Amazing Améziane, grand amateur de mafieux, de polars et de yakuzas, a attendu 13 ans avant de sortir Clan. Avis de lecteur ? C’était long, mais ça valait le coup. Et il serait triste d’avoir à attendre aussi longtemps pour un nouvel album dans ce style ! Retour sur la création d’un Kill Bill en BD !
Le polar social
Quelle a été la genèse de Clan ?
Amazing Améziane : À la fin des années 90, Sonatine de Takeshi Kitano a été un choc visuel énorme. C’est tout ce que j’aime : le Japon, la poésie, les yakuzas, c’était pour moi le grand successeur des films de samouraïs que j’aimais beaucoup. Je suis aussi un grand fan de Frank Miller, particulièrement Sin City, et narrativement, j’aime le thème du « faible », celui dont personne ne voit la valeur avant qu’il ne sorte son sabre, c’est une mine sans fin !
J’aime le polar pour son côté social et le monde de la mafia car je le trouve fascinant. Il y a un terreau où tout se mélange. Je suis très influencé par l’esthétique et l’ambiance du polar et des histoires de mafia en général. J’ai mis un peu de temps à mêler tout ceci. Après avoir fini de bosser comme illustrateur, j’ai commencé à réfléchir à l’histoire que je rêverais voir en BD.
On est alors en 2001, l’imagerie manga n’a pas encore percé en France, et je pense qu’aucun éditeur n’était prêt à accepter le projet. 6 ans plus tard, je développe le concept avec un ami, avec l’esthétique du comics, et en racontant l’histoire de deux points de vue tête-bêche, ceux de Shi et Saboro. J’entre donc en discussion avec Le Lombard, qui m’accorde 96 pages pour un one-shot. Mais pour eux, la narration doublée ne fonctionne pas. Et c’est à ce moment là que l’éditeur trouve la fin que j’ai retenue, qui m’a en fait permis d’abandonner cette double narration !
J’ai eu la chance d’arriver au moment où Le Lombard s’ouvre beaucoup en termes graphiques et narratifs. Après mon précédent album chez Soleil, je ne savais pas vers quoi me tourner. A la base, l’album aurait dû être une série avec la mafia pour thème mais avec de l’humour un peu à la Monty Python, mais ça n’a jamais abouti.
Comment as-tu construit le personnage de Shi, tueur à gages aveugle et enfermé pendant 30 ans ?
Je me suis directement inspiré de Zatoïchi, dont je suis fan ! Mais quand j’ai écrit ça, personne n’avait vu Zatoïchi qui n’avait pas encore reçu le Lion d’Or à Berlin. Je suis aussi très attaché au thème des relations familiales, conflictuelles si possible ! Ca m’a confirmé en quelque sorte que cette histoire pouvait aller quelque part. J’ai même un temps pensé la proposer à des éditeurs japonais.
Shi me permettait aussi de me lâcher un peu, à la fois de construire un univers graphique particulier, mais aussi, tout simplement parce que j’aime l’aventure et les sabres. La scène de sortie de prison est un grand classique des films de yakuzas qui ouvre souvent le film. C’est un passage obligé pour tout yakuza, qui signe la fin de son « apprentissage ». Cette scène devait d’ailleurs être plus longue, on aurait dû voir que Shi et Saboro se croisent, sans se connaître.
La scène où ils se croisent était déjà écrite ?
Oui, même si dans la première version, le bar était très différent, beaucoup plus grand. Mais je me suis vite rendu compte que beaucoup de bars japonais étaient minuscules. D’où l’idée de les faire se rencontrer sans qu’ils se reconnaissent, encore une fois, en pissant devant le bar.
Survivre à une histoire de yakuzas
Tu développes aussi deux personnages féminins importants…
C’est important d’avoir ces deux personnages. Les personnages féminins ont tendance à mieux survivre aux histoires de yakuzas que les personnages masculins, ce qui permet parfois d’en montrer l’absurdité. C’était aussi important d’avoir deux personnages féminins forts pour apporter un contrepoint aux regards de Shi et Saburo.
Tu as du faire un travail de recherche assez important. Comment t’y es-tu pris pour restituer l’ambiance de la mafia ?
J’ai d‘abord braqué des médiathèques pour trouver le plus de films de yakuzas possible ! Ensuite, j’ai fait plein de recherches en bibliothèque, notamment sur des documentaires, sur l‘histoire des yakuzas qui me fascine. De manière générale, je suis resté curieux en permanence.
Au moment de Fukushima, j’étais bouleversé et l’une des premières infos que j’ai lu après la catastrophe, c’étaient des histoires de yakuzas qui avaient aidé la population de Fukushima, parce qu’ils étaient les premiers sur place. Puis d’autres yakuzas ont foiré ce geste en recrutant des personnes endettées comme liquidateurs sur la centrale.
J’ai compilé tout ça pour créer mes personnages, au fur et à mesure. Et puis j’ai remarqué que cette histoire soutenait bien le passage du temps. Donc après avoir appris mon métier en quelque sorte, j’ai pu finalement faire cet album, après des années à compiler des trucs sur le Japon.
Ta mise en scène et le rythme de l’album sont très particuliers, comment les as-tu travaillé ?
Une scène de Metropolis d’Otomo (adapté de Tezuka) m’a marqué : deux personnes sont en face l’une de l’autre autour d’un bureau. Au fur et à mesure des champs-contrechamps, la caméra recule, pour finalement révéler un poisson bleu géant dans l’aquarium, et c’est le plan le plus beau que j’ai vu de ma vie.
Je pense que dans ce genre d’histoire, il y a besoin d’effets. Il faut en mettre un peu plein la vue. FrankMiller, que j’adore,a changé de style à de multiples reprises ! Je voulais quelque chose de malléable, que la grille apparaissent de temps en temps, mais qu’elle ne soit pas trop présente. Une mise en scène attractive, surtout au service de l’histoire, pour l’appuyer. Quand Shi se prend une volée dans la rue, je veux qu’on la sente !
Graphiquement, ton style reste pourtant assez réaliste.
J’ai travaillé à partir de photos, celles que j’ai prises quand je suis allé au Japon, celles de copains, mais aussi des photos trouvées sur le net. Je travaille en numérique, donc c’est assez facile de prendre des photos et bosser sur les masses dessus, qui me permettent de voir comment je vais agencer mes décors rapidement. Mais j’avais aussi besoin d’un parti pris très « graphique », un style reconnaissable.
Tu t’es inspiré de figures réelles pour les personnages ?
Le nom de Kodama est très connu au Japon, c’est un peu l’équivalent d’Al Capone chez les yakuzas. En fait, j’ai procédé un peu comme dans Kill Bill, j’ai disséminé plein de références... Ceux qui les connaissent apprécieront je pense, et elles ne nuiront pas à ceux qui ne les comprennent pas.
Cet album c’est un peu ma lettre d‘amour aux films de samouraïs,de yakuzas, aux comics et aux mangas !
Quels projets pour l’avenir ?
J’ai deux albums prévus, un album sur la vie d’un boxeur et une série de trois tomes signée chez Le Lombard. Par la suite, c’est vrai que j’aimerais bien continuer l’histoire de Clan, mais j’ai attendu 13 ans pour publier cet album, donc je ne suis pas vraiment à la minute pour la suite !
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