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Un regard de journaliste sur la littérature jeunesse

Pierre Torrès vient de signer le dessin de Papa Hérisson chez Flammarion jeunesse. Scénarisé par Nicolas Hénin, cet album court s’adresse aux enfants qui vivent avec l’absence de l’un de leurs parents. Un album au parcours original, né d’un jeu animalier dans les geôles de l’État Islamique entre juin 2013 et avril 2014...

De la biologie au livre jeunesse. Via la Syrie.

Peux-tu nous parler de ton parcours avant ton départ en Syrie ?

J’ai en fait commencé par des études de biologie marine ! Après cela, les Printemps arabes ont éclaté. J’ai suivi la situation en Tunisie, totalement incrédule, je ne m’attendais pas à la réussite du mouvement. Ça a pas mal changé la donne ! Je passais mes journées à chercher des infos sur ces évènements.

Je voulais absolument voir le prochain basculement révolutionnaire, le moment où l’ancien État tombe. Je suis donc parti en Libye sans idée claire sur ce que j’allais faire sur place. Je pensais que comme en Egypte, le système s’effondrerait lui-même. Je ne pensais pas que ça deviendrait une guerre. Au final, j’ai eu beaucoup de mal à comprendre la situation libyenne : pas d’armée, pas d’État et des idéologies difficiles à saisir.

À aucun moment je n’ai essayé d’intégrer la presse professionnelle. Mais en 2012, je repars pour la Syrie en travaillant pour des agences qui vont surtout m’acheter des photos. Puis j’y retourne encore une fois en 2013 avec cette fois l’envie de faire un reportage. J’envoie l’article à des connaissances pour corrections mais avant de pouvoir recevoir ces corrections, je suis pris en otage…

Et c’est à ce moment que naît Papa Hérisson…

L’idée vient de Nicolas. Un jour, il me propose d’écrire un conte animalier pour enfant, à propos de notre prise en otage. J’ai trouvé l’idée super. Il y avait des discussions dans la taule : certains voulaient écrire un livre racontant ce qui leur était vraiment arrivé, ce que je comprenais. En même temps, il y avait une gêne : raconter ce quotidien, c’est très privé. Et pour moi, c’était même impossible de parler de cela.

Le conte pour enfant te permet de mettre ça sur un plan métaphorique et de le partager d’une façon plus directe, ce qui évite de raconter des choses trop triviales ou trop privées, mais aussi de mettre une distance avec ce qui m’est arrivé. Ce bouquin s’adresse donc à tous les enfants et aux adultes qui le peuvent [rires].

Avec Nicolas et un autre otage, on avait un jeu psychologique : des analogies animalières. Quel animal es-tu ? C’était peut être pour mettre des mots sur ce que l’on vivait. Voir comment chacun se voit !

Et un jour, Nicolas s’intéressait au hérisson. Alors pour faire un bon mot, j’ai dit que le bon côté du hérisson, c’est qu’il rentre toujours à la maison. Et le lendemain, Nicolas revient me voir avec cette idée du conte animalier autour du hérisson !

Nicolas voulait surtout ramener cette histoire à ses enfants, auxquels il pensait tout le temps. On ne pouvait rien garder quand on était otage. A chaque changement de cellule, on perdait tout ce que l’on avait écrit. On n’avait pas le droit de faire de l’exercice : on ne pouvait s’investir que mentalement…

Peux-tu nous parler de ton rapport au dessin pour ce premier album ?

Je n’ai pas de formation classique. J’ai toujours dessiné, surtout à l’école. Et puis à la fac, j’ai complètement arrêté pendant plusieurs années. Depuis, j’ai rencontré quelques auteurs et j’ai remarqué que beaucoup étaient autodidactes ! Il faut vraiment se décomplexer par rapport à cela : J’avais beaucoup d’a priori que David Lafforgue, directeur artistique chez Flammarion, m’a aidé à dissiper !

J’ai commencé par un dessin très naturaliste, très détaillé. Rapidement, j’ai compris que j’avais besoin d’images emblématiques. Je pense qu’il n’y a pas de bon goût à avoir dans un livre pour enfant, il faut avant tout que le dessin soit fort. Sur mes premiers dessins à l’inverse, les expressions étaient trop subtiles.

Je suis donc passé sur un style plus simple et plus expressif mais je voulais garder un trait animal. J’ai donc refait tous les dessins de l’album à partir de ces principes. C’était enfin la réalisation d’un rêve de gosse ! J’avais toujours rêvé être dessinateur parce que je détestais lire quand j’étais plus jeune [rires].

Faire le bon choix ?

Comment avez-vous fait le choix des saynètes que vous avez utilisées ?

On partait toujours du texte. Un exemple précis : lors de la scène où Papa Hérisson traverse la route, on voit un hérisson mort. Et là s’est posée une question qu’on se pose régulièrement en journalisme : qu’est ce qu’on montre ? Il fallait quelque chose qui ne soit pas trop sombre ou trop violent tout en restant à l’échelle du hérisson. On a finalement gardé les piquants sur la route en se demandant si ça serait bien compris par les enfants.

Comment avez-vous construit le personnage du hérisson ?

Nicolas s’est inspiré de personnes qu’il connaît. C’était de toute façon vraiment cette histoire de retour qui nous intéressait. Graphiquement, je voulais quelque chose d’un peu naturaliste sans être barbant. Après c’est une question de goût !

À votre retour, vous avez été convoqué par la DGSI et suite à cela, avez publié une tribune dans Le Monde. Pouvez-vous revenir sur le sujet ?

À notre libération, la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) a été chargée de nous rapatrier. Après cela, la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) a voulu nous débriefer. J’ai hésité, parce qu’il y avait plusieurs de leurs pratiques que je trouvais choquantes. J’avais un gros présupposé contre cette police qui, pour moi, ne s’intéresse pas aux faits mais aux opinions.

Un jour, un des otages reconnaît le tueur de Bruxelles, Mehdi Nemmouche, comme l’un de nos geôliers. Là, j’hésite. Je me dis qu’il peut être nécessaire de dire ce que l’on sait. Mais je vois aussi le danger : si au moment où l’on parle contre Mehdi Nemmouche, l’État Islamique négocie des otages contre de l’argent, il va être obligé, médiatiquement, de conditionner leur libération à celle de Mehdi Nemmouche, ce que ni la Justice belge ni la Justice française ne feront.

Lier Nemmouche à notre cas pouvait donc à mes yeux poser un problème, même si je ne pense pas que l’État Islamique ait envie de négocier la libération de Nemmouche. Nous avons donc demandé des garanties de confidentialité des dépositions au parquet et à la direction de l’anti-terrorisme à la DGSI.


Mais les dépositions vont sortir. Et pas d’une façon légale. Au lieu d’ouvrir une procédure contre Mehdi Nemmouche pour enlèvement et séquestration, ils vont faire fuiter les dépositions dans la presse. Ces fuites ont eu lieu pour soutenir un projet de loi à l’Assemblée Nationale. Je ne vois absolument en quoi cela peut être justifié. C’est pour dénoncer cela que j’ai fait cette tribune dans Le Monde.

Avez-vous d’autres projets ?

J’ai adoré ce travail. Je suis en train de voir ce que je pourrais tenter d’autre dans le livre jeunesse ou la BD... J’ai plusieurs histoires en tête mais rien n’est concrétisé pour le moment.

Un mot de la fin ?

Papa Hérisson, finalement, c’est une histoire que nous avons pensée pour les enfants qui ont à vivre avec l’absence d’un parent. C’est quelque chose d’assez dur. Nous l’avons prévu comme un livre qui pourrait être utilisé presque comme un manuel. Mais les thèmes sont plus larges, chacun peut y mettre des choses personnelles sans forcément faire le lien avec une histoire comme la notre !

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