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Robert Capa, sa peau au bout des photos

Florent Silloray s’est lancé sur les traces du plus mythique des reporters de guerre, Robert Capa. Avec ses photos du 6 juin 44 à Omaha Beach, celle du milicien abattu devant lui pendant la Guerre d’Espagne, Capa est le créateur du photojournalisme. Capa, l’étoile filante, est un biopic à la fois précis, romanesque, humain. Capa doute, aime et met sa peau au bout de ses photos.

La vie de Robert Capa en BD est une première. Florent Silloray, qui avait déjà mis en images les souvenirs de captivité de son grand-père dans Le Carnet de Roger, a choisi Capa un peu par hasard : "J’ai lu en 2012 Waiting for Capa, mélange de roman et de biographie sur le photographe et sa compagne, photographe elle-aussi, Gerda Taro. Cela m’a semblé incroyable que personne n’ait traité le sujet en BD." Silloray se lance dans l’aventure. "J’ai cherché comment raconter son histoire. Comme la documentation, sa collecte, est ma marotte, j’étais servi. Il en fallait beaucoup". Commencent aussi les contacts avec d’une part Magnum, l’agence fondée par Capa, et aussi les ayants droits représentés par ICP (International Center of Photography). "Chez Magnum ils n’ont pas été intéressés par une coédition alors qu’ils ont travaillé ensuite avec une autre éditeur pour les photos du débarquement" [Omaha Beach, 6 juin 1944 par Morvan et Bertail, Dupuis-Magnum Photos, NDLR]. Par contre aucun problème avec ICP : "On a envoyé un synopsis, des planches. Ensuite ils nous ont donné toute liberté, sans relecture". Mais Silloray a fait très attention au cadrage des photos reproduites : "Je me suis servi du contre-champ montrant Capa en train de les prendre. Plus simple pour les droits".


GERDA TARO, L’AMOUR DE SA VIE

Le couple formé par Capa et Garda Taro est le fil rouge du biopic. Gerda Taro a créé Capa comme le raconte Silloray. Elle trouve son nom au début des années 30, vend ses photos. Lui la forme à la photo de guerre. L’élève rejoint vite le maître. Ils couvrent la guerre d’Espagne dès 1936. Taro se fait tuer. Jamais Capa ne s’en remettra. Il est dépressif, prend des risques insensés. Il souffre de ce qu’on appelle aujourd’hui un syndrome post-traumatique. Il verra tout au long de sa carrière tellement d’horreurs que cela n’arrangera rien. Capa est en Italie en 1943 avec les paras US, à Omaha, en Hollande. Il est un survivant. Toujours plus près du sujet, encore plus près. Il ne part pas pour la guerre de Corée en 1951, mais accepte d’aller en Indochine en 1954. Il remet son titre de plus grand photographe de guerre en jeu. Et il meurt en sautant sur une mine au Vietnam après Dien-Bien-Phu le 25 mai 1954.


CAPA LE MYTHE

Robert Capa devient un mythe, une référence qui suscitera aussi des polémiques. "Sans intérêt pour moi", intervient Silloray, qui a déjà suffisamment à faire pour couvrir les 20 dernières années de la vie de Capa. Capa ne veut jamais perdre la main, il virevoltait sur les champs de bataille. Il y avait pour lui urgence à témoigner. Toute l’histoire du monde de l’époque est sur sa pellicule. Il est accepté par tous les grands noms du siècle, de Picasso à Gary Cooper, Bogart, Ava Gardner, Hemingway. "Je voulais le montrer tel qu’il était et être a ses cotes avec le lecteur. C’est un visionnaire. Il se rend compte de la montée en puissance de la TV qui sera pour lui le media de demain. Je ne voulais surtout pas faire une suite d’anecdotes mais retracer son parcours". L’album, sorti en avant-première au Festival d’Angoulême, a montré à Silloray que Capa est un sujet qui touche un très vaste public hors BD. Les photos de Capa sont toujours d’actualité. L’album 2016 de Reporters sans Frontières lui est consacré. Des enseignants se servent de ses photos pour illustrer leurs cours. "Capa était un photographe tout terrain. Il aimait les gens et on l’aimait", ajoute Silloray. C’est vrai que Capa restera dans les mémoires pour ses photos du 6 juin 44. Très réducteur. Il faut voir ses clichés du Tour de France, du Front Populaire, de la guerre en Chine ou celles en couleur du début des années 50. Capa avait du génie et un côté révolutionnaire, témoin et défenseur des plus faibles. Silloray lui rend un hommage passionnant, soutenu par un dessin qui colle parfaitement au récit.


Article publié dans le n°ZOO Février 2016

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