du désastre, la tragédie et on a mieux cerné la force de la propagande de l’époque. La Der des ders ne devait jamais se reproduire.

Dans La Grande Guerre de Charlie, vous êtes très critique sur le rôle des politiciens de l’époque.

Bien sûr. La Grande Bretagne a sa part de responsabilité dans les causes de la guerre. Elle a poussé l’Allemagne à déclarer la guerre, un peu comme plus tard Bush pour l’Irak. Cela dit nous n’étions pas seuls. Il y a une responsabilité collective.

On est aujourd’hui à la réconciliation, à une Europe fraternelle.

Oui mais est-ce vraiment le cas ? Pas sûr qu’il y ait finalement une volonté autre qu’économique. Le concept réconciliation est dépassé. Les intérêts financiers priment sur tout aujourd’hui. Ce qui était déjà le cas en 14. On a oublié que, malgré la guerre et des nations qui se battaient entre elles, elles se sont aussi parfois vendues des armes mutuellement. Par trafiquants ou pays neutres interposés.

Pourquoi vous être lancé dans cette reconstitution du conflit, très documentée et forte, sans concession?

J’avais une vision très négative de la guerre après avoir vu des films comme What a lovelywar ou Joyeux Noël. Cela a été une sorte de révélation pour moi. J’ai eu ainsi une perception très différente du conflit. Je n’ai donc pas voulu glorifier un héros mais simplement montrer un homme simple qui bascule dans l’horreur au quotidien.

Quelles ont été les principales difficultés ?

En fait, le plus compliqué a été de donner à l’ambiance des tranchées, très statique, un côté attractif sur le plan scénaristique, apporter du mouvement dans un univers assez figé. Je devais écrire aussi en fonction des effets voulus car La Grande Guerre de Charlie est un récit volontairement contre la guerre.

Ensuite il y a eu le travail de recherche et c’est Jacques Tardi qui a été ma référence. Cela dit la chasse à la documentation est devenue pour moi une seconde nature, un passe-temps. Il fallait aussi une totale vérité dans mon récit.

Charlie est un personnage simple, d’origine populaire.

La différence de classes dans la société anglaise en 1914 était flagrante. Charlie est issu d’une classe basse et ne sera pas un héros solitaire. C’est un type ordinaire qui sait ce que la lutte des classes veut dire. Il est entouré de copains qui se serrent les coudes pour survivre, tenir moralement ou faire face à la bêtise des officiers, à leur prétention et au mépris de la vie humaine.

Charlie a sa famille en Angleterre où il revient en permission. Il assiste aux bombardements de Londres par les zeppelins allemands. Et son beau-frère est une ordure. Il faut des personnages forts que l’on comprenne, auxquels on puisse s’identifier. Un peu comme dans les romans de Dumas ou dans Germinal. Du basique que j’ai appuyé sur un mélange de culture populaire, de pacifisme et d’antimilitarisme.

L’écriture de La Grande Guerre de Charlie correspond à une parution sous forme d’histoires courtes.

La série est parue de 1979 à 1986 dans Battle, un hebdomadaire. Donc il fallait en quatre pages un début, un milieu et une fin d’histoire. Le tout sous une forme très rapide et dans un nombre de cases important. Dans un album de 48 pages, on peut prendre son temps, pas dans La Grande Guerre de Charlie. A noter que quelques rares épisodes ont été publiés en France dans le journal Bengali. Au total pour la réédition actuelle en français, il y aura dix albums.

Vous auriez pu écrire une suite à La Grande Guerre de Charlie, aller jusqu’au second conflit mondial ?

On y a pensé et on l’a fait brièvement. Charlie aurait pu avoir un fils qui se serait battu en 1939. Mais il n’y a pas eu de suite approfondie, même si un épisode sur Dunkerque lors de l’évacuation des troupes a été publié. Je n’étais pas au scénario et Joe Colquhoun a dessiné. Une option a aussi été posée pour une adaptation de La Grande Guerre de Charlie en série TV.

Dans le tome 7, vous allez évoquer les mutineries de 1917 qui ont lieu aussi bien dans l’armée anglaise que française.

Effectivement. La vision des gens a changé sur le militarisme. A l’époque de la guerre, on ne reconnaissait pas le pacifisme et les objecteurs de conscience. Aujourd’hui, on peut en parler librement et montrer la stupidité des ordres reçus. Vous avez, pendant la bataille de la Somme, 21 000 soldats anglais tués sur 120 000 rassemblés pour la bataille,le premier jour, le 1er juillet 1916. Incroyable et monstrueux.

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