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Sylvain Venayre : « Milady, c’est James Bond en femme ! »

Sylvain Venayre, professeur d’histoire à l’université Grenoble-Alpes et scénariste, propose une relecture des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas du point de vue de Milady de Winter. Un éclairage intéressant qui remet en cause l’impartialité de l’œuvre originelle.

Après L’Île au trésor de Stevenson, vous vous attaquez à un pilier de la littérature classique du XIXe siècle. Pourquoi Les Trois Mousquetaires ?

Sylvain Venayre : C’est après avoir lu Pierre Bayard, créateur de la critique interventionniste, que j’ai eu envie de relire le roman de Dumas en prenant au sérieux l’hypothèse selon laquelle le récit s’appuie sur les mémoires du comte de La Fère, alias Athos, et qu’il ne relate donc pas les faits de manière omnisciente et impartiale. Il n’a pas menti, mais il a pu cacher des choses. Notamment lorsqu’il s’agit de son épouse Anne de Breuil... qui deviendra Milady de Winter.

Vous êtes historien, spécialiste de l’histoire culturelle du XIXe siècle : la théorie que vous explicitez en préface, selon laquelle la fin du roman serait à éliminer, est donc à prendre au sérieux ?

Toute la démonstration est sérieuse. Les derniers chapitres du roman de Dumas (60 à 67) sont à éliminer, car ils ne contiennent plus aucune référence à l’histoire politique du XVIIe siècle, et qu’ils multiplient les invraisemblances. Ce qui tend à prouver que les faits qui y sont racontés ne sont pas réels : en revenant d’Angleterre, Milady ne s’est pas précipitée au couvent de Béthune, après avoir volé - sur ordre de Richelieu - deux ferrets de diamants au duc de Buckingham. Elle n’a pas assassiné Constance Bonacieux [la logeuse pour qui d’Artagnan avait un faible N.D.L.R.], pas plus qu’elle n’a été exécutée par les mousquetaires... Tout ceci justifie que l’on réécrive l’histoire du point de vue de celle qui a vécu ces faits, à savoir Milady elle-même.

N’est-ce pas trahir Dumas ?

Mis à part quelques scènes que l’on invente, cette BD permet au contraire de faire ressortir des éléments qui apparaissent dans l’histoire d’Alexandre Dumas. Par exemple, lorsque Milady dit de d’Artagnan qu’il est « une lame vivante », c’est dans l’œuvre originelle. De même, dans le roman de Dumas, Milady ne dit jamais vouloir tuer Constance Bonacieux. Elle n’est certes pas contre le meurtre, puisqu’elle veut faire assassiner le duc de Buckingham, mais il s’agit là de servir les intérêts supérieurs de l’État. Milady, c’est James Bond en femme !

Adapter un tel pavé en bande dessinée, n’était-ce pas une mission périlleuse ?

Non, car il s’agissait de n’utiliser que les scènes du roman où intervient Milady, qui sont au nombre de trois. Nous avons d’ailleurs utilisé le rythme tertiaire cher à Dumas en découpant le récit en trois actes.

Crayonné de Milady

Crayonné de Milady

Faut-il selon vous avoir lu le roman avant de se plonger dans cette version alternative ?

Pas forcément... De toute façon, je me suis aperçu en préparant cet album que les gens connaissent Les Trois Mousquetaires surtout par les films ! Quant à la question de savoir si une BD peut amener au roman... nous en discutions récemment avec Etienne Davodeau [les deux auteurs ont publié ensemble La Balade nationale N.D.L.R.]. Nous sommes arrivés à la conclusion que si l’on veut prendre la bande dessinée au sérieux, elle ne peut pas être un marchepied pour arriver au roman. Et si les lecteurs du roman ont envie de découvrir une autre nourriture avec Milady, tant mieux !

C’est votre première collaboration avec le dessinateur Frédéric Bihel, comment cela s’est-il passé ?

Très bien, d’autant que Frédéric a une très bonne connaissance des Trois Mousquetaires. Avant même de s’atteler à l’album, il avait toutes les scènes en tête et connaissait toutes les adaptations cinématographiques ! Au départ l’album était prévu en couleurs, mais finalement nous avons décidé que le noir et blanc [sépia] correspondait bien au projet, d’autant que Frédéric a travaillé à partir de gravures du XVIIe siècle. Cela se voit dans son dessin, avec tous ces traits qui rappellent la gravure sur bois et sur métal. Et pour les flash-back, il a utilisé des tons plus sombres. Le résultat est assez bluffant !

Que penserait Alexandre Dumas de votre version alternative ?

Il serait très content que je lui attribue la paternité des Trois Mousquetaires, à l’exception des chapitres 61 à 67, écrits par l’homme de lettres Auguste Maquet. Alors qu’en réalité, il est vraisemblable que les deux hommes ont collaboré à l’écriture de l’ensemble du roman !

Extrait de Milady
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