Il y a des voyages qu’on fait à plusieurs et d’autres qu’il faut oser faire seul, pour découvrir le monde par soi-même. C’est cela et bien d’autres choses que nous montre la superbe et attachante histoire de L’Homme Montagne. Ses auteures nous racontent comment un petit texte est devenu un grand parcours initiatique…
Du petit texte au grand voyage
Comment est né le projet de l’Homme Montagne ?
Séverine Gauthier : C’est une histoire que j’ai créée il y a plus de deux ans maintenant. À la base, le projet était un texte de 500 mots pour un éditeur jeunesse autour du thème du dernier voyage. Le texte en question était le dialogue qui ouvre le livre, entre un grand-père et son petit-fils. Mais ce texte parlait de mort, il a donc été refusé par la maison d’édition. J’ai alors écrit un poème plus léger.
Comme j’aimais vraiment ce texte, ils m’ont rendu service en me le refusant, car cette histoire a pu mûrir. Je cherchais un style graphique qui la complétait bien et j’ai découvert les dessins d’Amélie sur internet, je connaissais juste son pseudo, Ssoja. Un jour, j’ai parlé de son blog à un ami en disant que j’aimais beaucoup son dessin. C’est là qu’il me dit qu’il la connaît et qu’il peut nous mettre en contact ! Quand on s’est vues pour la première fois, Amélie m’a dit qu’elle était intéressée.
Amélie Fléchais : Je trouvais l’histoire très inspirante ! Il y avait un vrai défi à mettre en scène l’Homme Montagne. Et le Vent !
Séverine : Quand je suis venue voir Amélie, j’avais un synopsis fini, avec un ton et les dialogues du début écrits, comme souvent. À partir de ce moment là, le dessinateur s’approprie vraiment le projet pour qu’on le monte à deux, et c’est ce qu’Amélie a super bien fait !
Amélie : C’est un vrai ping-pong pour trouver ce qui marche le mieux pour l’histoire.
Vous avez donc créé des personnages de concert ?
Séverine Gauthier : Les personnages existaient, on savait dès le début que l’Homme Montagne allait faire quatre rencontres.
Amélie : Il a fallu donner un aspect visuel à tout ça. Pour l’Homme Montagne, je ne voulais surtout pas qu’il y ait des sortes d’excroissances sur sa peau. Je trouvais ça très glauque, donc j’ai pris le parti d’en faire plutôt un homme pierre, pas vraiment humain. D’où le nez carré, l’aspect crayeux…
Séverine : Ses joues un peu rouges, c’est l’idée aussi du froid, de la dureté du voyage qui le marque physiquement.
Amélie : Pour l’Arbre, il fallait le faire parler sans qu’il ressemble à Grand-Mère Feuillage. Je me suis inspirée du Voyage de Chihiro dans lequel le Sans-Visage apparaît toujours masqué : je me suis dit que l’esprit de l’arbre pouvait sortir et s’exprimer sous couvert d’un masque.
Pour le Vent, je me suis demandée ce qui pouvait le représenter. Le ciel est dominé par les oiseaux : c’était en fait assez naturel qu’une nuée d’oiseaux représente le vent.
Séverine : C’est pour ça que je voulais qu’Amélie fasse cette histoire ; je ne me voyais pas donner les personnages à quelqu’un d’autre ! Quand elle a fait ses recherches, j’ai pu écrire les dialogues de chacun ; à partir de ses croquis, chaque personnage a eu sa personnalité !
Ça m’a aussi amusée de faire le dialogue en écho des cailloux. Je leur ai donné cette personnalité très humoristique pour qu’Amélie puisse vraiment exprimer son côté espiègle !
Amélie : Mon côté pokémon…
Quelles influences t’ont inspirée pour créer cet univers ?
Amélie : Il y a beaucoup d’influences, car je voulais adopter un style plus lâché que dans mes autres ouvrages. Du coup j’avais en référence Gipi et Taiyo Matsumoto. J’avais aussi travaillé sur le Chant de la Mer juste avant et il y a aussi quelque chose qui est ressorti…
Toucher tous les âges
Vous avez adapté votre ton au public jeunesse ?
Séverine : Je n’ai pas l’impression d’écrire des BD jeunesse, juste de créer les livres que j’ai envie de faire depuis toujours. Je lis de tout, aussi bien ce qui est classé jeunesse qu’autre chose et je pense que c’est plutôt les éditeurs qui ont besoin de cases ! On a l’impression d’écrire pour tout le monde, surtout qu’il y a des gens de tout âge qui viennent nous voir en dédicaces.
Amélie : En plus, ce récit reste dans le domaine du conte. Et les contes plus anciens étaient beaucoup moins édulcorés car ils apprenaient des choses de la vie. Et d’un point de vie éducatif, ça ne rend pas service de tout lisser, de tout finir avec des happy-ends!
Séverine : Ce que j’aime d’ailleurs dans la littérature, c’est avant tout les émotions de lecture. Et les livres que j’ai gardés de mon enfance, c’est les livres qui m’ont fait pleurer ou rire étant petite. Ça m’a beaucoup marquée et j’ai gardés ces livres ! Mon préféré, je le relis tous les ans et il me fait toujours autant pleurer ! Et j’ai envie de faire des histoires comme ça, qui touchent les gens.
Amélie : Je pense que si on n’est pas touchés à la lecture d’un album, si on ne s’est pas attaché aux personnages, c’est presque raté car on ne retient pas ce livre !
Quelle est votre technique de dessin pour avoir un rendu pareil ?
Amélie : C’est assez particulier : je fais mon dessin en noir et blanc. Je trace les traits à la plume, applique un lavis à l’encre et y ajoute du crayon de papier. A partir de cette base, je mets les couleurs à l’ordinateur. Donc mes planches originales ne ressemblent pas tout à ce qu’il y a dans le livre. Ce qui est assez rigolo, surtout que je sépare les personnages à un moment… Pour les prochains projets, je trouverai une technique plus simple !
Vos ambiances très lumineuses ont été créées séparément ?
Amélie : Comme il y avait une séquence par personnage, je voulais à chaque fois une ambiance différente. Au début, quand le petit est face à son grand-père, il y a une ambiance très chaleureuse et intimiste, comme un cocon. Alors que la partie du bouquetin, qui est un peu inquiétante, a des couleurs plus sombres mais rehaussées par les cornes dorées du bouquetin. Avec les pierres, c’est une ambiance printanière même si elle est brumeuse : elle colle à ces personnages très mignons et extravagants.
Quels sont vos prochains projets ?
Séverine : On va travailler chacune de notre côté en attendant de se recroiser au bon moment sur la bonne histoire. Vu que ça s’est super bien passé entre nous…
Pour moi, c’est le troisième tome de Virginia de Benoît Blary qui va sortir chez Casterman en juin. Et Aliénor Mandragore à la rentrée normalement avec Thomas Labourot chez Rue de Sèvres, une nouvelle série très fraiche. D’autres projets sont en cours de montage.
Amélie : Moi je travaille sur le dossier d’un projet avec Jonathan Garnier. Ca s’appelle Les Bergères guerrières, une série jeunesse en trois tomes. Ce serait les aventures d’une petite héroïne qui commence son apprentissage de bergère guerrière pour défendre son village et les pâturages ! Arrive forcément un peu de fantastique et des intrigues ! On espère le signer bientôt…
Un avant goût des Bergères Guerrières
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