Le réalisateur du documentaire Lucky Luke, La Fabrique du western européen disponible en avant-première sur zoo, Guillaume Podrovnik raconte comment il a conçu son film de 52 minutes. Petit tour d’horizon des questions qu’un réalisateur se pose quand il s’agit de retracer 70 ans de BD autour du cow-boy qui tire plus vite que son ombre.
Faire un documentaire, réaliser des choix
Comment êtes-vous arrivé à la réalisation de ce documentaire sur Lucky Luke ?
Guillaume Podrovnik : J’ai réalisé un premier documentaire sur Pif et Gadget : la société de production m’avait contacté car j’étais dessinateur de presse à Hong Kong et que j’ai aussi réalisé une BD donc je connais déjà le neuvième art. Cette même société de production m’a demandé si j’étais partant pour réaliser un documentaire sur Lucky Luke, ce que j’ai accepté de suite !
Comment avez-vous choisi la manière de parler de cette série ?
Guillaume Podrovnik : A priori je fais des films plus politiques, alors comment aborder cette série BD tout public ? En faisant des recherches, je me suis rendu compte très vite que Lucky Luke s’inscrit dans son époque : le plan Marshall, la guerre froide et tout le fantasme autour du mythe américain.
Après un long temps de maturation, je me suis attaché à l’idée de ce Far West comme nouvel horizon rêvé : comment des auteurs font du western alors qu’ils sont européens ? Lucky Luke n’est pas le seul cow-boy de la BD mais il est traité de manière si cinématographique et parodique que cet angle me semblait important. On sent qu’ils se réapproprient un mythe qui n’est pas issu de leur culture ! Il m’a permis de faire le tri entre ce qui me semble indispensable et ce dont je pouvais me passer.
L’étape d’après est le choix des intervenants qu’on veut interviewer. Lors de l’entretien les idées pressenties peuvent soit se confirmer, soit mener dans une impasse : on réajuste donc après les entretiens, qui ouvrent même des nouvelles pistes.
Ensuite comme on a que 52 minutes de documentaire, il faut très vite faire un travail de choix drastiques. On ne peut pas traiter l’ensemble des éléments qui constituent une série qui s’étend sur 70 ans ! Et le dernier critère qui intervient dans les choix et les coupes est la présence ou non d’archives. Comme on crée un film, il faut absolument un support visuel pour porter les idées ! Lors du montage qui construit le documentaire, on réajuste selon tous ces critères et le film se met en place un peu « naturellement ».
Et pourquoi ne pas mettre en avant les personnages secondaires comme Ma Dalton ou Calamity Jane par exemple ?
Guillaume Podrovnik : On voulait dès le départ évoquer la place des femmes dans cet univers d’hommes. Calamity Jane et Ma Dalton sont deux personnages dont j’avais énormément envie de parler mais on a dû trouver le bon équilibre car si on parle d’elles pourquoi le juge Roy Bean et ainsi de suite ! Le nombre de personnages secondaires dans Lucky Luke est tellement important qu’on a choisi de se servir de certains personnages comme d’exemples génériques et de rester centrés sur le personnage central : Lucky Luke.

La saga Lucky Luke, de la BD aux dessins animés
Comment avez-vous abordé l’animation des cases de Morris ?
Guillaume Podrovnik : À mes yeux, la BD est ce qui passe le plus mal à l’écran : c’est de l’image fixe, le film attend de l’animé, un format de planches vertical alors que l’écran est horizontal... On a cherché des moyens de contourner le problème et on en a pas trouvé trente-six ! J’ai travaillé avec la même équipe que sur Pif, l’envers du gadget. On a utilisé le même système d’animation des cases en le transformant un peu.

Finalement notre mise à l’écran est malhonnête par rapport à l’œuvre originale : on choisit certaines cases, on enlève des bulles ou on en met en avant d’autres... Ces choix de visuels respectent bien sûr l’esprit de l’œuvre originale même s’ils sont faits pour des contraintes techniques liées au format. En plus il faut tenir compte de notre diffusion sur Arte : le texte doit être visible trois secondes en français, trois secondes en allemand, donc il faut surtout qu’il ne soit pas trop long !
Pour animer les cases, on ajoute aussi des bruitages qui correspondent : des bruits de rires, de tirs, etc. Et bien sûr on ne s’est pas privés de montrer des images des adaptations de la BD en dessins animés ou en films !
On voit aussi comment la série BD a vu le jour…
Guillaume Podrovnik : Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce documentaire, la partie sur le travail de création n’était pas prévue car c’est a priori quelque chose qui m’intrigue moins. Souvent dans les documentaires sur les dessinateurs, on les voit dessiner en accéléré et j’ai horreur de ce procédé ! Je ne vois pas l’intérêt de ces images mais peut-être est-ce dû au fait que je sois dessinateur.

J’ai intégré au documentaire le récit de la création de Lucky Luke notamment à cause de la lecture de L’Art de Morris. Ce livre m’a montré à quel point c’était important de traiter cet aspect de la saga, qui part quand même de Morris qui survit à son enfance dans la triste et grise Flandre Occidentale grâce à ses rêves de Far West !
Est-ce que votre regard sur Morris a changé suite à ce documentaire ?
Guillaume Podrovnik : Et comment ! En tant que lecteur, mon regard sur Lucky Luke a changé du tout au tout, car comme beaucoup, je ne me rappelais plus grand chose de ces albums à part que c’était sympa. J’ai redécouvert une œuvre pour la jeunesse de très bonne facture qu’on prend plaisir à relire en famille.
Et comme dessinateur, on est nombreux à s’être dit au festival d’Angoulême à quel point Morris nous a influencés inconsciemment. Il n’a pas un dessin qu’on remarque, surtout quand on est enfant. On s’était fait la remarque avec Jean-Christophe Menu que, petits, nous essayions surtout de recopier les dessins de Franquin dont le génie se voit tout de suite. Il a un dessin complexe avec une profusion de traits vraiment étonnante. Alors que le trait de Morris se remarque moins au premier abord, il est tellement au service de la mise en scène que son dessin se met en retrait. C’est uniquement en étant attentif qu’on se rend compte de la qualité et de la spécificité de son dessin !

Morris et Goscinny en pleine élaboration du dessin animé des années 70
Avez-vous d’autres projets de documentaire BD ?
Guillaume Podrovnik : Pour l’instant rien de concret. Sur la BD jeunesse, la loi de 1949 qui pose les bases de la censure sur les publications jeunesse m’intéresse beaucoup car elle est déterminante pour la création et dit plein de choses sur ce qu’une société envisage pour l’éducation de ses futurs citoyens. Mais ce sujet est impossible à vendre aux chaînes de télévision !
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