Pour la première fois, Pénélope Bagieu, l’autrice des Culottées, saute le pas de la littérature jeunesse. Vous aviez découvert Sacrées Sorcières en 3 questions dans Zoo le mag papier, voici l’interview complète !
Pourquoi adapter le roman Sacrées Sorcières de Roald Dahl ?
Pénélope Bagieu : C’est mon premier souvenir marquant de lecture, parce que j’ai eu très peur. Avant lui, je pensais ne pas trop aimer la lecture. Après Sacrées Sorcières, j’ai recherché plein d’autres livres qui faisaient peur.
J’adore Roald Dahl parce qu’il ne prend pas les enfants pout des idiots et s’autorise à raconter que les adultes peuvent être méchants avec les enfants, ce qui peut mal finir. Quand j’étais petite, j’avais l’impression qu’on parlait à une part de moi qui était plus intelligente et qui disait : « voilà, je le savais qu’il y a plein de vrais dangers ! »
Des sorcières féministes ou misogynes ?
Lorsque la grand-mère raconte à son petit- fils comment reconnaître une sorcière, je présente les deux pans de cette figure. D’un côté la grand-mère, indépendante, forte, qui sait se faire entendre et fume des cigarillos : elle raconte qu’elle-même aurait sûrement été brûlée à une époque pour sorcellerie, vu qu’elle ne rentrait pas trop dans le moule du patriarcat. De l’autre côté, on a le vrai personnage de conte avec ses griffes, ses pieds carrés... la sorcière qui fait peur. Même si ses caractéristiques sont tirées d’un regard misogyne sur les femmes indépendantes, je crois qu’il est important de conserver ces figures terrifiantes de contes et de les contextualiser. D’où ce récit de sorcières, qui ne se prive pas de mettre un petit taquet au patriarcat ! [Sourire]
Comment dessine-t-on une vraie sorcière ?
Les sorcières de Roald Dahl sont pour moi des créatures qui essaient de mimer les femmes mais elles n’y arrivent pas du tout. Elles ont des coiffures extraordinaires qui ressemblent à des pâtisseries, des robes de maman américaine des années 50 : je les conçois comme si elles avaient lu une notice pour être une femme mais qu’elles n’en avaient jamais vu.
Je me suis éclatée à dessiner leurs perruques et leurs ratés, qui les rendent un peu grotesques quand on les repère. C’est important que les personnages terrifiants soient aussi risibles : ça permet de relativiser la frayeur…
Comment faire pour éviter de croquer le récit comme Quentin Blake ?
J’ai toujours eu en tête une version à moi de l’histoire, avec mes personnages et leurs propres physiques pour Sacrées Sorcières. J’ai donc été assez peu conditionnée par les illustrations de Quentin Blake pour ce récit, alors que pour Mathilda par exemple, je visualise tous les personnages sous les traits que Blake leur donne.
Comme j’étais très proche de ma grand-mère, comme le héros, j’ai immédiatement adoré le binôme de héros de ce récit. La mamie est tellement charismatique que ma version tourne quasiment autour d’elle. Surtout que petite, j’imaginais bien ma propre grand-mère capable de me protéger de tout : celle de la BD, c’est ma grand-mère. Elle adorait les imprimés léopards, avait souvent du rouge à lèvres sur les dents, des bagues qui griffaient alors qu’elle me tripotait les joues. Elle était toute petite et on n’avait pas envie de la faire chier pour autant. [rire]
Cette grand-mère est fondamentalement cool : elle a peur de rien, elle fait plein de choses en dehors des clous en tant que parent. Elle laisse son petit-fils aller à une mort quasi-certaine, ne l’oblige pas à prendre des bains... Mais elle est évidemment rattrapée par la panique : il est tout petit cet enfant, encore plus lorsqu’il a rencontré les sorcières ! Elle doit s’occuper de cet enfant mais elle aussi c’est une gosse... mais ils sont deux contre le monde entier et c’est leur force.
Et pourquoi avez-vous évacué toutes les références aux origines scandinaves du héros ?
Il aurait été artificiel de maintenir ces éléments du roman d’origine, car ils sont 100 % sont liés aux origines de Roald Dahl, qui est à moitié norvégien. Dans mon récit, l’histoire se passe de nos jours, donc je préférais mettre en avant le regard contemporain qu’on a sur les sorcières.
Et vous avez également transformé un personnage secondaire…
Le personnage secondaire originel n’apportait pas grand-chose à ce que je voulais raconter : les enfants sont malins et peuvent se débrouiller sans les adultes. D’où sa transformation en un personnage féminin supplémentaire dans le roman, car je ne pouvais pas m’imaginer faire ce dont j’ai souffert toute mon enfance : être obligée de m’identifier à un personnage masculin quand je lis un livre. Donc je voulais laisser la possibilité aux lectrices et aussi aux lecteurs de s’identifier à cette fille qui est super cool.
Je voulais qu’elle ne soit pas simplement un sidekick rigolo qui aide à ouvrir des portes : je voulais qu’elle soit courageuse, bonne et qu’elle ait son caractère. J’étais vraiment très attachée à ce personnage, qui était vraiment ma seule grosse demande aux ayant-droits de Roald Dahl, qui devaient valider l’histoire avant que je la dessine.
On voit aussi au fil des pages votre amour pour les maisons londoniennes…
Il y a eu un bref moment dans ma vie étudiante où j’ai vécu à Londres et il y a une chose qui m’a fait tomber amoureuse de cette ville : son noir et blanc. On n’a pas peur de faire des briques noires, des cheminées noires, de la ferronnerie gris-noir : j’adore ! J’ai fait des carnets de croquis à l’infini, pour essayer de comprendre pourquoi c’est si beau. J’ai dessiné de la brique, des tuyaux des entrées de porte des escaliers, des fenêtres à guillotine. C’était un gros bonheur d’en faire plein dès qu’une scène extérieure pointe le bout de son nez…
Pareil pour l’hôtel kitsch de Brighton avec ses faux palmiers, l’extérieur exotique comme un palais et l’intérieur un peu froid et standard : un vrai hôtel de la côte de Brighton. Comme la grand-mère de mon récit est encore plus déjantée, ce n’est pas hôtel balnéaire mais dans un casino !
Avez-vous pris goût aux récits jeunesse ?
Je n’ai pas pris goût à l’adaptation en tout cas : il n’y avait que celle là que j’avais envie de faire ! Et c’est cette envie qui m’a poussée à faire de la jeunesse, car c’est un genre qui m’intimidait beaucoup trop pour que j’essaie. Maintenant que je suis rassurée avec cette histoire déjà testée et validée par des milliers d’enfants, peut-être que je ferai un autre titre pour les enfants. Je suis tellement admirative des gens qui écrivent bien pour les enfants, car c’est un tel équilibre de jongler entre ne pas faire des choses qui s’adressent plutôt aux parents et ne pas faire des choses qui prennent les enfants pour des idiots.
J’ai aussi pris confiance car, ce n’était pas prévu, mais j’ai eu un lectorat très jeune avec les Culottées, que j’ai beaucoup rencontré. J’avais pas du tout écrit pour eux mais ils ont aimé et compris, donc il fallait peut être pas prendre le problème dans le sens : comment écrire pour les enfants mais plutôt se dire il y a peut être des enfants qui vont lire ce que j’écris et pas les laisser sur le bord du chemin. Plein de petites étapes m’amènent enfin à désacraliser la littérature jeunesse !
Mais il y a une telle responsabilité quand on écrit pour les enfants : j’ai tellement lu certains livres que j’ai aimés petite qu’ils m’ont formaté. Il faut peser chaque mot ! Bien sûr, on écrit plus légèrement quand on ne pense pas à ceux qui vont nous lire. Mais c’est un devoir quand on sait que des enfants nous lisent.
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