Un an après le succès du premier tome du Château des animaux, dictature animalière imaginée par Xavier Dorison et dessinée par le jeune Félix Delep, ses auteurs dévoilent les coulisses du deuxième tome à paraître le 4 novembre et dont la prépublication sous forme de gazette a débuté l’hiver dernier.
Comment avez-vous reçu l’accueil enthousiaste de Miss Bengalore, le premier tome du Château des animaux, en 2019 ?
Xavier Dorison : Je l’ai pris comme un encouragement pour la suite. Cela donne de l’énergie pour se remettre en question : « Est-ce que ce dialogue est assez bien ? Et cette case ? »
Félix Delep : Ça m’a fait super plaisir : j’étais assez stressé avant la parution de mon premier album. C’est quand même un peu de pression de faire de la bande dessinée avec Xavier Dorison !
Comment marche votre duo ?
Xavier Dorison : J’ai écrit un scénario très détaillé en 2016 et j’ai attendu deux ans avant de trouver le bon dessinateur. Je ne suis pas un productiviste, je passe beaucoup de temps à me documenter. Donc je voulais que mon scénario soit exploité de la meilleure façon, par la bonne personne !
Félix est un dessinateur extraordinaire et un coloriste fou, c’est un petit Mozart de la BD. En plus, c’est quelqu’un d’adorable, on s’entend très bien. Je fais le premier rough des planches et il se sert de mon travail comme d’un tremplin, il trouve de super idées, des attitudes…
Félix Delep : Pour ce second tome, comme on était un peu en retard, Xavier m’a fait confiance, j’ai parfois encré et envoyé à l’éditeur sans lui refaire valider.
La révolte des opprimés du Château des animaux est-elle un moyen de dénoncer les conflits de notre monde ?
Xavier Dorison : Complètement. Dans tous les mouvements de révolte, on est confronté à deux tendances : l’une pacifique, l’autre faisant usage de la violence. À Hong Kong, le pouvoir chinois était très ennuyé par les manifestations avec des banderoles. C’est le jour où les mécontents ont commencé à tout casser que les autorités se sont frotté les mains, car là elles peuvent sévir. La non-violence et la désobéissance civile sont le meilleur moyen de faire plier l’oppresseur.
Félix Delep : C’est d’ailleurs cette idée qui m’a motivé à dessiner ce scénario !
Dans ce tome 2 se joue un bras de fer entre les animaux exploités et Silvio, le taureau dictateur. La violence psychologique est aussi présente que les brimades physiques…
Xavier Dorison : Personne n’a dit que la non-violence était dénuée de souffrance. Dans le même esprit du discours de Churchill : « Je n’ai à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur », c’est un chemin de croix que l’on trouvera tout au long des quatre tomes de notre série.
Félix, vous travaillez en numérique uniquement sur ce 2e tome ?
Félix Delep : Oui, on avait un délai à tenir, alors cette fois j’ai tout fait en numérique. La couleur est une des parties les plus importantes pour moi, elle amplifie le dessin. J’ai surkiffé faire les paysages de neige de ce tome 2, on peut imaginer plein de compositions, jouer avec les ombres portées… Mais ça pique les yeux d’être tout le temps sur l’ordi… Comme le tome 3 commencera par un flash-back, j’en profiterai pour refaire les dessins en couleur directe... Si ça marche, j’essaierai peut-être de faire tout l’album comme ça !
Il paraît qu’il vous arrive de mettre à la corbeille de superbes dessins !
Xavier Dorison : Oui, on refait des cases, parfois des pages… Mais peut-être que les dessins géniaux écartés seront publiés dans la version luxe !
Félix Delep : Même s’il y a un dessin que j’aime bien, s’il ne sert pas la narration, je n’ai aucun souci à le virer. Je suis très attentif aux décors – je me suis
inspiré d’Eyvind Earle et des vieux Disney comme Les Aristochats – ils permettent de montrer tout l’univers, de faire rentrer dans l’histoire. En plus je sais que des lecteurs s’amusent à regarder tous les détails dans les planches. J’aime bien l’idée d’un album qu’on lit d’abord de manière fluide, puis qu’on relit en appréciant chaque case.
Pourquoi les chiens de la milice de Silvio n’ont-ils pas de noms, mais des numéros ?
Xavier Dorison : C’est assez classique de désincarner les bourreaux, l’anonymat est un moyen d’éteindre la conscience. On le voit dans les manifestations : les gens vêtus de manière uniforme avec des lunettes de soleil se sentent anonymes et libres de faire tout et n’importe quoi. Pour en revenir aux soldats de Silvio, on va découvrir au fur et à mesure qu’ils ont une famille, une conscience.
Félix Delep : De mon côté, pour rendre les expressions des animaux plus « humaines », j’ai utilisé des astuces toutes bêtes comme de rapprocher les yeux qui sont souvent sur le côté chez les proies. J’ai aussi mis des sourcils à pratiquement tous les personnages.
Xavier, vous inspirez-vous de connaissances pour créer vos personnages ?
Xavier Dorison : Ce sont des archétypes de personnalités. Quand on a trouvé un personnage, les autres se construisent autour de lui, c’est ce qu’on appelle polariser le casting. La chatte Miss B. est une mère courage qui a des convictions, mais qui se dit qu’on ne peut pas changer les choses et que si elle baisse les yeux, tout se passera bien. Mais lorsque Marguerite meurt dans le tome 1, Miss B. décide d’agir, ne serait-ce que pour ses enfants.
Le rat Azélar me ressemble un peu, il est plein de théories. Au contraire, César est saoulé par tous ces discours et a envie d’action… C’est mon ami scénariste Fabien Nury qui me l’inspire, de ce point de vue là !
Félix, cela ne vous chagrine pas trop de devoir tuer certains de vos animaux ?
Félix Delep : Pour les scènes de violence, j’arrive à rester à l’extérieur, donc ça ne me touche pas trop. Pour Marguerite, j’avais regardé des dissections de pigeon pour dessiner sa fin tragique. Pour la scène du tome 2 où Silvio tue un animal, Xavier m’a envoyé une vidéo de taureau qui embroche des gens !
Duquel de vos animaux vous sentez-vous le plus proche ?
Félix Delep : Humainement, celui que je préfère, c’est César !
Xavier Dorison : César m’amuse énormément, mais je me sens assez proche de N°2 [l’un des chiens de garde de Silvio, N.D.L.R.], qui est pris entre deux feux…
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