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Ruben Pellejero et Juan Diaz Canales : « Corto nous survivra »

Après une si longue absence, Corto Maltese reprend du service. On en rêvait, on dissertait sur l’opportunité mais il était urgent d’attendre. Ce retour est le bébé d’un duo qui a courageusement pris le risque de succéder à Pratt, au moins dans l’esprit, et de redonner vie, avec talent, à un Corto très personnel. Rubén Pellejero et Juan Diaz Canales ont amené Corto Maltese faire un tour sous le soleil de minuit.

Une reprise en totale liberté

Quelles ont été vos contraintes pour reprendre Corto ? Il y avait un cahier des charges ?

Juan Diaz Canales : Aucune contrainte. Nous avons eu une liberté totale. Juan et moi sommes avant tout des créateurs. Il n’était pas question de faire une copie. Hugo Pratt a toujours tenu une place importante dans ma formation de scénariste. Je connais Corto par coeur. Cela dit je n’ai jamais fantasmé à l’idée de faire un jour un Corto Maltese.

Vous aviez rencontré Pratt ?

Juan Diaz Canales : Une fois, pour une dédicace. Je n’ai pas osé lui parler. J’étais très jeune.

L’action de votre album se situe en 1915, juste après La Ballade de la mer salée ?

Juan Diaz Canales : Oui, il existait un court synopsis écrit par Luca Romani, éditeur italien de Corto, qui m’a semblé intéressant. Quand Patricia Zanotti qui détient les droits de Pratt m’a proposé la reprise de Corto, j’ai embrayé sur ce premier jet de scénario. Cette date de 1915 était parfaite et permettait de respecter la chronologie. Ce qui ne sera peut-être pas le cas pour la suite.

Pour le dessin vous vous êtes beaucoup inspiré de Pratt, Rubén Pellejero ? Corto Maltese donne l’impression de se détacher dans vos cases ?

Rubén Pellejero : J’ai dessiné ma propre image de Corto en essayant de coller à la période de l’oeuvre qui me plaisait le plus. Mes recherches ont été une sorte de cocktail qui a abouti à ce que vous voyez aujourd’hui. Pratt a fait évoluer souvent le dessin de Corto.

C’est ma manière de raconter, très naturelle dans mes albums en général. Je n’ai pas imité Pratt. Je me suis servi par contre du noir à la Pratt pour des taches dans la caverne où se réfugie Corto. Pour la neige aussi, j’ai restitué une ambiance à la Pratt. Cela dit j’ai aussi fait des choses, dans les profondeurs de champs, que Pratt n’avait jamais faites.

Ecrire ce scénario a été compliqué ?

Juan Diaz Canales : Il fallait trouver le bon équilibre. Compliqué, oui. Quel intérêt de copier ? Le scénario a été long à écrire en particulier à cause du travail de documentation.

Rubén Pellejero : Le dessin est allé beaucoup plus vite.

L’aventure avant tout

L’action se passe dans le Grand Nord canadien. On y croise beaucoup de personnages dont certains qui ont existé, des Inuits dont un curieux guillotineur esquimau, des indépendantistes Irlandais, un savant espion du Kaiser ?

Juan Diaz Canales : Il fallait rester proche de l’ambiance d’une grande aventure, avec des personnages atypiques. J’adore prendre des personnages historiques, mélanger réalité et fiction. C’est un univers d’espaces sauvages dans la lignée de Pratt. Je voulais aussi que Sous le soleil de minuit puisse se lire indépendamment des autres aventures de Corto. Quant au fou de la guillotine, celui là, il est romancé. Il représente le contraste entre la raison et l’irrationnel.

Rubén Pellejero : Cet univers épuré et ces personnages étaient plus forts que la fidélité au trait. Et le Grand Nord était un décor formidable dont Pratt raffolait. J’ai voulu faire mon Corto sans être obsédé par la ligne Pratt. Je tenais aussi à ce que le noir et blanc prime. Les couleurs faites sur ordinateur ont d’ailleurs bien respecté mon trait, sans l’absorber.

Juan Diaz Canales : Les Inuits font encore partie à cette époque des cultures quasi-paléolithiques. Corto, sans être un écolo, défend ces mondes perdus qui vont disparaître. L’Alaska, le Grand Nord canadien sont la dernière frontière en 1915.

On meurt beaucoup dans votre album et on y découvre même une ambiance finale assez proche d’un western.

Juan Diaz Canales : Oui. On est dans un environnement violent aussi bien sur le plan climatique qu’humain. La ruée vers l’or n’est pas loin et c’est Jack London, ami de Corto, qui lui confie une mission fil rouge de l’album. Sans oublier le contexte européen où on se tue dans les tranchées au même moment.

L’album commence par un rêve. Corto sort du coma ?

Juan Diaz Canales : Le rêve est fréquent chez Pratt. Corto a été endormi pendant des années. Il est avec Raspoutine et le rêve est parfait pour servir de transition. Idem pour le poème qui sert d’introduction, un classique du genre pour Pratt. C’est son côté littéraire. Quant à Raspoutine, on le garde au chaud, c’est le cas de le dire.

Vous avez glissé des clins d’oeil dans l’album ? Et après cette balade dans le Grand Nord?

Rubén Pellejero : Juan n’a glissé qu’un clin d’oeil mais à la fin de l’album. Aux lecteurs de le découvrir.

Juan Diaz Canales : Cela ne sert à rien. Pour le futur, San Francisco sera peut-être le cadre de la prochaine aventure. A priori pas New York. On respectera les codes de Pratt. Des femmes mais pas de nudité, une violence plus suggérée qu’explicite come on l’a fait cette fois déjà.

Corto est un personnage tellement fort qu’il nous survivra et à d’autres aussi. Pratt a été très généreux de décider qu’on pourrait le reprendre après lui. On a respecté l’oeuvre de Pratt mais ce n’était pas une mission sacrée que de reprendre Corto.

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