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Little Nemo à l’école de la BD

Eric Dérian, auteur de BD et professeur à l’Académie Brassart-Delcourt, nous raconte comment fonctionne cette école de bande dessinée et surtout comment est né l’album issu de travaux d’élèves de la première promotion.

La BD ça s’apprend…

Comment êtes-vous arrivé à l’enseignement de la BD ?

Eric Dérian : Après des études d’arts plastiques et de bande dessinée durant lesquelles j’ai participé à beaucoup de fanzines, j’ai publié mon premier album aux éditions Glénat en 1998.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Echo par Hermeline Janicot-Tixier

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Echo par Hermeline Janicot-Tixier

J’ai eu l’occasion depuis de travailler à de nombreux postes dans l’élaboration d’une bande dessinée : dessinateur, coloriste puis scénariste, pour des projets de création, sous licence ou en communication, en livres ou dans des magazines et j’ai aussi été assistant éditorial dans des petites structures comme Le Cycliste et Triskel... J’ai depuis allongé ma bibliographie d’une trentaine de titres.

Je me suis aussi passionné pour la diffusion de bandes dessinées en ligne en animant dans un premier temps un blog en 2003, puis en créant successivement le Festiblog ou les 23 Heures de la BD.

Quel est votre poste au sein de l’Académie Brassart-Delcourt ?

J’ai pris la direction de l’Académie à sa création, au cours du premier semestre 2014. J’en assume la direction pédagogique, puis la direction administrative depuis cette année. J’y anime aussi des cours de... bande dessinée !

Comment se passe une journée type dans cette école ?

Cette école propose un cursus de trois ans pour préparer de jeunes aspirants auteurs aux métiers de la bande dessinée.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Progressive par Kévin Roversi

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Progressive par Kévin Roversi

La première année fait le tour des fondamentaux du métier en reprenant tout à la base : dessin d’observation, perspective, histoire des arts et surtout, la narration, véritable colonne vertébrale d’une BD.

La seconde année se consacre à l’approfondissement des acquis et à l’initiation à d’autres capacités, puis la troisième année propose aux étudiants de se spécialiser avant de se professionnaliser.

Une « journée type » se déroule en deux séances de 3 heures et se partage sur les différentes matières, comme dans une école « normale », en cours théoriques ou travaux dirigés en atelier. Mais beaucoup de choses se transmettent aussi en dehors des plages de cours, le soir où les salles de l’Académie restent ouvertes, comme pendant les périodes de vacances scolaires où certains étudiants aiment venir développer leurs travaux ou simplement discuter.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Madness par Aurore Dechilly

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Madness par Aurore Dechilly

Nous recevons aussi régulièrement des intervenants professionnels, notoires et en activité : par exemple Alain Ayroles est dernièrement venu se pencher, bienveillant, sur les travaux des étudiants... La liste est déjà longue, depuis deux ans et elle ne s’arrêtera pas là !

Et chaque année est parrainée…

Le parrain suit d’un œil attentif chaque étudiant tout au long des 3 ans de son cursus : nous comptons actuellement, parmi ces grands aînés, Zep, Arthur De Pins et Patricia Lyfoung. Et le prochain parrain de la promotion 2017-2020 sera Wilfrid Lupano, qui vient d’accepter cette louable mission !

Grâce à notre partenariat avec le groupe Delcourt-Soleil nous publions un recueil de travaux des étudiants : le premier album de cette collection est Little Nemo in Bédéland, et la diversité comme la qualité des travaux qui y sont reproduits ont déjà été remarquées. Ces graines d’auteurs ont fait la fierté de leurs formateurs !

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Regrets éternels par Jean-Baptiste Bagur

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Regrets éternels par Jean-Baptiste Bagur

Un recueil tremplin

Comment y préparez-vous les élèves à entrer sur le marché de la BD ?

Tout participe à ce but ! Exercer un métier créatif dans le secteur de la bande dessinée dépasse très largement le dessin. D’un point de vue artistique, nous travaillons évidemment cette capacité, mais nous nous concentrons avant tout sur les manières de raconter.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Slumberless par Charlotte Vermesch

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Slumberless par Charlotte Vermesch

Le dessin ne s’acquiert pas que dans la pratique, mais aussi dans le ressenti : c’est dans cette optique que nos étudiants font de l’expression corporelle (théâtre, danse, yoga, clown...) pour travailler, en plus de leur sens de l’observation, le « regard intérieur ».

Mais comprendre la BD, c’est aussi une histoire et un héritage, dont les étudiants font le tour en histoire des arts, mais aussi en cours d’expression écrite et orale ou celui d’expression anglaise. Et puis c’est avant tout un métier, et nous encourageons les étudiants à aller faire des stages chez des professionnels : des auteurs, en premier lieu, mais aussi des éditeurs, des libraires, d’autres métiers où le dessin est au cœur de l’activité...

En fin de cursus, on complète ces connaissances par des cours de lecture de contrat, de négociation, une formation sur les questions légales de facturation, déclaration, les droits des auteurs...

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Nemo in Slumbarbès par Mona Dumoulin-Minguetpar Charlotte Vermesch

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Nemo in Slumbarbès par Mona Dumoulin-Minguet

Comment la création de cette BD s’est-elle passée ?

Dans l’ensemble, plutôt bien ! La pression était forte : les élèves ont été supervisés pendant toute la réalisation de leurs récits par Marion Amirganian, éditrice chez Delcourt, et par les formateurs concernés par ce projet, Mathias Corroyer, Gaël Denhard et moi-même.

Le thème leur a été imposé, mais présenté sous plusieurs angles : graphique, historique, narratif, avec le plus de références possibles dans chacune des matières pendant deux semaines. Il n’était pas question d’attaquer un univers comme celui de Little Nemo en surface, tant l’empreinte de Winsor McCay aurait pu être étouffante ! Il fallait que chaque étudiant s’approprie le sujet.

Chaque récit faisant entre six et huit pages, il leur a fallu cinq semaines de travail individuel avant de présenter leur histoire à un comité éditorial, qui a renvoyé quatre récits à retravailler, pour finalement n’en éloigner qu’un seul.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Moen in Slumberdoll par Marine Derache

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Little Moen in Slumberdoll par Marine Derache

Qu’ont-ils pensé de leur album une fois dans les mains ?

Je pense qu’ils sont encore aujourd’hui assez fiers, même si certains d’entre eux – et c’est bon signe – ont du mal à revoir leurs planches : ils ont progressé depuis. La promotion suivante, cornaquée par Arthur De Pins, est impatiente d’en découdre et se lancera bientôt dans la réalisation du second opus, dont le thème reste encore secret...

Quels sont les prochains projets des élèves de l’académie ?

Finir l’année, déjà, et couronner nos premiers diplômés ! Puis un second recueil qui sera bientôt mis en route, un nouveau local dans le 11ème arrondissement de Paris, des projets de publications alternatifs... Les perspectives ne manquent pas !

Que retiens-tu de cette expérience ?

Il est encore très tôt pour tirer la moindre conclusion...

J’ai moi-même été étudiant dans une formation en bande dessinée, et j’avais été très déçu par cette expérience, où le leitmotiv semblait absurdement être « La BD, ça ne s’apprend pas ». Et ce n’est pas la seule ! Et c’est en grande partie sur cette frustration que j’ai décidé de m’engager dans cette nouvelle voie, qui m’est en fait un projet de longue date et qui n’attendais que cette occasion.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Brosse à chiotte in Slumberland par Kévin Gasnier

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Brosse à chiotte in Slumberland par Kévin Gasnier

En premier lieu, ce qui me satisfait aujourd’hui, c’est que le projet pédagogique que j’ai mis en place semble fonctionner, avec l’aide de mes nombreux collaborateurs à l’Académie. La BD, ça peut s’apprendre... Le secret n’est pas sorcier : il suffit simplement d’avoir de bons formateurs !

Mais les réalités de notre métier ont bien changé entre l’époque où je me suis lancé et aujourd’hui, où mes étudiants devront affronter un milieu plus agressif, moins accueillant que par le passé. Je suis très confiant sur les qualités de nos futurs diplômés, et je suis persuadé qu’ils seront mieux armés que n’importe quel autre auteur débutant. Mais tout cela reste encore à prouver, à éprouver sur le terrain.

Je ne serai satisfait que lorsque ceux qui se seront lancés dans ce métier auront entre 2 et 5 albums derrière eux, et vivront de ce métier alors que la précarité n’y a jamais été aussi forte. Là, je pourrai dire « C’est gagné ! ». En attendant, c’est à mes étudiants de faire leurs preuves.

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Voyage au bout du rêve par Mael Keravec

Extrait de Little Nemo in Bédéland : Voyage au bout du rêve par Mael Keravec

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