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Aux Racines du mythe américain

Jason Latour est le dessinateur de Southern Bastards, qu’il a écrit avec son compère sudiste Jason Aaron. Retour sur les origines d’un récit décalé et franchement original, qui revient aux racines des mythes, des fractures et de la culture des États-Unis.

Frappé par la foudre

Comment avez-vous commencé à travailler sur Southern Bastards ?

Jason Latour : Cela faisait une bonne dizaine d’années que nous nous sommes rencontrés sous la pression d’amis communs qui disaient que nous pourrions bien nous entendre, vu qu’on venait tous les deux du Sud. Dès qu’on s’est rencontrés, on s’est dit qu’il faudrait que l’on fasse quelque chose tous les deux. Mais pendant longtemps, on n’a pas réussi à faire correspondre nos emplois du temps... Et je dois avouer que je n’étais pas très à l’aise avec l’idée de travailler avec un autre scénariste, vu que j’écris habituellement mes histoires !

Comme l’édition BD américaine a beaucoup changé, avec l’émergence d’Image Comics, nous avons enfin pu nous lancer ! Pendant plusieurs années, nous avions secrètement l’idée de faire un comics sur ce qu’est le Sud. Nous avions le personnage principal des premiers numéros, un personnage assez simple, et nous avions le nom, Southern Bastards.

Un jour, j’ai parlé à Jason [Aaron N.D.L.R.] d’une idée de western que j’avais, où un homme récupère la massue de son père dans un arbre frappé par la foudre. Et Jason trouvait l’idée parfaite pour Southern Bastards ! Et partant de là, tout s’est fait simplement. Le processus d’écriture entre Jason et moi était finalement très naturel.

Comment avez-vous créé le personnage d’Earl ?

Je ne sais pas trop ! Je pense qu’il y a quelque chose de profondément sudiste dans sa tentative de se réconcilier avec son passé. Tout le monde a son idée sur ce à quoi le Sud ressemble aux États-Unis. Et nous ne voulions pas nous bloquer là dessus : bien sûr il y a du vrai, on parle en connaissance de cause, mais tout n’est pas aussi simpliste et manichéen.

Etant parti depuis très longtemps, Earl a beaucoup de regrets, beaucoup de non-dits avec sa famille, avec cet endroit. Et je pense qu’une bonne partie des gens originaires du Sud ont sans doute ce genre de conflits intérieurs. À plus faible dose heureusement !

Ce livre explore aussi la mythologie américaine, notamment le rapport à la guerre du Vietnam ?

Jason est très familier avec la guerre du Vietnam, son cousin a écrit Full Metal Jacket, le livre et le film. De nos jours, si l’on évoque souvent la Seconde Guerre mondiale, on ne parle toujours pas tant que ça de la guerre du Vietnam. Dans ce livre, on apprend qu’Earl part au Vietnam volontairement, pour échapper à sa petite ville du Sud et à son père. Pour rapidement se rendre compte que cette guerre est loin d’être aussi propre et facile que ce qu’il croyait... Dans le fond, cette guerre fait pourtant partie du mythe américain. C’est une imagerie typiquement américaine.

Le mythe américain est la seule raison qui fait de l’Amérique un pays culturellement unifié : nous croyons aux mêmes histoires. Une bonne part de l’imagerie typiquement américaine vient du Sud : les pick-ups, les cow-boys, etc. Donc en voulant raconter une histoire sur le Sud, on a fini, au passage, par raconter une histoire sur notre société, parce que, finalement, on ne pouvait pas passer à côté de ce mythe.

Le réalisme des personnages de cartoon

À la fin, nous découvrons un personnage qui nous offre un regard neuf sur l'histoire...

Nous voulions que le lecteur sache dès le début que ce ne sera que de la testostérone, une histoire centrée sur le point de vue d’hommes blancs du Sud. Ce nouveau personnage représente donc enfin un point de vue alternatif ! Mais nous voulons prendre le temps dans notre façon d’écrire son personnage et de l’établir dans l’histoire correctement.

Comment avez-vous travaillé l’ambiance graphique du Sud ?

J’habite toujours dans le Sud, mais dans une ville désormais, donc je ne vais pas prétendre que j’ai tout fait de nature ! Mais j’ai passé une grande partie de mon début de vie à la campagne, donc beaucoup des images de ce bouquin viennent de mon enfance et de mon adolescence. J’ai essayé de créer quelque chose de correct dans les émotions. L’ambiance est réaliste je pense. Trouver la petite touche, le petit éclat de vie dans les personnages pour qu’ils aient l’air vivants, réels, bref pour qu’ils aient l’air d’exister.

Cette histoire de transmission d’objets presque sacrés dans une famille est quelque chose de très commun. Dans de nombreuses familles on entend des histoires du style « cette table était celle de ton arrière-arrière-grand-père, qui l’a fabriqué de ses mains avec le bois d’un arbre qu’il a abattu avec un canif ». Et même si souvent la table vient de chez IKEA, l’histoire existe quand même !

L’équipe de football locale, qui sert de couverture aux activités douteuses de Coach Boss est un élément central du livre. Cherchiez-vous ici aussi une atmosphère réaliste ou l’envisagez-vous plus comme une mafia traditionnelle ?

Un peu des deux je dirais. De base, Jason et moi sommes deux fans de football américain. En grandissant, je trouvais que les représentations du sport dans les comics étaient en général mauvaises. Et je ne comprenais pas pourquoi, parce que les comics sont très bon pour mettre l’accent sur les exploits physiques des personnages. Mais je ne trouvais pas d’histoire de sport qui soit à la fois attirante visuellement et intéressante à suivre, vu qu’elles sont souvent extrêmement répétitives.

Ici, cette équipe de football américain est une petite équipe d’amateurs, ce qui permet d’explorer beaucoup plus de choses que dans un comics sportif. Et en faire des mafieux rend le tout encore plus amusant. Mais il y a aussi un  vrai défi à trouver le bon ton et la bonne atmosphère, parce que même s’ils ne sont pas pros, c’est une véritable équipe avec tout ce que cela implique.

La scène d’ouverture, marquante et décalée, est aussi inédite. Comment avez-vous travaillé la narration graphique à deux scénaristes et en tant que dessinateur ?

Originellement, dans le script, la scène d’ouverture avec le chien devait être une simple case. Alors j’ai appelé Jason et je lui ai dit « Hé, je pense qu’on devrait en faire une grosse double page ! » C’est assez amusant dans le fond parce que c’est finalement très banal de voir un chien chier. Mais personne ne le dessine !

De manière générale, c’était important d’avoir une histoire presque monochrome, ce qui ajoute beaucoup à l’ambiance. Je voulais aussi que les personnages soient paradoxalement assez cartoon, pour pouvoir les traiter plus librement et donc probablement de manière plus crédible. Pour moi le réalisme ne vient pas de la conformité d’une oeuvre avec la photographie du même sujet, mais de la façon dont le récit s’agence pour être crédible.


Sur quels autres projets travaillez-vous ?

En ce moment, je travaille surtout sur Spider-Gwen chez Marvel, dont je suis l’auteur principal. C’est une histoire que se déroule en marge du Spiderverse [une série où toutes les versions de Spiderman se rencontrent N.D.L.R.], dans une réalité alternative où c’est Gwen Stacy [la copine de Peter Parker N.D.L.R.] qui est devenue une super-héroïne dotée de pouvoirs issus d’une araignée radioactive !

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