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D'Israël au Myanmar

Mark est un ingénieur spécialisé en explosifs qui, les poches à sec, se retrouve embarqué dans une opération secrète de l’armée américaine en Asie du Sud-Est. Sa rencontre avec deux jumeaux à peine adolescents à la tête d’un groupe de rebelles va changer sa vie… Et sa perspective sur celle-ci. Retour sur la genèse de cet album à six mains plongeant ses racines dans trois jeunesses israéliennes.

Courir dans la jungle

Comment vous est venue l’idée de ce projet ?

Boaz Lavie : C’est d’abord une photo. Celle de Luther et Johnny Htoo, deux frères jumeaux de 12 ans qui commandaient un groupe rebelle en Birmanie au début des années 2000. Cette photo a été prise juste après qu’il aient pris près de 800 personnes en otage dans un hôpital birman.

Autour de cette photo et de l’histoire de ces deux jumeaux, nous avons commencé à imaginer un scénario qui combinerait une part de réalité et de la fiction. Nous nous connaissons depuis presque 20 ans et nous avions toujours eu l’idée de nous attaquer à un gros projet commun tous les trois !

Asaf Hanuka : Tomer a trouvé la photo le premier et il est vite devenu obsédé par cette histoire. Il a d’ailleurs fini par m’entraîner dans cette obsession ! Mais nous n’arrivions pas à trouver un scénario qui tienne la route. Nous avons donc appelé Boaz pour qu’il nous sauve la vie [rires]. Il a pu regarder le projet avec un oeil neuf et il est devenu obsédé par le sujet à son tour. C’est finalement un album orienté action-aventure avec une histoire finalement très personnelle et humaniste je pense.

Tomer Hanuka : Nous avons grandi en Israël, et courir librement dans la jungle comme des rebelles était un rêve assez courant lorsque nous avions 12 ans. Mais si l’on envisage cela sérieusement, c’est une tragédie. C’est la chose la plus horrible qui puisse arriver à un enfant. Le Divin, c'est donc aussi cette tension entre des fantaisies de gosses occidentaux et la réalité de ces fantaisies, qui est un véritable cauchemar.

Boaz Lavie : Nous avons aussi eu des retours de lecteurs très différents. Ce n’est effectivement pas un livre qui ne s’adresse qu’aux garçons qui aiment l’action-aventure. Nous avons essayé d’en faire quelque chose de plus profond, à propos de la famille et des relations personnelles qui puisse s’adresser à tous.

Un élément important est celui du mythe de leur pouvoir, accordé par le dragon résidant dans une montagne sacrée…

Boaz Lavie : Les hommes sous les ordres des jumeaux Htoo leurs prêtaient des pouvoirs surnaturels. Ils étaient réputés invulnérables aux balles ou capables d’invoquer des soldats invisibles. C’est en cherchant un contexte à ces pouvoirs que l’idée du dragon nous est venue : une figure qui les protège réellement et enveloppe le récit, qui s’ouvre et se referme avec le dragon.

Tomer Hanuka : Cette histoire parle d’abord des choix. Prendre des décisions, choisir un côté du conflit et ne pas rester passif. Le dragon est un symbole de pouvoir, de puissance, de contrôle absolu. Mark, le protagoniste, a besoin de devenir un dragon pour de comprendre sa place dans l'univers !

À l’inverse de Jason, le colonel qui l’enjoint de rejoindre cette aventure ?

Boaz Lavie : Effectivement. Je pense que Jason prétend ou croit être un dragon quelque part. Il est très sûr de lui, pense être puissant. Mais il n’est jamais qu’un prétendant !

Tomer Hanuka : Pour beaucoup de militaires [le service est obligatoire en Israël N.D.L.R.], vous devez être un mec musclé, fort, etc. Quelque chose d’assez macho en fait. Une espèce de stéréotype, de cliché superficiel auquel Jason se plie. Et c’est en s’y conformant qu’il ne fait que prétendre être puissant.

Tout est politique

Dès le début de l’histoire, Mark et Jason ont des personnalités très éloignées. Quels sont leurs liens ?

Asaf Hanuka : Leur relation est très israélienne. Lorsque vous faites votre service militaire, vous rencontrez des gens de tous horizons. Et vous finissez par devenir potes avec des personnes très différentes de vous ! Vous pouvez donc avoir des amis beaufs et machos alors que vous êtes un petit geek à lunettes. Et c’est OK ! Vous êtes dans le même bain, ce n’est donc pas un problème que certains soient des taiseux et d’autres des grandes gueules.

Boaz Lavie : Les deux personnages sont effectivement très différents l’un de l’autre, presque opposés. Pourtant, il y a une relation plutôt proche entre eux. Peut être Jason a-t-il besoin de Mark, plus frêle, plus en retrait, pour se sentir puissant. Mark à l’inverse a besoin d’une figure autoritaire, d’un boss, mais pour s’y opposer et par là, s’émanciper de ses propres indécisions.

Ces personnages reflètent-ils la situation israélienne ?

Tomer Hanuka : En Israël, il est difficile de rester sur le côté ou de laisser les choses se dérouler. Tout le monde a une opinion, et surtout, tout est politique. Tous les choix que vous faites ont une dimension politique, il n’y presque rien qui soit simplement personnel ou banal. Mark a besoin de comprendre cet endroit où les choix personnels sont aussi politiques!

Si Mark et Jason se rendent en Asie, c’est d’abord dans le cadre d’une opération secrète de l’armée américaine. Y a-t-il une critique de l'engagement militaire et diplomatique américain ?

Boaz Lavie : Nous ne sommes pas des experts en relations internationales. Certes, les États-Unis s’engagent de différentes manières à travers le monde, parfois au grand jour, parfois secrètement. Mais ce n’est pas une critique directement dirigée vers les États-Unis. De manière générale, les décisions de politique étrangère prises par des États puissants peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la vie de populations. Quoi que l’on fasse, on est pris dans ce contexte de la politique mondiale. À chacun alors de choisir sa voie et de prendre ses propres décisions.

Comment avez-vous travaillé les couleurs ?

Tomer Hanuka : J’ai une grande référence pour la couleur : Hokusai. Il utilise de grands aplats de couleurs ouverts qui suggèrent un horizon mythique, infini, plus grand que la vie elle-même. C’est donc de lui que je me suis d’abord inspiré.

Ensuite je me suis demandé comment faire pour que les couleurs expriment le ressenti de Mark et non ce qu’il verrait de façon réaliste. Par exemple, avant qu’il ne quitte l’Amérique, je n’ai pas utilisé de vert. Son monde n’a pas encore ce sentiment organique, cette puissance vivante.

Pourquoi n’avoir pas publié cet album en Israël ?

Asaf Hanuka : Tomer vit à New York depuis 20 ans, il a donc traité directement avec First Second, puis nous avons été mis en relation avec Dargaud. Mais Le Divin n’est pas sur le marché israélien de la bande dessinée, parce qu’il n’y a pas de marché israélien de la bande dessinée ! Quelques albums sont publiés chaque année, moins d’une dizaine je dirais. Mais presque personne ne lit de bande dessinée en Israël, nous sommes donc obligés de passer par un éditeur étranger pour pouvoir vivre de nos albums.


Quels projets pour l’avenir ? Asaf Hanuka, allez-vous continuer K.O. à Tel-Aviv ?

Asaf Hanuka : Oui, je le publie toujours dans un journal en Israël chaque semaine ! Mais nous avons vraiment envie de faire notre projet suivant tous les trois parce que c’était une expérience fabuleuse et intense, et nous avons envie de continuer à explorer ce que nous pouvons créer tous les trois.

Boaz Lavie : Nous ne pouvons pas en parler c’est très secret, nous avons un plan pour faire quelque chose de fabuleux bien sûr [rires]. Non plus sérieusement nous ne voulons pas en parler trop en détails pour le moment parce que ce n’est pas encore assez avancé, mais nous essayons de rendre notre collaboration encore plus organique, de l’amener à la prochaine étape !

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