Sur le devant de la scène pour son roman graphique Mauvais genre, Chloé Cruchaudet revient avec un très bel album jeunesse : La Poudre d’escampette. Elle nous raconte cette bande de gamins haute en couleurs ainsi que son amour pour le bricolage !
Difficile d’écrire pour les enfants
Comment est né ton premier album pour les enfants ?
Chloé Cruchaudet : Il a été créé pour la collection Enfants gâtés, que Grégoire Seguin a lancé chez Delcourt. J’ai puisé dans les histoires que je pouvais me raconter quand j’étais petite. J’étais une enfant qui adorais construire des choses de mes mains. J’ai donc simplement rassemblé toutes mes lubies d’enfant et ai réutilisé pas mal d’autres choses qui m’ont marquée ou fait rire… Par exemple, mon compagnon adore les gadgets pour partir dans des expéditions de survie, d’où les éléments un peu foufous qu’a Paul dans son short !
Je voulais aussi que les enfants soient retranchés du monde des adultes. Normalement une cabane au fond du jardin suffit pour cela, j’ai juste poussé le concept un cran plus loin : la cabane est immense, a un étage et elle peut voguer sur l’eau !
Quelles œuvres avais-tu en tête pour créer cette aventure ?
Sa majesté des mouches m’a beaucoup fascinée. Ce livre, beaucoup plus dur que la Guerre des boutons que j’avais aussi adorée étant enfant, pose la question de comment les enfants créent une société. Mais je n’ai pas voulu plonger dans le côté noir de cette œuvre. Il y a aussi les films de Luigi Comencini et Les 400 Coups de Truffaut ! Ils donnent un regard particulier sur l’enfance : on ne montre pas que des enfants angéliques, sages…
Le format de 22 pages était une contrainte ?
J’ai dû mettre de côté plein de choses, contrainte que je n’ai pas quand je fais des romans graphiques ! J’aurai bien aimé aussi insister sur le temps de préparation et ses bricolages avant la mise à l’eau de la cabane, histoire de donner encore plus de suspense lors de largage des amarres !
As-tu changé ta manière d’écrire pour t’adapter à un public d’enfants ?
C’était très difficile, mais j’ai dû me censurer pour plein de choses, ce que je ne fais pas du tout pour mes livres adultes : j’avais inventé plein de blagues, très drôles, que j’ai laissé tomber car elles faisaient référence au physique. Je ne voulais pas que les gamins se disent que c’est bien de se moquer du physique de leur copain.
Pour le physique même des personnages, je ne me suis pas beaucoup censurée. Mais je me suis posé beaucoup de questions sur la lisibilité : les enfants sont-ils capables d’intégrer tel découpage ou ellipse temporelle ? J’ai finalement choisi une unité de temps et de lieu, pour faciliter la lecture.
Tu as aussi changé de technique de dessin…
J’ai travaillé au crayon de couleur pour la première fois ! Comme on ne peut pas l’effacer, il faut bien réfléchir à ce que l’on fait avant de se lancer dans le dessin, ce qui pousse vers une sorte de fraîcheur !
Le crayon de couleur donne aussi de la matière au décor, chose qu’on ne peut pas avoir avec des aplats à l’ordinateur. En passant plusieurs couches de crayon, le résultat n’est pas réaliste mais on a envie de plonger dans les buissons ou dans l’eau, il y a une réelle profondeur !
D’ailleurs on croit vraiment à ces bouilles pas réalistes !
L’humain a une capacité folle de voir un visage à partir d’une boule et deux trous ! En partant de cela, on peut s’amuser et faire des choses décalées. J’ai adoré de faire des tout petits membres à mes personnages, comme des insectes. J’ai fait pas mal de dessin animé, où le plus dur à rendre est justement le côté désordonné des mouvements enfantins ! Comme ils sont toujours en train d’agiter les bras et les jambes dans tous les sens, avec cette dégaine je pouvais les animer sur le papier sans me poser de problème d’anatomie !
Loin des stéréotypes, près des souvenirs
Revenons à tes personnages : le duo Paul et son chien Paulette pour commencer…
Souvent dans la fiction, un des deux personnages du duo, l’élément perturbateur, fait démarrer l’aventure. Là c’est Paulette, l’Obélix de Paul ! Ce gros chien, qui ne ressemble pas à un animal, est inspiré du chien de mes parents. Il est énorme, sent très mauvais et est magnifique ! Je voulais absolument le mettre dans une de mes histoires.
Quant à Paul, c’est un drôle de héros, avec son short à poches qui ressemble à une jupe et ses lunettes…
Je voulais que sa dégaine lui donne l’air du « boloss » à qui on jette des cailloux à la récré. Mais grâce à son imagination et ses lubies, il arrive à se faire accepter par la bande ! Il fallait qu’on le reconnaisse de très loin, d’où ce short pyramidal. Paul a des lunettes mais ses gadgets sont ceux d’un aventurier ! C’est un aventurier sérieux, très appliqué mais un aventurier avant tout. J’aime bien qu’il n’y ait pas de stéréotypes dans la fiction, que les personnages aient du caractère ou soient même bizarres.
Le duo Boulon, la cheffe du groupe et Scotch, l’amoureux transi, est aussi plein de caractère !
Le personnage du capitaine du bateau, Boulon, c’est exactement ma petite nièce, qu’on surnomme comme ça. Scotch, lui, est né parce que j’ai beaucoup pensé à un amoureux transi que j’avais petite [Rires]. Je pensais qu’à jouer à la bagarre et il y avait un garçon qui voulait me faire des bisous tout le temps : ça m’ennuyais profondément. Et maintenant je lui rends hommage !
Tu rends aussi beaucoup hommage à l’émerveillement de l’enfance…
Avant ce livre, j’avais travaillé sur Ida, l’histoire d’une voyageuse qui part en Afrique au XIXe siècle. J’avais lu plein de récits de voyageurs de ce siècle, qui sont un peu naïfs et totalement émerveillés. Cet émerveillement un peu benêt du voyage m’a toujours touchée. Les enfants ont dû faire 100 mètres sur leur bateau mais c’est déjà des contrées inexplorées pour eux. C’est merveilleux de voir le monde avec ces yeux-là !
Ils pensent aussi voir des créatures magiques dans la rivière !
Toute mon enfance mon papa répondait à mes questions en inventant des histoires farfelues ! Comme j’étais un peu bébête, j’ai cru pendant assez longtemps à des choses bizarroïdes qu’il m’avait racontées !
Ces histoires de sirènes et de fées au ton très humoristique et décalé viennent de là ! L’histoire des sirènes par exemple permet d’apprivoiser le monde : s’il y a de l’eau et des sirènes dedans, ils peuvent les approcher mais pas leur marcher dessus. Ils restent donc sur le qui-vive. Pour l’anecdote, mon père m’avait raconté qu’un endroit du jardin, très dangereux, était habité par des fées et si je croisais leur regard je mourrais ! C’était une bonne idée pour éviter que j’y aille sauf ça n’a pas marché : j’y allais les yeux fermés ! Donc c’était encore plus dangereux ! [Rires]
Et toi, quel message voulais-tu donner aux enfants avec cette histoire ?
J’adorerais que ce livre leur donne envie d’utiliser leur imagination au maximum pour créer des choses. D’où la maquette de la cabane à construire en fin d’album ! En fait, mon fantasme ultime serait que les enfants réalisent leur propre bateau/cabane en papier. Je veux donner envie aux garçons comme aux petites filles, de faire des choses avec leurs mains et de bricoler !
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